“Vous voulez savoir si j’ai encore des cheveux, hein ?”
The Big Idea 8 FéVRIER, POINT EPHéMèRE (PARIS)
Auteurs de concept-albums délirants
(le précédent disque avait été composé en mer, à bord d’un voilier), les six Rochelais sont de retour et présentent “Tales Of Crematie”, leur ambitieux nouveau double format qui embarque dans une épopée médiévale fantastique où il est question de pierres précieuses et de Zeus. Sur scène, ces brillants musiciens qui se connaissent sur le bout de leurs instruments envisagent la musique comme un grand projet joyeux où l’on pratique la courte échelle pour aller
plus haut et rappelle forcément les collectifs de Crack Cloud ou de King Gizzard. Mais pas que. “The Fight” et son intro très Jon Spencer qui digresse en étrangetés façon Captain Beefheart force le respect tandis que “Margarina Hotel” évoque un Dr Dog qui chercherait à composer un hymne hooligan enlevé. Climax de la soirée, “King Cabral” et ses choeurs repris à l’unisson par un kop bouillonnant, comme un soir de Champions Cup à Deflandre ! MATTHIEU VATIN
Aline 9 FéVRIER, MAROQUINERIE (PARIS)
Un article déjà lointain de “Technikart” saluait en Aline “un génie français”, et il n’y avait là aucune outrance. Pour ce premier concert en sept ans, les classiques sont bien présents, mais ce qui scie le plus, ce sont ces inédits récemment révélés qui parfois les supplantent (“Marc”, “S’Eloigner Quand Même”). Tandis qu’on se demande si un tube inconnu est vraiment une contradiction dans les termes et que le groupe assure royalement, Romain Guerret ironise sur son béret (“Vous voulez savoir si j’ai encore des
cheveux, hein, c’est ça ?”), s’enquiert des résultats des Victoires De La Musique, s’empêtre dans ses tentatives d’aphorisme, et surtout émeut. Un envahissement de scène final permet d’avoir une idée du public du groupe : un sosie de Mac DeMarco, des T-shirts The Smiths en nombre, tous pareillement radieux. On n’oubliera pas Aline. VIANNEY G.
Sprints 10 FéVRIER, POINT EPHéMèRE (PARIS)
C’était la grande affaire de la rentrée. Un épatant premier disque nerveux, des chansons à l’écriture dégourdie, des prestations scéniques impétueuses et des salles blindées : il n’en fallait pas plus pour emballer la machine médiatique ou découvrir des fans avides déjà conquis, qualifiant Sprints de “Wet Leg grunge”. C’est évidemment un peu plus compliqué, mais dès les premières mesures de “Ticking”, le jeune quatuor de Dublin semble assez aguerri et remonté pour au moins endosser l’étiquette d’excellente surprise en 2024. Karla Chubb, charismatique frontwoman aux cheveux rose orangé et à la Telecaster saturée embringue avec sa furia le public dans de violents pogos
Slift 1ER MARS, CIGALE (PARIS)
Cette soirée dans la vaste salle du boulevard Rochechouart s’élance avec les six Tourangeaux des Stuffed Foxes. Trois guitares et un clavier ne sont pas trop pour cette demi-heure d’un post-punk tendu, bruitiste, ponctué d’intermèdes shoegaze hypnotiques, achevé par une reprise rêche de l’angoissante “Ghost Rider” (Suicide). Slift prend la suite sur fond de projections psychédélico-cosmiques — il valait mieux ne pas souffrir d’épilepsie — et déploie une puissance sonore extraordinaire tout au long d’une odyssée space rock de neuf titres tantôt furieux, tantôt planants, équitablement partagés entre leurs deux derniers efforts. Jean Fossat, virtuose de la six-cordes entre Jimi Hendrix et David Gilmour (ce solo sur “Altitude Lake” !), est époustouflant, comme son remuant frère Rémi à la basse, alors que Canek Flores maltraite méchamment ses peaux. La fosse, pleine à craquer, participe à cette consécration en pogotant dès que le rythme s’embarde, comme sur “Ummon”, “Hyperion” ou encore l’épique “Lions, Tigers And Bears”.
