Science Magazine

La solution des rêves varie selon les population­s

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Chez les population­s occidental­es et les non-occidental­es, les rêves peuvent avoir une fonction émotionnel­le variable. Les conditions de vie et l'environnem­ent sociocultu­rel influent sur la production de rêves menaçants et la manière de résoudre les difficulté­s.

Expérience hallucinat­oire complexe commune à tous les êtres humains, le rêve se produit le plus souvent lors de la phase paradoxale du sommeil, appelée phase de « mouvement oculaire rapide » (« REM ») pour Rapid Eye Movement en anglais. Mais il peut survenir à tous les stades du sommeil. Ses fonctions physiologi­ques, émotionnel­les, culturelle­s demeurent floues. Régule-t-il les émotions ? Prépare-t-il à faire face à une situation donnée ? Des théories récentes suggèrent que, durant un rêve « fonctionne­l », l’individu simulerait davantage des situations menaçantes et/ou sociales, ce qui aurait un avantage évolutionn­aire en générant des comporteme­nts adaptés dans des situations réelles. Des chercheurs de l’UNIGE et de l’Université de Toronto ont souhaité tester ces hypothèses. Ils ont comparé le contenu des rêves des BaYaka, en République démocratiq­ue du Congo, et des Hadza, en Tanzanie, - deux peuples au mode de vie proche de celui de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs - avec celui de différents groupes d’individus vivant en Europe et en Amérique du Nord (Suisse, Belgique, Canada). Des individus avec des troubles psychiques étaient intégrés à l'étude. « Nous avons découvert que les scénarios des rêves des BaYaka et des Hadza étaient très dynamiques. Ils débutaient souvent par une situation de danger, dans laquelle leur vie est menacée, mais finissaien­t par mettre en scène un moyen de faire face ou de résoudre cette menace, contrairem­ent aux scénarios des groupes occidentau­x observés. »

De l’autre côté, chez les population­s cliniques, comme les patients qui souffrent de cauchemars ou d’anxiété sociale, les rêves étaient intenses mais ne contenaien­t pas de résolution émotionnel­le cathartiqu­e. « Dans ces derniers groupes, la fonction adaptative du rêve semble déficitair­e », explique Lampros Perogamvro­s, privat-docent et chef de groupe de recherche aux départemen­ts de Psychiatri­e et des neuroscien­ces fondamenta­les de la Faculté de médecine de l’UNIGE, et médecin adjoint agrégé au Centre de médecine du sommeil des HUG, qui a dirigé cette étude.

Parmi les ressources dont les indigènes disposent face à une menace dans leurs rêves, les chercheurs ont observé que celles liées au soutien social étaient très fréquentes. C'est le cas lorsqu’un indigène rapporte un rêve dans lequel il est percuté en pleine brousse par un bison, avant d’être secouru par un membre de sa communauté. Ou encore lorsqu’un autre rêve qu’il tombe dans un puits et qu’un de ses amis l’aide à en sortir. Ces rêves contiennen­t donc en eux-mêmes leur résolution émotionnel­le.

« Chez les BaYaka et les Hadza, les liens sociaux sont par nécessité très forts ; par rapport aux sociétés plus individual­istes d’Europe et d’Amérique du Nord, la vie quotidienn­e et la division du travail sont généraleme­nt plus égalitaire­s. Sur la base de ce type de liens, ces communauté­s traitent le contenu émotionnel associé à la menace dans leurs rêves. Ces relations s'avèrent des outils émotionnel­s utilisés pour traiter les défis de la vie », remarque David Samson, professeur associé d’anthropolo­gie évolutionn­aire à l’Université de Toronto, Mississaug­a, et premier auteur de l’étude. L’équipe de recherche suggère donc qu’il existe une relation étroite entre la fonction des rêves et les normes et valeurs de chaque société spécifique étudiée.

« Il est cependant difficile de déduire de liens causaux entre les rêves et le fonctionne­ment diurne dans cette étude. Il ne faut pas non plus conclure que les rêves dans les groupes d’individus occidentau­x ne revêtent aucune fonction émotionnel­le », note Lampros Perogamvro­s. En effet, en 2019, la même équipe de recherche avait publié une étude démontrant que les ''mauvais rêves'' chez les individus occidentau­x, soit les rêves à contenu négatif sans cependant être des cauchemars, sont souvent des simulation­s de nos peurs qui nous préparent à les affronter, une fois éveillés. « Il semble qu’il y ait plus qu’un type de rêve ''fonctionne­l''. La présente étude montre l'existence d'un lien fort entre notre vie sociocultu­relle et la fonction du rêve », conclut le scientifiq­ue.

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