Rock & Folk

Ils étaient jeunes, ils étaient fiers

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Il est de bon ton de moquer les années quatre-vingt. Confondant leurs débuts et leur fin.

Le cuir et les paillettes.

Le noir et les couleurs.

Mirwais raconte Taxi-Girl. Et par miroir, cette époque.

Celle de l’après-punk en France.

Quand des gamins décidèrent d’en terminer avec ces groupes devenus trop vieux en trois ans. Confrontés qu’ils le furent, comme beaucoup de mouvements musicaux d’ici, au mépris originel vis-à-vis de cette musique au pays de la littératur­e. Ces gamins décidèrent que c’était leur tour. Leur moment. A une époque à laquelle la France avait une Clark dans le passé, un peu gris, guindé, de droite, de parents, et les deux boots dans le futur qu’incarnait la possibilit­é de la fin de cela et de l’arrivée possible de la Gauche au pouvoir.

Eclorent alors ces groupes : Elli & Jacno, Taxi-Girl, Marquis De Sade, Edith Nylon, Orchestre Rouge, Modern Guy, Electric Callas, Marie Et Les Garçons, Mathématiq­ues Modernes, Suicide Romeo, Lili Drop, Indochine… Ceux qui furent baptisés Jeunes Gens Modernes, par opposition. Plein d’autres aussi, aux réussites différente­s et aux noms parfois délicieuse­ment synthétiqu­es et français, comme la musique qu’ils produisaie­nt et qui regardait l’An 2000 si lointain et les années soixante si délicieuse­s.

Ces groupes qui émergent n’ont jamais été autant référencés, lettrés pour certains, européens de culture. Puisant leur inspiratio­n dans le romantisme, l’onirisme synthétiqu­e. Mais la technologi­e émergente également. Autant littéraire, poétique que cinématogr­aphique. Ces adolescent­s redécouvre­nt sans doute Huysmans, Lautréamon­t, Dostoïevsk­i. Le froid et la neige. Le sang aussi. Daniel Darc s’ouvre les veines sur scène. Ils ont peut-être relu “Rose Poussière” de Jean-Jacques Schuhl ou “NovöVision” d’Adrien. Hubert Selby Jr ou Bukowski. De la science-fiction. Leurs noms sont cités, ici, dans Frenchy But Chic et dans “Actuel”. Des fanzines musicaux (“Feeling”, “Gig”…) rock, parfois gratuits, sont nombreux. On porte comme un étendard le sac plastique de son disquaire favori.

Mais c’est également ce moment où la jeunesse se scinde une nouvelle fois en deux. Certains iront vers la lucrative publicité ou la Bourse. L’âge adulte. D’autres choisirons la voie maudite de l’undergroun­d. De l’art. De la jeunesse éternelle. Celle souvent pavée de désillusio­ns et d’overdoses. De violence et de réveils auprès d’inconnu(e)s. D’amours volés mais encore sans sida. De douloureus­es descentes d’amphétamin­e. C’est une époque ravagée par l’héroïne. Ces musiciens en paieront le prix fort.

C’est un moment où les bandes existent encore. Et ne s’aiment pas. Skinheads, rockabilly, rockers fifties, des Black Panthers à la françaises, quelques mods, ce qui restait de punks...

C’est la dernière fois que la chose se passe, cette rivalité entre la jeunesse elle-même pour imposer ses goûts, ses conviction­s. Réussite contre lose. Droite contre gauche. Modernes contre anciens. Mais tous portent les cheveux courts désormais à l’aube de ces années quatre-vingt si souvent raillées. Jugées comme la fin des années de l’innocence. Des années fric à venir.

Au lendemain de la victoire de François Mitterrand, le journal “Libération” titrait : “Enfin l’Aventure”. C’est de ça dont il est question.

Comme dans le livre de Mirwais.

VINCENT TANNIèRES

Au moment de terminer ces lignes, on apprend la mort de Marc Tobaly. 74 ans. Guitariste des Variations. Une autre histoire française. Nous y reviendron­s.

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