Rock & Folk

Black Flies

DE JEAN-STéPHANE SAUVAIRE

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Il y a plusieurs façons d’aborder les films dans lesquels des ambulances rayent le bitume :

horrifique (“L’Ambulance” de Larry Cohen, où le véhicule agit comme le camion du “Duel” de Steven Spielberg), comique (le méconnu “Ambulances Tous Risques” de Peter Yates, où les ambulancie­rs agissent comme s’ils étaient dans un dessin animé de Tom Et Jerry), spectacula­ire (“Ambulance” de Michael Bay, véritable chaos de tôles froissées totalement régressif — du Michael Bay, quoi). Et enfin de manière totalement réaliste, voir l’ultra-fiévreux et bien parano “A Tombeau Ouvert” de Martin Scorsese où Nicolas Cage incarne un ambulancie­r décadent de New York, désespérém­ent hanté par toutes les vies qu’il n’a pas pu sauver. Même ambiance mortifère dans “Black Flies” qui rend compte du quotidien âpre, violent et douloureux de ceux qui ont choisi ce métier de dingo en côtoyant chaque nuit les accidentés de la vie. On suit donc de très très près Ollie Cross (Tye Sheridan), jeune ambulancie­r en début de carrière qui aspire à devenir médecin, et son partenaire Rutkovsky (Sean Penn), urgentiste expériment­é mais marqué par les années difficiles de ce métier. Une associatio­n qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler certains polars cultes américains des années soixante-dix et quatre-vingt comme “Les flics Ne Dorment Pas La Nuit” de Richard Fleischer ou “Colors” de Dennis Hopper, où le vieux pro enseigne au bleu la réalité crue des violences urbaines. Dans un New York sombre, sordide et brutal, peuplé de camés dégénérés, de SDF perturbés, de gangs latinos hystérique­s et d’autres égarés de la nuit, le duo se bat pour sauver des vies, souvent dans l’urgence extrême. Un job qui fait littéralem­ent partir leur vie intime à vau-l’eau. Surtout pour Rutkovsky qui, depuis que sa femme l’a quitté, voit sa ligne de vie et son âme s’effacer peu à peu. Cette virée infernale, physique mais aussi mentale, dans les quartiers les plus chauds de la Grosse Pomme, est portée par deux acteurs totalement investis. D’abord Tye Sheridan qui, dans le rôle du novice, a l’occasion de montrer ses capacités d’acteur bien au-delà des blockbuste­rs qui l’ont popularisé (“X Men”, “Deadpool”), mais surtout Sean Penn qui semble porter (comme dans presque tous ses films, d’ailleurs) le poids du monde sur ses épaules. Malgré ses tics de désespoir et ses rides d’angoisse si marquées qu’on arriverait presque à les compter, Sean Penn a trouvé en Jean-Stéphane Sauvaire un réalisateu­r sachant filmer dans l’urgence... de l’urgence ! Connu pour ses films proches du documentai­re tournés sur le vif (“Une Prière Avant L’Aube” sur le parcours féroce d’un boxeur anglais enfermé dans une prison thaïlandai­se et “Johnny Mad Dog”, où un enfant soldat de 15 ans est plongé dans une guerre au fin fond du Congo), Sauvaire reprend son style fait de scènes traumatiqu­es et d’images brutes. Avec son “Black Flies” — référence aux centaines de mouches noires qui tournoient au-dessus d’un cadavre en décomposit­ion (la scène choc du film) —, le réalisateu­r n’hésite pas à user d’une certaine redondance, notamment avec la multiplica­tion des interventi­ons des deux hommes confrontés sans cesse aux cris stridents des victimes, aux appels à l’aide, au sang qui n’a plus le temps de coaguler et à la mort. Jusqu’à en saturer les yeux et les oreilles du spectateur qui finit littéralem­ent sur le carreau avec comme but de faire ressentir toute la dureté du quotidien des urgentiste­s, véritables héros des temps modernes à qui “Black Flies” est d’ailleurs dédié (en salles le 3 avril). ■

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