Le langage de nos ancêtres
Comment avoir des preuves de la maîtrise du langage chez nos lointains ancêtres ? La question demeure très débattue, car les tissus mous permettant la production de sons ne se conservent pas. Une équipe de recherche pluridisciplinaire*, réunie au sein de l’Institut des sciences du calcul et des données (ISCD) de l’Alliance Sorbonne Université, a généré un modèle de langue, passant de l’humain au babouin et à partir du seul support osseux. Ce qui rend possible une application aux fossiles.
Afin de répondre à la nécessité de mieux comprendre les capacités phonatoires de nos ancêtres, cette équipe de recherche réunissant mathématiciennes et mathématiciens, modélisateurs, paléontologues, primatologues, spécialistes de l’anatomie fonctionnelle, chirurgiennes (ORL) et chirurgien (dentiste) et aéroacousticiens, s'est formée à l'ISCD en 2020. L'enjeu consistait à élaborer une approche directe pour générer un modèle biomécanique du système vocal des homininés fossiles. Le défi technique résidait dans la capacité à pouvoir prédire les tissus disparus seulement à partir des structures osseuses.
En utilisant des images médicales de la tête et du cou, l'équipe de chercheurs a établi un modèle biomécanique de référence de la langue d'un humain vivant. Puis ce modèle a été adapté à un individu cible, en l’occurrence un babouin, en raison de ses différences morphologiques significatives avec les humains.
L'utilisation de radiographies précises du crâne du babouin a permis la comparaison des modèles de langue prédits à partir des seules structures osseuses, avec celui prédit à partir des structures osseuses et des tissus mous, ainsi qu’avec la langue du babouin. Les résultats sont prometteurs pour une application aux homininés fossiles, dont seul le support osseux est conservé. L'étude des vocalisations de macaques et de babouins a en effet révélé que la configuration du conduit vocal était suffisante pour produire des sons semblables à la parole humaine : ce qui remet en cause l'idée que la position basse du larynx était le déterminant clé pour le langage.
Cette découverte marque une nouvelle ère pour la paléoanthropologie. Elle va permettre de générer, pour la première fois, la langue propre à chaque spécimen fossile et évaluer sa mobilité dans la cavité buccale pour tester concrètement ses capacités à la parole, lesquelles étaient jusqu’alors inconnues...