“Vraiment immature” YARD ACT
Nouvelle star d’une scène post-punk britannique en pleine mutation, le quatuor de Leeds se réinvente avec brio pour un deuxième album à la couleur hip-hop.
C’éTAIT UNE DES BELLES HISTOIRES DE LA PéRIODE COVIDéE. Projet né du confinement dans le même espace de deux musiciens qui animaient la scène de Leeds avec divers groupes depuis dix ans, Yard Act est devenu le porteparole des déclassés au Royaume-Uni. L’histoire a commencé quand James Smith, chanteur binoclard à l’inamovible imperméable, commentateur social crachant sa bile façon Mark E Smith, a couché dans l’intimité de son domicile plusieurs démos avec son compère bassiste Ryan Needham. Des morceaux qui ont peu à peu pris vie et donné une dimension nouvelle à ce qui n’était à l’origine qu’un side-project récréatif. A sa sortie en 2022, le premier album de Yard Act, le très politique “The Overload”, a flirté avec les sommets des charts en Angleterre et propulsé le groupe parmi les plus passionnants du pays.
En roue libre
A l’époque, le charismatique frontman racontait comment la création des premiers morceaux de Yard Act avait nécessité la formation d’un groupe afin de pouvoir jouer les morceaux sur scène. Pourtant, après avoir sillonné la route pour les défendre, une certaine lassitude s’est fait sentir. “C’est compliqué de jouer ces chansons encore et encore et de rester connecté avec”, avoue Smith depuis son canapé, dans un de ces échanges Zoom qui font aujourd’hui le quotidien de musiciens et journalistes. “La seule avec laquelle je n’ai jamais perdu la connexion, c’est ‘100 % Endurance’. Ça ne fait que trois ans qu’on joue, ce qui n’est pas si long. Je me demande comment font les Rolling Stones. Certains aiment la répétition, ils voient ça comme une performance athlétique. Je suppose que c’est un sport, tu t’améliores, tu t’entraînes à donner la meilleure performance. Moi je me suis
toujours épanoui dans le déséquilibre et le côté dérangé d’une performance live. Au début de Yard Act, j’adorais être en roue libre et laisser le public faire dérailler le spectacle, un peu à la façon d’un comique de stand-up. Les salles devenant de plus en plus grandes, c’est devenu de plus en plus difficile de faire ça. Il y a des groupes qui sont heureux de faire le même set tous les soirs en pilote automatique, ça me déconcerte.” La solution, Smith l’a trouvée en changeant les choses peu à peu. “Ryan et moi avons de grands débats à ce sujet. Il déteste quand des groupes commencent à réécrire leur vieux matériel. A chaque fois que j’essaie de changer une de nos chansons, il me dit : ‘Personne n’a envie d’aller voir les Strokes faire une version reggae de “Hard To Explain”. Moi je suis joueur. Avec ma façon de chanter je ne suis pas limité par la mélodie, j’essaie de déplacer les notes. Je joue avec le groupe, avec notre batteur Jay (Russel, nda) particulièrement et Chris (Duffin, nda) qui joue du saxophone et du clavier. J’essaie de les attraper sur des rythmes bizarres et de voir si on peut créer à partir de ça, un peu comme dans le jazz. Je me suis créé un monde dans lequel je ne suis pas obligé de chanter la mélodie, je peux faire ce que je veux. C’est vraiment immature, à vrai dire ! On a bousculé quelques-unes des vieilles chansons et je trouve que le fait de les avoir plantées au milieu des nouvelles les a rendues excitantes à nouveau.”
Plus personnel, moins politique
Ces nouvelles chansons, Yard Act les a conçues avec l’idée de ne pas reproduire le même disque. “Quand tu sors ton premier album, tu choisis d’être quelque chose. Et puis le deuxième est celui où tu décides si tu vas marteler cette identité sonique dans l’oreille des gens ou si tu vas virer de bord pour ne pas être enfermé dans une boîte. J’adore Cure des débuts, celui de ‘Three Imaginary Boys’, et j’adore qu’ils aient immédiatement changé de style dès le deuxième album, pour ‘Seventeen Seconds’. The Cure n’a jamais sonné deux fois pareil. C’est un modèle.” Entre la voie des Ramones et celle de The Cure, Yard Act a donc choisi, et a ouvert sa musique à de nouvelles sonorités. Produit par Remi Kabaka Jr, membre éminent de Gorillaz, “Where’s My Utopia?” puise allègrement son inspiration dans le hip-hop. “L’influence était déjà là dans le premier album, estime Smith, mais je n’avais pas la confiance d’aller plus loin. Remi a perçu qu’on se retenait un peu sur ces influences. Il nous a dit : ‘Vous savez, ça va ressortir avec votre filtre. Ce n’est pas comme si vous essayiez d’être des rappeurs, vous n’êtes pas en train de vivre une fausse image. Vous pouvez être influencés par cette musique, vous racontez des histoires de mecs blancs des banlieues, pas des histoires de cités noires américaines’.” Plus personnel, moins politique, désabusé, mais toujours plus pertinent, “Where’s My Utopia?” est un grand pas en avant pour Yard Act qui promet encore des changements à venir pour la suite. “On a discuté du fait que le troisième sera un album de hardcore”, promet Smith. ★