Rock & Folk

Dix étoiles dans les yeux

Chef-d’oeuvre de pop space empli de poésie rétrofutur­iste, “Moon Safari” avait tout de l’OVNI musical en 1998 et fascine toujours plus de vingt-cinq ans après sa sortie. Les deux magiciens de studio racontent comment ils ont concocté ce chefd’oeuvre deven

- Recueilli par JS

“La Femme D’Argent”

Jean-Benoît Dunckel : En fait, lorsque j’écoute l’album, je n’entends pas vraiment la musique. Je ressens plutôt ce qui se passait à l’époque, l’atmosphère dans Paris, les gens qu’on voyait le soir. “Moon Safari” est imprégné de ces souvenirs.

Nicolas Godin : Je me rappelle très bien la gestation de “La Femme D’Argent”, avec ce riff de basse qui tourne sur un sample de batterie que j’avais piqué sur un vinyle. Au moment de sampler le riff, je ne m’en suis plus souvenu et j’étais en panique totale. J’ai recherché le riff, je l’avais en partie perdu, ça ne collait pas et, au bout de cinq minutes, je l’ai retrouvé et vite enregistré.

“Sexy Boy”

Jean-Benoît Dunckel : On a aussitôt pensé que cette chanson était catchy, mais on ne savait pas qu’elle deviendrai­t un tube. Le sort d’un morceau, c’est le public qui en décide. Mais le titre interpella­it et si on avait choisi “Sexy Girl”, ça aurait eu moins d’impact.

Nicolas Godin : J’ai parfois évoqué le syndrome de l’imposteur… Il s’applique vraiment à “Sexy Boy” car, à l’origine, j’avais joué la batterie moimême et je l’avais enregistré­e sur une cassette. Finalement, en studio, un vrai batteur a rejoué ma partie car je ne l’assumais pas. C’est compliqué, dans la vie d’un musicien, de passer de l’amateurism­e au niveau profession­nel. J’ai aussi voulu refaire des voix sur ce titre, car les premières sonnaient faux. Mais elles perdaient beaucoup de leur charme et, finalement, on a conservé les premières prises.

“All I Need”

Jean-Benoît Dunckel : A chaque réécoute de ce titre, je suis bluffé par la qualité de la voix de Beth Hirsch, par sa douceur. J’ai aussi le souvenir que c’était une de nos premières fois dans un grand studio, Plus XXX, avec une superbe table de mixage. Il faisait froid dehors, et je me rappelle avoir mis ma main au-dessus de la console et je pouvais en sentir la chaleur. C’était fascinant.

Nicolas Godin : Cette boucle de guitare a servi à plusieurs morceaux et, lorsqu’on a rencontré Beth et décidé de lui demander de chanter sur l’album, je lui ai proposé cette option folk, un peu dans le style des Carpenters.

“Kelly Watch The Stars”

Jean-Benoît Dunckel : Le titre est une allusion à Jaclyn Smith, une des actrices de la série télé “Drôles De Dames”. On était assez amoureux d’elle quand on était plus jeunes, et “Kelly Watch The Stars” est un hommage à sa beauté.

Nicolas Godin : Quand on crée, dans un groupe, il ne faut pas hésiter à montrer ses faiblesses. Il faut parfois avoir dix idées nulles avant qu’apparaisse une bonne. Pour faire de la musique avec quelqu’un, il est nécessaire d’être complément­aire et donc de choisir une personne dont la personnali­té et le talent sont différents.

“Talisman”

Jean-Benoît Dunckel : L’instrument lead, ici, est un piano Wurlitzer et, là encore, il s’agit d’une impro. On a fait ce morceau en moins de quatre heures. David Whitaker a ensuite arrangé les cordes, mais lorsqu’on est arrivé en studio, il y avait une pile de partitions et on a vite compris que ses arrangemen­ts seraient, hum, fournis. On lui a demandé d’en supprimer une partie et, malgré son flegme britanniqu­e, à ses pommettes qui rougissaie­nt, on pouvait voir qu’il n’était pas plus emballé que ça.

Nicolas Godin : Oui, c’est le premier titre du disque dont les cordes ont été enregistré­es à Abbey Road. On avait trois heures pour tout faire, il y avait un chronomètr­e, c’était un peu la panique. Au moment de “10 000 Hz Legend”, on avait davantage d’expérience et on était donc plus à l’aise. Sinon, le son de basse ici, gainsbouri­en, est caractéris­tique du Air des débuts. C’est une Hofner, mais pas la même que Paul McCartney. Sur d’autres morceaux, je joue d’une Fender Precision que j’ai achetée en 1989 et dont je n’ai jamais changé les cordes. Ma grande peur quand je vois un technicien s’approcher de mes basses, c’est qu’il remplace les cordes.

“Remember”

Jean-Benoît Dunckel : Pour reprendre ce que disait Nicolas, et qui est flagrant ici, c’est que les couples profession­nels fonctionne­nt bien lorsqu’ils se complètent. On peut être différents, il peut y avoir des tensions, mais au bout du compte, il faut qu’on se mette d’accord et c’est la musique qui triomphe.

Nicolas Godin : Alors, ce vocoder, comme sur “Sexy Boy”, n’en est pas un. En vérité, j’ai utilisé une talk box. En fait, c’est le son du Moog qui dit “Remember” ; moi, avec une sorte de tuyau, je me contente d’articuler le mot avec ma bouche et c’est le son qui en ressort qu’on entend. C’est très artisanal, on bave partout, ça fait mal aux dents (rires)…

“You Make It Easy”

Jean-Benoît Dunckel : A la base, ce titre était une bossa-nova, un instrument­al et c’est devenu une chanson après qu’on a rencontré Beth Hirsch.

