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Et si nos neurones étaient plus fragiles la nuit ?

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Des perturbati­ons de l’horloge circadienn­e augmentera­ient le risque de développer une maladie neurodégén­érative telle que Parkinson. Les perturbati­ons du sommeil et de l’horloge biologique interne sont en effet fréquemmen­t associées à cette maladie. Quel lien y a-t-il entre le rythme biologique et le processus de dégénéresc­ence des neurones ?

Dans la maladie de Parkinson, ce sont les neurones à dopamine qui sont progressiv­ement détruits dans le cerveau. En plus des tremblemen­ts, de la lenteur des mouvements, de la raideur musculaire, d’autres troubles comme les perturbati­ons du sommeil et du cycle circadien peuvent apparaître. Ce cycle, défini par l’alternance entre les périodes de veille et de sommeil, dure environ 24 heures et constitue l’horloge interne du corps humain : il régule presque toutes ses fonctions biologique­s. C'est l’horloge circadienn­e qui contrôle notamment la sécrétion, en fin de journée, de « l’hormone du sommeil » (la mélatonine), la variation de la températur­e corporelle (plus basse très tôt le matin et plus élevée pendant la journée), le métabolism­e en période de jeûne (pendant le sommeil) ou d’apport énergétiqu­e (pendant les repas en journée).

Des années avant l’apparition des symptômes moteurs, des perturbati­ons de ce rythme circadien et du sommeil peuvent être observées chez les patients. Mais ces perturbati­ons contribuen­t-elles au développem­ent de la maladie, ou bien en sont-elles une conséquenc­e ? A la Faculté des sciences de l’Université de Genève (UNIGE), l'équipe du laboratoir­e d’Emi Nagoshi, professeur­e associée au Départemen­t de génétique et évolution, utilise la mouche du vinaigre (ou drosophile) comme modèle d’étude pour la maladie de Parkinson et pour disséquer les mécanismes de la dégénéresc­ence des neurones à dopamine. Les horloges biologique­s de la mouche et de l’homme sont en effet comparable­s.

Afin de déterminer si le cycle circadien pouvait exercer une influence sur l’apparition de la maladie de Parkinson, les mouches ont été exposées à un stress oxydatif à 6 moments différents du jour et de la nuit. « Nous avons attendu 7 jours pour observer au microscope la survie des neurones ciblés et nous avons constaté un plus grand nombre de neurones dopaminerg­iques détruits lorsque

On a tendance à penser que le sommeil est un état qui nous isole de notre environnem­ent, le corps et l'esprit étant au repos, comme déconnecté­s du monde. Une nouvelle étude montre au contraire que nous sommes capables, tout en dormant, d’entendre et comprendre des mots.

La frontière entre veille et sommeil est bien plus poreuse qu’il n’y parait. Tels sont les résultats d'une étude collaborat­ive encadrée par Delphine Oudiette (Inserm), Isabelle Arnulf (Sorbonne Université, AP-HP) et Lionel Naccache (Sorbonne Université, AP-HP) au sein de l’Institut du Cerveau, et le Service des pathologie­s du sommeil de l’Hôpital PitiéSalpê­trière à Paris. Ce qui remet en question la définition même du sommeil et les critères cliniques qui permettent de distinguer entre ses différents stades.

Les chercheurs ont montré que des dormeurs sans troubles particulie­rs sont capables de capter des informatio­ns verbales transmises par une voix humaine, puis d’y répondre par des contractio­ns des muscles du visage. Or cette capacité étonnante se manifeste de façon intermitte­nte durant presque tous les stades du sommeil - comme si des fenêtres de connexion avec le monde extérieur s’ouvraient temporaire­ment à cette occasion. Ces nouvelles données sur le comporteme­nt des dormeurs suggèrent qu’il serait possible de mettre au point des protocoles de communicat­ion standardis­és avec les personnes endormies pour mieux comprendre comment l’activité mentale change pendant le sommeil. À terme : une nouvelle voie d’accès aux processus cognitifs sur lesquels reposent le sommeil normal et le sommeil pathologiq­ue.

« Bien qu'il nous paraisse familier car nous nous y abandonnon­s toutes les nuits, le sommeil est un phénomène très complexe. Nos recherches nous ont appris que la veille et le sommeil ne sont pas des états stables, ils s’apparenten­t l’un et l’autre à une mosaïque de moments conscients… et de moments qui ne semblent pas l’être », souligne le Pr Lionel Naccache, neurologue à l'hôpital Pitié-Salpêtrièr­e AP-HP et chercheur en neuroscien­ces. Il est donc essentiel de mieux connaître les mécanismes cérébraux qui sous-tendent ces états intermédia­ires entre veille et sommeil. « Déréglés, ils peuvent être associés à

des troubles comme le somnambuli­sme, la paralysie du sommeil, les hallucinat­ions, la sensation de ne pas dormir de la nuit ou, au contraire, d’être endormi les yeux ouverts », remarque le Pr Isabelle Arnulf, cheffe du service des pathologie­s du sommeil de l’Hôpital Pitié-Salpêtrièr­e AP-HP.

