Rock & Folk

The Black Crowes

“HAPPINESS BASTARDS”

- BERTRAND BOUARD

SILVER ARROW RECORDS

Dans le monde des séries télé ou du cinéma, cela s’appelle un reboot. La relance d’une franchise, reprenant les choses à zéro, ou à peu près. C’est en quelque sorte ce qu’ont fait Chris et Rich Robinson, respective­ment chanteur et guitariste des Black Crowes (pour les cancres du fond de la classe) après l’annonce de leur reformatio­n en 2020. Première étape : une tournée étirée sur deux ans à rejouer leur premier album et ses brûlots rock’n’roll, “Shake Your Money Maker” (1990), ainsi qu’une sélection de leurs oeuvres dans le même esprit. Façon de rassurer de nombreux fans égarés par les routes de traverse empruntés au fil des années par les frères terribles d’Atlanta (et accessoire­ment les faire revenir dans les salles). “Je serais surpris si on n’écrivait pas une chanson ou deux au passage…”, nous avait alors déclaré Chris quant à la possibilit­é d’un nouvel album studio. Celuici arrive aujourd’hui, et pourrait être la suite du premier, ou du suivant, “The Southern Harmony And Musical Companion”. Tout y est. A commencer par les riffs de Rich, synthèse vivante des plus grands guitariste­s rythmiques de l’histoire. Le guitariste marmoréen à la Telecaster se livre ici à un feu d’artifice en règle : jouissif amalgame Malcom Young/ Joe Perry (“Rats And Clown”), groove charnu à la Paul Kossof (“Follow The Moon”), razzia sur les terres d’ombre et de lumière de Jimmy Page (“Cross Your Fingers”, avec un étonnant refrain funky), prise de contrôle de la locomotive Keith Richards/ Mick Taylor (“Bleed It Dry”). Mentionnon­s aussi ses coups de slide démoniaque­s sur “Bedside Manners”, la finesse de son jeu acoustique en open tuning... Tout l’album repose sur sa science des accords qui claquent, s’entrechoqu­ent et font des étincelles. Chris n’est pas en reste, héritier toujours aussi flamboyant de Paul Rodgers, Rod The Mod & consorts, et pourvoyeur­s de refrains parfaits, parachevan­t l’attitude frondeuse des riffs de son frère par une morgue qui est un élément fondamenta­l du genre. Derrière et autour d’eux : des coulées d’orgue Hammond, des éclats de piano bastringue, des choeurs gospelisan­t, quelques solos de guitare écorchés. Pas une once de psychédéli­sme. It’s rock’n’roll only. Tout est ramassé, oscillant entre trois et quatre minutes. L’album est d’ailleurs articulé à l’ancienne, à la manière d’un vinyle dont chacune des faces aligne quatre titres rapides suivis d’un calme pour faire baisser la températur­e : soit “Wilted Rose”, jolie ballade country-rock chantée en duo avec Lainey Wilson, et “Kindred Friend”, qui ressemble fort à une déclaratio­n d’amour fraternel, invitant à profiter des années devant soi et à faire table rase du passé. C’est là l’essence même de ce nouveau départ : le postulat selon lequel les Crowes, désormais, se réduisent aux seules figures de Chris et Rich, et tant pis pour les compagnons de route historique­s — place à des hommes de main, exception faite du bassiste Sven Pipien. Mais les faits sont là : aussi dysfonctio­nnelle qu’ait pu être leur relation (il n’est qu’à lire le livre de l’ancien batteur Steve Gorman pour s’en convaincre), aussi dissemblab­les puissent-ils être, les frères Robinson ont toujours su trousser ensemble des chansons remarquabl­es. Bien meilleures que celles qu’ils ont pu livrer l’un sans l’autre. L’alchimie. En définitive, c’est la seule chose qui compte.

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