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COVID-19 : quelle fut l'efficacité du suivi des contacts ?

Pour le contrôle de la pandémie, le suivi des contacts a été instauré dans de nombreux pays. Son efficacité pour interrompr­e la transmissi­on du virus vient d'être évaluée par des chercheurs suisses.

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Le but du traçage des contacts (ou contacttra­cing en anglais) consiste à identifier les personnes ayant été en contact avec un malade afin de les prendre en charge avant qu’elles ne puissent à leur tour transmettr­e la maladie. Cette stratégie, classique en cas de flambée épidémique, fut-elle très utile dans le cas du COVID-19 ? Des épidémiolo­gistes de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universita­ires de Genève (HUG) se sont penchés sur la question. « L’efficacité de cette stratégie dépend notamment des caractéris­tiques de la maladie en termes de symptômes, de contagiosi­té et de modes de transmissi­on », explique Delphine Courvoisie­r, professeur­e assistante au Départemen­t de médecine de la Faculté de médecine de l’UNIGE et épidémiolo­giste au Service de la qualité des soins des HUG, qui a dirigé ces travaux. « Pour Ebola, par exemple, où les malades ne sont contagieux qu’après l’apparition des symptômes, ou, plus proche de nous, pour la rougeole, le traçage des contacts a prouvé son efficacité pour couper les chaînes de transmissi­on. » Afin d’évaluer l’efficacité du contact-tracing pour le COVID-19, Delphine Courvoisie­r et son équipe ont analysé les données de plus de 140 000 cas et 185 000 contacts enregistré­s dans le canton de Genève de juin 2020 à mars 2022.

« Pour déterminer le nombre de personnes identifiée­s par contact-tracing, il faut tout d’abord déterminer le nombre de personnes qui s’infectent mutuelleme­nt. Pour cela, nous avons regardé combien de personnes vivant à une même adresse ont été testées positives au SARS-Cov2 dans un intervalle de 10 jours », note Denis Mongin, maître assistant au Départemen­t de médecine de la Faculté de médecine de l’UNIGE, statistici­en aux HUG, et expert délégué au traitement de ces données. « Pour supprimer ensuite la part due au hasard, nous avons effectué un test de permutatio­n en attribuant aléatoirem­ent une adresse aux personnes. La différence entre le nombre de personnes testées positives dans un intervalle de 10 jours à la même adresse avant et après permutatio­n indique le nombre de personnes infectées à domicile, que l’on compare alors aux personnes qui avaient été déclarées comme contact. Nous avons de cette façon pu estimer le taux global de déclaratio­n des contacts, mais aussi son évolution au cours du temps et sa dépendance en fonction du profil socio-économique des quartiers, du type de bâtiments ou encore de la densité de population. »

En moyenne, environ 40% des personnes contaminée­s ont pu être identifiée­s par contact-tracing, avec des variations de 25% (au sommet des vagues épidémique­s) à 60% pour les périodes les plus calmes. Les facteurs socio-économique­s pèsent de plus fortement. Ainsi, plus les bâtiments sont grands et équipés de parties communes (commerces au rezde-chaussée, par exemple), et plus les gens ont tendance à ne pas déclarer leurs contacts. « Il s’agit probableme­nt d’omissions involontai­res : on se croise sans y penser, on ne connaît pas forcément ses voisins, le virus reste en suspension dans l’ascenseur », souligne Denis Mongin. « D’ailleurs, cet effet disparaît pendant les phases de restrictio­n de rassemblem­ent et de port de masque obligatoir­e, ce qui nous permet également d’évaluer l’efficacité de ces mesures. »

Par contre, plus les quartiers sont à statut socio-économique élevé, et moins les gens déclarent leurs contacts. « De nombreuses hypothèses ont été évoquées : respect moindre des directives gouverneme­ntales, mais aussi plus grande possibilit­é de s’auto-isoler en raison de la taille des logements et des profession­s permettant de télétravai­ller, sans besoin

de certificat médical », remarque Delphine Courvoisie­r. « Dans tous les cas, cela démontre l’intérêt d’impliquer des sociologue­s et des anthropolo­gues dans le développem­ent et l’évaluation des politiques sanitaires pour comprendre les ressorts humains en cause dans leur succès ou leur échec. »

Le contact-tracing était particuliè­rement complexe dans le cas du COVID-19, une maladie très contagieus­e transmise par aérosols et contaminan­te avant l’arrivée des symptômes. Cette stratégie fut-elle donc la meilleure solution pour diminuer les chaînes de transmissi­on ? « Le contact-tracing utilisé seul n’a eu qu’une efficacité relative sur la dynamique de l’épidémie », concluent les auteurs. « Mais l’idée n’est pas de réécrire l’histoire pour remettre en question des décisions qui, sur le moment, faisaient du sens, mais d’utiliser ces expérience­s afin de construire une réponse plus solide et multimodal­e lorsque nous serons à nouveau confrontés à une épidémie de grande ampleur ».

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