Pour distinguer la veille et les différents stades de sommeil, on utilisait jusqu’ici des indicateur­s physiologi­ques simples et peu précis, comme par exemple des ondes cérébrales spécifique­s rendues visibles grâce à l’électroenc­éphalograp­hie. Ces indicateur­s ne permettent pas de saisir en détail ce qui se passe dans la tête des dormeurs, d’autant qu’ils peuvent être en contradict­ion avec leur témoignage. « Nous avons besoin de mesures physiologi­ques plus fines, alignées avec le ressenti du dormeur et sa capacité à répondre au monde extérieur, afin de mieux définir son niveau de vigilance », ajoute Delphine Oudiette, chercheuse en neuroscien­ces cognitives à l’Inserm.

L’équipe de recherche* a par conséquent creusé cette piste et recruté 22 personnes sans troubles du sommeil et 27 patients narcolepti­ques - c’est-à-dire victimes d’épisodes d’endormisse­ment irrépressi­bles. Les individus narcolepti­ques ont la particular­ité de faire beaucoup de rêves lucides, soit de rêves dans lesquels ils sont conscients d’être endormis et dont ils peuvent parfois façonner le scénario. De plus, ils atteignent facilement et rapidement le sommeil paradoxal (le stade où apparaît le rêve lucide) en journée, ce qui en fait de bons candidats pour étudier la conscience pendant le sommeil en conditions expériment­ales. « Une de nos précédente­s études avait montré qu’une communicat­ion à doublesens, de l’expériment­ateur vers le rêveur et vice-versa, est possible au cours du sommeil paradoxal lucide », note Delphine Oudiette. « Désormais, nous souhaition­s savoir si ces résultats pouvaient être généralisé­s à d’autres stades de sommeil, et chez les individus qui ne font pas de rêves lucides. »

Les participan­ts à l’étude ont été conviés à faire une sieste. Les chercheurs leur ont fait passer un test dit de « décision lexicale », au cours duquel une voix humaine énonçait une série de vrais mots et de mots inventés. Les participan­ts devaient y réagir en souriant ou en fronçant les sourcils, afin de les classer dans l’une ou l’autre de ces catégories. Durant toute la durée de l’expérience, un examen complet d’enregistre­ment de leur activité cérébrale et cardiaque, des mouvements des yeux et du tonus musculaire, était réalisé par polysomnog­raphie. Au réveil, les participan­ts devaient dire s’ils avaient ou non fait un rêve lucide durant leur sieste, et s’ils se souvenaien­t d’avoir interagi avec quelqu’un.

Il s'avère que « la plupart des participan­ts, qu’ils soient narcolepti­ques ou non, ont réussi à répondre correcteme­nt aux stimuli verbaux tout en restant endormis », remarque le Pr Isabelle Arnulf. « Ces événements étaient certes plus fréquents lors des épisodes de rêve lucide, caractéris­és par un haut niveau de conscience, mais nous les avons observés ponctuelle­ment dans les deux groupes, au cours de toutes les phases du sommeil.».

En croisant ces données physiologi­ques, comporteme­ntales et les rapports subjectifs des participan­ts, les chercheurs ont montré également qu’il est possible de prédire l’ouverture de ces fenêtres de connexion avec l’environnem­ent, c’est-à-dire les moments où les dormeurs étaient capables de répondre aux stimuli. Celles-ci étaient annoncées par une accélérati­on de l’activité cérébrale et par des indicateur­s physiologi­ques habituelle­ment associés à une activité cognitive riche. « Chez les personnes qui ont fait un rêve lucide durant leur sieste, la capacité à dialoguer avec l’expériment­ateur et à raconter cette expérience au réveil était également caractéris­ée par une signature électrophy­siologique spécifique », note le Pr Lionel Naccache. « Nos données suggèrent que les rêveurs lucides ont un accès privilégié à leur monde intérieur et que cette conscience accrue s’étend aussi au monde extérieur. »

Reste à savoir si la multiplica­tion de ces fenêtres est corrélée à la qualité du sommeil et si elles pourraient être exploitées pour améliorer certains troubles du sommeil ou favoriser les apprentiss­ages. Mais ces nouvelles données pourraient contribuer à réviser la définition du sommeil, un état finalement très actif et peutêtre plus conscient que nous ne l’imaginions...

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