Nicolas Godin : Oui, on était très content de la version instrument­ale, mais Beth a tout changé. Il y avait plein d’accords, il y avait une mélodie… On lui a demandé si elle avait des idées et elle a chanté le morceau tel qu’il est.

“Ce Matin-Là”

Jean-Benoît Dunckel : J’ai tendance à penser qu’en art, les idées ne valent rien. Ça n’est pas une question d’idée, mais de réalisatio­n. Un exemple ? Si je vous dis que j’ai une super idée de film, un camion qui poursuit une voiture, vous risquez de me rire au nez. Mais si c’est Steven Spielberg qui traite le sujet, c’est sublime.

Nicolas Godin : Donc ça, c’est un mélange de la musique des “Barbapapa” et de “Everybody’s Talking” que Harry Nilsson a popularisé­e. J’aime bien mélanger, par exemple, Ennio Morricone avec Kraftwerk. On a créé ce morceau chez moi, à l’époque, à Montmartre, avec un vieux tuba cabossé et, sincèremen­t, au moment de le faire, dans notre tête, on était Burt Bacharach, à Los Angeles, dans les studios de Capitol. Ce que je veux dire, et je ne rigole pas, c’est que ça s’entend sur le disque. Quelque part, le fantasme est devenu réalité. La puissance de la musique passait dans les jacks, dans les micros et dans le sampler.

“New Star In The Sky”

Jean-Benoît Dunckel : On cherchait un nom pour ce morceau et je venais d’avoir un enfant… J’ai pensé à cette légende qui dit qu’à chaque naissance, une nouvelle étoile apparaît dans le ciel, d’où ce titre. C’est assez poétique, je trouve…

Nicolas Godin : Et re la talk box ! On entend aussi les gamins qui jouaient dans le square de la rue Burq. Et cette guitare qui fait disque. Ce que je veux dire, c’est que lorsqu’on l’enregistre, elle sonne vraiment comme sur un disque. Ça n’est pas le cas de tous les instrument­s. Au studio Gang, par exemple, il y a un Steinway qui sonne limite bastringue, mais dès qu’on l’enregistre, il a un son qui tue. Sur “New Star In The Sky”, il y a la flûte du mellotron qu’on entend sur “Strawberry Fields Forever” des Beatles. Bon, j’ai longtemps pensé que la basse était trop forte sur ce titre, ça m’a traumatisé pendant de nombreuses années…

“Le Voyage De Pénélope”

Jean-Benoît Dunckel : C’est encore un morceau fait d’un trait, une impro. Le Moog que je joue, c’est une prise, deux maximum…

Nicolas Godin : … et c’est un des titres qu’on a le plus de plaisir à faire sur cette nouvelle tournée. A l’époque, j’ai rejoué le piano à Gang et je me souviens qu’à un moment, Alex Gopher, qui masterisai­t à côté, a passé une tête pour faire coucou. A la fin de la prise, il m’a dit qu’il trouvait que j’avais fait des progrès au piano et je lui ai répondu : “Mais tu sais, la musique, c’est mon métier maintenant” (rires).

car Air fait partie de nous, qu’on le veuille ou non. Les carrières solos, tout ça, c’est sympa, mais Air sera là jusqu’à la fin de nos vies… Jean-Benoît Dunckel : On ne souhaite pas véritablem­ent prouver quoi que ce soit à qui que ce soit, hormis peut-être aux médias français, car on vit en France et, ici, la perception de Air est bien différente de celle à l’étranger. Ça peut paraître arrogant de le souligner, mais on se demande parfois si les médias français se rendent bien compte de l’impact du groupe ailleurs. Et donc, on a un peu l’impression de ne pas être exactement compris chez nous alors que dans les pays anglophone­s, et notamment en Angleterre, peut-être parce qu’on y est allé moins souvent, Air, qui a un côté mystérieux, fascine davantage. Là-bas, on fait partie du paysage musical, et c’est évidemment très flatteur.

Sous les feux de la rampe

R&F : Et ce choix d’une formation ramassée ? Juste vous deux et un batteur…

Nicolas Godin : On aurait effectivem­ent pu étoffer le groupe, mais l’idée c’était de ne pas tricher, que le public voit véritablem­ent Air et rien d’autre.

Jean-Benoît Dunckel : Et on s’entend super bien avec le batteur qui complète idéalement notre musique. Il est mixé fort, il donne beaucoup de relief aux morceaux, il met en valeur le beat de Air.

R&F : Au 106, le public était jeune pour un groupe de votre génération…

Nicolas Godin : Il y a pas mal de gamins, à l’étranger, qui nous disent : “Ah, quand j’étais petit, mes parents écoutaient vos disques dans la voiture” (rires).

“Ne pas tricher, que le public voit véritablem­ent Air et rien d’autre”

Jean-Benoît Dunckel : Je peux comprendre, car personnell­ement j’ai découvert Serge Gainsbourg grâce à mon père !

R&F : Et vos propres enfants, ils pensent quoi de ce comeback ?

Nicolas Godin : Eh bien, je me le demande justement. Lorsqu’ils étaient petits, je les ai toujours emmenés en tournée, mais maintenant, c’est différent. Est-ce que c’est bon dans le développem­ent d’un enfant de voir son père sous les feux de la rampe avec des milliers de gens qui l’applaudiss­ent ?

Jean-Benoît Dunckel : Certains des miens sont fans de Air et ils connaissen­t toutes les chansons. Bon, à la fois, ils ont grandi avec ! ★

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