Pas besoin de rappel tant on a déjà le souffle coupé. JONATHAN WITT
rappelant la déjantée Courtney Love ou, plus récemment, l’allumée Amy Taylor et, malgré quelques moments plus faibles, offre une heure hautement prometteuse. MATTHIEU VATIN
Lankum 12 FéVRIER, TRABENDO (PARIS)
Dans la pénombre, quatre silhouettes assises jouent l’intro du traditionnel “The Wild Rover”. Le frisson procuré par la voix de la multi-instrumentiste Radie Peat, et les harmonies du groupe, est le prélude d’une soirée riche en émotions diverses. Comme cette impression de saturation pure quand Lankum dégaine des drones qui font vibrer les murs de la salle ; celle de les voir sculpter des chansons délicates dans ces gros blocs sonores ; ou ces allers-retours entre noirceur du répertoire (on est plus dans la murder
ballad que dans la virée au pub) et jovialité quand ils s’adressent à la salle. Le poignant “Go Dig My Grave” qui achève leur set n’est éclipsé que par l’hommage à Shane MacGowan en rappel, assorti d’une vanne sur Bono. Parfaits jusqu’au bout, donc. ISABELLE CHELLEY
A.Savage 15 FéVRIER, MAROQUINERIE (PARIS)
Emancipé de Parquet Courts et fraîchement installé à Paris, Andrew Savage s’adonne à la peinture mais a surtout offert en fin d’année dernière le somptueux “Several Songs About Fire”, recueil fascinant de dix chansons pastorales. Sur scène, savamment épaulé par un super groupe dont le fidèle Jack Cooper à la guitare, Andrew et sa voix grave entament le set par l’étonnant “Black Holes, Stars And You” à la douceur bossa nova désabusée. La mélodie de “Hurtin’ Or Healed” berce avant que “Elvis In The Army”, qui ressemble le plus à du Parquet Courts, relance la machine. Le Texan, érudit et conscient de ses capacités, ne s’interdit rien et reprend avec une classe folle
“I Can’t Shake The Stranger Out Of You” de Lavender Country ou s’attaque encore avec révérence à “The Oyster & The Flying Fish” de Kevin Ayers, s’affirmant ainsi comme l’un des musiciens les plus talentueux de sa génération.
MATTHIEU VATIN
OMD 16 FéVRIER, CIGALE (PARIS)
Une vidéo anxiogène sur la mort de l’humanité, et c’est l’entrée en scène d’Andy et Paul (plus leurs deux acolytes) pour “Anthropocene”. Suit une centaine de minutes en mode retour vers le futur des années quatre-vingt. De “Tesla Girls” à “Bauhaus Staircase” (leur dernier album), on navigue entre l’actualité et la machine à remonter le temps, direction le vingtième siècle avec un “Souvenir” superbe. Andy bouge comme un épileptique, le public est aux anges. “Joan Of Arc”, “(Forever) Live And Die”, les chansons s’enchaînent jusqu’à l’inévitable final, un triomphal “Enola Gay” repris à tuetête par la foule ravie de retrouver ses 20 ans, contente de ne pas être restée “at home yesterday”.
Les eighties ne meurent jamais. OLIVIER CACHIN
Bobby Rush 24 FéVRIER, DUC DES LOMBARDS (PARIS)
Auréolé en janvier d’un nouveau Grammy Award pour son dernier album “All My Love For You”, Bobby Rush se présente dans un Duc Des Lombards complet pour quatre concerts sur deux soirs en version acoustique — qui permet d’apprécier son jeu de guitare et d’harmonica. A quatrevingt-dix ans passés, ce vétéran conserve une fraîcheur à faire pâlir les débutants. Il rappelle que lui et son complice Buddy Guy restent les derniers survivants de la scène blues du Chicago des années 1950. En veste bleue lamée, accompagné par moments de Lorette “Mizz Lowe” Wilson, le roi du Chitlin’ Circuit alterne ses compositions comme le célèbre “Chicken Heads” avec des classiques tels le “Good Morning Little Schoolgirl” de Sonny Boy Williamson. En attendant de le retrouver en Europe bientôt, comme il l’a annoncé, il reste à découvrir son autobiographie “I Ain’t Studdin’
Ya” (2021) qui retrace son odyssée. CHARLES FICAT
Depeche Mode 5 MARS, ACCOR ARENA (PARIS)
C’est le retour des Dieux du Stade, mais cette fois dans l’intimité relative de l’Accor Arena. Ça démarre avec “My Cosmos Is Mine”, ouverture de “Memento Mori”, premier album sans Fletch, et ça monte en puissance pendant 2 h 15. Au milieu des hits qui constellent la discographie DM (“Everything Counts”, “Black Celebration”, “Enjoy The Silence”), de l’émotion pure avec une étonnante version acoustique de “Strangelove” chanté d’une voix de cristal par Martin L Gore, génial lutin auteur de la majorité du catalogue. Un final en forme de tiercé gagnant avec “Just Can’t Get Enough”, “Never Let Me Down Again” et l’estocade finale, “Personal Jesus”, et Dave salue une dernière fois la foule enthousiaste. Inoubliable. OLIVIER CACHIN
Idles 7 MARS, ZéNITH (PARIS)
Que de chemin parcouru ! Sept petites années pour passer du Point Ephémère à un Zénith farci, une discographie admirable et des performances scéniques dantesques : Idles déchaînent les passions comme peu d’autres et ne fait clairement plus débat sur sa crédibilité ou sa longévité. Un Joseph Talbot des grands soirs, bandeau sur la tête, qui s’affirme en chanteur puissant dès l’inaugural “IDEA 01” ou qui harangue la foule sur “Gift Horse”, tandis que le guitariste Lee Kiernan enchaîne les crowd surfing sur “I’m Scum”. L’ajout d’un saxophoniste qui rivalise de vice et de folie furieuse avec la guitare de Mark Bowen s’avère génial, mais la grande force du groupe de Bristol est sans conteste sa façon de gérer avec audace et maestria les moments forts et les tempos plus lents. Vingt-quatre titres, deux heures de dingueries, le groupe ne lâche rien et salue le roi d’un majeur ! MATTHIEU VATIN