Des expéditions épiques
C'est donc au cours d’extraordinaires expéditions internationales que ces transpositions de peintures rupestres ont été réalisées, comme celles de l'abbé français Henri Breuil à partir des années 1900, celles de l’Allemand Leo Frobenius dès les années 1910, puis celles de Gérard Bailloud et d’Henri Lhote à partir des années 1950. Véritables aventures pour certaines, ces missions correspondent aux débuts de l’étude de la Préhistoire à l’échelle mondiale, favorisée par l'élaboration des relevés. Des séries de photographies documentent ces voyages, permettant de mieux comprendre le travail de ces pionniers… et pionnières, les femmes y étant nombreuses !
Pionnier dans le domaine au début du 20e siècle, l'abbé Breuil est souvent surnommé « le pape de la Préhistoire », car c'est grâce à lui que la Préhistoire est devenue une véritable discipline scientifique. Passionné par les grottes ornées, il rêvait d'atteindre « l'humanité » des êtres préhistoriques via leurs productions artistiques. Il passa ainsi des centaines de journées sous terre, réalisant des milliers de relevés d’art préhistorique. Il participa à la découverte et à l’étude des grottes de Font-de-Gaume et des Combarelles, dans la vallée de la Vézère, à l’authentification des peintures de la grotte d’Altamira en Espagne, et c’est lui qui sera appelé en 1940 pour expertiser la grotte de Lascaux tout juste découverte. Mais il voyagea également en Chine et en Afrique du Sud. En 1910, il fondait à Paris l’Institut de Paléontologie humaine, et occupa de 1929 à 1946 une chaire de Préhistoire au Collège de France.
Les calques et les relevés de l'abbé Breuil présentés dans l'exposition ne sont jamais sortis des collections de la Bibliothèque centrale du Muséum.
Ethnologue allemand passionné par l'Afrique, Léo Frobenius a réalisé, au cours de ses expéditions autour du globe, des relevés d'une taille, d'une beauté et d'une précision spectaculaires. Convaincu de la valeur des cultures africaines et de la nécessité de les documenter, il s’intéressa aussi à la peinture pariétale préhistorique, dont il était persuadé de trouver des traces sur le continent africain. Ses premières expéditions s'effectuèrent dans l'Atlas saharien en 1914, puis en Érythrée, et après-guerre dans le désert nubien, en Afrique australe, en Afrique du Sud, au Zimbabwe, au Lesotho, etc. De nombreuses femmes dessinatrices (la première d'entre elles étant Agnès Schulz) y prirent part, et ce dans des conditions de vie très spartiates : restrictions alimentaires, pannes d'essence, maladies tropicales, aléas climatiques... Mais des centaines de sites furent découverts et leurs relevés sont exposés dans toute l'Europe avec un succès retentissant.
L'exposition donne également l'occasion rare d'admirer des relevés d'Henri Lhote, figurant parmi les trésors des collections du Musée de l'Homme. Cet autodidacte, né au début du 20e siècle, nous a laissé de fascinantes images du Sahara vert à l'époque néolithique, peuplé de girafes, d’éléphants, d’humains chassant ou conduisant des troupeaux. Elles témoignent des débuts de l’élevage et d’un climat
radicalement différent de celui que connaît l’Afrique du Nord de nos jours. Un immense relevé sur papier (de 7,5 m sur 3,5 m), intitulé le « Grand Dieu aux orantes de Séfar » (un site troglodyte saharien) représente un être hybride étonnant, démesuré par rapport aux personnages et animaux qui l’entourent, affublé de cornes et levant les bras. Un riche fond photographique montre l'aventure humaine hors du commun lors de ces expéditions. Au coeur d'un campement reconstitué, l'authentique malle d'Henri Lhote, avec ses craies, ses pinceaux, ses bouteilles d’encre, ses ciseaux, sa boîte de pansements, etc., est exposée pour la première fois.
En 1956, Henri Lhote, encouragé par le préhistorien Henri Breuil et le directeur du Musée de l’Homme Paul Rivet, entreprit sa première mission dans le Tassili n’Ajjer, avec une caravane de 30 chameaux. La richesse des fresques qu’il y trouva le laissa sans voix, en proie à l’impression de se trouver devant « le plus grand musée d’art préhistorique existant au monde... », comme il l’écrira en 1958. Il réalisera 4 missions entre 1956 et 1962, dans différentes zones du Tassili, entouré de jeunes dessinateurs, de peintres, d’un photographe et d’un guide touareg. L’équipe en rapporta une immense quantité de matériel archéologique et de relevés.
Contrairement à Breuil, dont les calques réalisés in situ étaient retravaillés ensuite à échelle réduite, Lhote avait la possibilité de réaliser tous ses relevés entièrement sur place, grandeur nature et en couleur. Si ce procédé permet une très bonne fidélité des reproductions, il est cependant loin d’être idéal pour la conservation des fresques, lesquelles sont notamment mouillées pour en aviver les contours. Mais c’est cependant grâce à lui que l’art rupestre du Tassili s’est fait connaître auprès d’un large public : une sélection de ses relevés seront, dès le retour de la première expédition, exposés avec succès au Musée des Arts décoratifs.
« Grâce aux relevés et aux photographies de l'époque, il est possible de reconstruire numériquement les peintures rupestres endommagées. »