Rock & Folk

Des nuits blanches à regarder des clips

- PAR JERôME SOLIGNY

Prince YouTube

DISONS-LE FRANCO, ON RéFLéCHISS­AIT

DEPUIS PLUSIEURS MOIS à UNE AUTRE MANIèRE D’ABORDER, DE TEMPS à AUTRE, CETTE RUBRIQUE. L’occasion fait le larron puisqu’en 2024, on va fêter les quatre décennies de “Purple Rain”, l’opus de Prince avec lequel il a réussi ce qu’il est convenu d’appeler son crossover mondial. On n’écrivait pas encore dans la presse rock quand l’album et le film sont parus, mais on la dévorait déjà depuis au moins dix ans. Dans les villes de province proches de l’Angleterre, on pouvait trouver les hebdomadai­res musicaux britanniqu­es (il y en avait trois à acheter à cette époque). Prince, grâce à des disquaires au nez creux et aux Enfants Du Rock à la télé, on l’a vu arriver de loin. Les photos de ses concerts et de ses tournées nous avaient mis le mammouth à l’oreille. Sur scène, son manteau à l’épaule cloutée cachait la poussière, mais dessous, son éminence était en slip. Avait des bottines à talon aiguille aux pieds. Son oeil était de biche, mais sa Telecaster trépidait comme un vibromasse­ur au rythme de futurs hymnes pop-funk aux textes portés sur la chose qui, à nos prudes oreilles, avaient tendance à faire passer les disques de Michael Jackson pour la musique qu’on entendait lorsqu’on s’approchait des camions de glace de l’enfance. En 1981, déjà, on s’était fait atomiser par “Controvers­y” et notamment sa chanson titre, une authentiqu­e incitation à la débauche. Avec de tout dedans : du glam, de la new wave, du funk, du rap. La totale avant l’heure. Prince arrachait tout et en plus, comme sur ses trois précédents albums, il jouait pratiqueme­nt tous les instrument­s. La claque ? La rafale de baffes plutôt. Mais l’encore meilleur était à venir. En octobre 1982, la pochette au visuel insensé de “1999” est plus épaisse car elle contient deux 33 tours. L’avalanche. A peine plus de dix titres pourtant, répartis sur quatre faces, mais deux, seulement, n’excèdent pas quatre minutes. Du concret. Du dense. Du splendide. On n’en revenait pas. Et on a compris, assez vite au fond, qu’on ne pigerait rien ou pas grand-chose à la suite. Trop, ça serait trop. Le funkster de jardin de Minneapoli­s allait viser l’univers sans jamais se plier aux règles du show-biz : l’artiste indé ultime prêt à tout (plus tard, il balancera même son prénom aux orties). En novembre 1982, c’est à peine si ceux qui ont choisi le camp de Prince vont faire cas de “Thriller”. Jackson s’adresse aux masses, grand bien lui fasse. Prince, lui, est un pur Martien. Un rocker beige surligné à l’eye-liner, un punk translucid­e barré. En plus, il a de chouettes copines. On les découvre, langue pendante (la nôtre), à Sex Machine.

On rêve, faute de mieux, d’un lit en ferraille comme dans le clip de “Automatic”. Et bam ! l’année suivante, “Purple Rain”. La pluie d’améthystes. Apollonia a remplacé Vanity. La moto violette, l’hommage au père, musicien méprisé par le succès. L’album est simple (un seul 33 dans la pochette), mais les colombes vont pleurer, sans une note de basse, jusqu’au sommet des classement­s US. La suite, au fil des ans, deviendra plus compliquée. Prince, seul maître à son bord, se montrera imperméabl­e aux recommanda­tions. Il va vivre par et pour sa musique, s’enivrant de ses talents, négligeant le reste (dont sa vie privée), méprisant le système (qui ne mérite pas mieux) et enregistra­nt, en quasiperma­nence, tout ce qui lui passe par la tête, les oreilles et les doigts. Car l’instrument­iste en lui, aussi, est génial. On l’a dit et redit, écrit et réécrit, mais YouTube permet, désormais, de le vérifier à l’infini. Certains estimeront qu’on peut passer des nuits blanches à regarder des clips, des extraits de concerts, des interviews sérieuses et des passages TV de centaines de musiciens sur le Net. Certes. Mais des qui tuent leur mère comme Prince, dans tous les domaines de ce qui faisait la spécificit­é de son art à part, il n’y en avait pas deux. Lorsque, en même temps, il chantait, jouait de la guitare, dansait et aguichait le public, il faisait du petit bois de la concurrenc­e directe qu’on a d’ailleurs bien du mal, encore aujourd’hui, à identifier. On propose ici trois séquences, des images à regarder pas forcément en priorité, mais en apéritif d’un binge-watching qui, on prévient, peut emmener loin et tard. Parce qu’ils sont illisibles, on ne joint pas ici les liens URL, mais il suffit évidemment de taper les motsclefs dans la barre de recherche de la plateforme pour déguster ces images.

Séquence 1 : Prince en costard (et cravate) rouge aux Fashion Awards fin 1995, avec son épouse d’alors, Mayte, livrant une version tout bonnement dantesque de, hum, “Pussy Control”, le titre d’ouverture de “The Gold Experience”, paru quelques semaines plus tôt.

Séquence 2 : Prince à la guitare sèche, live au Webster Hall de

New York en 2004, qui échange avec le public avant d’interpréte­r “Sometimes It Snows In April”, une totale intouchabl­e dont la grille d’accords du refrain défie l’entendemen­t depuis 1986.

Séquence 3 : Prince, deux ans avant sa mort, sur le plateau de

Late Night, l’émission présentée par son ami Arsenio Hall. Car en plus de tout le reste, Prince malin comme un singe, était brillantis­sime en interview. Lorsque Hall lui demande pourquoi il n’a pas de téléphone mobile, il répond tout simplement : “Tous les gens que je connais en ont un”. Les paroles d’un grand homme, le dernier des géants. ■

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