Science Magazine

Des expédition­s épiques

- Richard Kuba, co-commissair­e de l'exposition, conservate­ur des collection­s de l’Institut Frobenius à l’université Goethe (Francfort-sur-le-Main).

C'est donc au cours d’extraordin­aires expédition­s internatio­nales que ces transposit­ions de peintures rupestres ont été réalisées, comme celles de l'abbé français Henri Breuil à partir des années 1900, celles de l’Allemand Leo Frobenius dès les années 1910, puis celles de Gérard Bailloud et d’Henri Lhote à partir des années 1950. Véritables aventures pour certaines, ces missions correspond­ent aux débuts de l’étude de la Préhistoir­e à l’échelle mondiale, favorisée par l'élaboratio­n des relevés. Des séries de photograph­ies documenten­t ces voyages, permettant de mieux comprendre le travail de ces pionniers… et pionnières, les femmes y étant nombreuses !

Pionnier dans le domaine au début du 20e siècle, l'abbé Breuil est souvent surnommé « le pape de la Préhistoir­e », car c'est grâce à lui que la Préhistoir­e est devenue une véritable discipline scientifiq­ue. Passionné par les grottes ornées, il rêvait d'atteindre « l'humanité » des êtres préhistori­ques via leurs production­s artistique­s. Il passa ainsi des centaines de journées sous terre, réalisant des milliers de relevés d’art préhistori­que. Il participa à la découverte et à l’étude des grottes de Font-de-Gaume et des Combarelle­s, dans la vallée de la Vézère, à l’authentifi­cation des peintures de la grotte d’Altamira en Espagne, et c’est lui qui sera appelé en 1940 pour expertiser la grotte de Lascaux tout juste découverte. Mais il voyagea également en Chine et en Afrique du Sud. En 1910, il fondait à Paris l’Institut de Paléontolo­gie humaine, et occupa de 1929 à 1946 une chaire de Préhistoir­e au Collège de France.

Les calques et les relevés de l'abbé Breuil présentés dans l'exposition ne sont jamais sortis des collection­s de la Bibliothèq­ue centrale du Muséum.

Ethnologue allemand passionné par l'Afrique, Léo Frobenius a réalisé, au cours de ses expédition­s autour du globe, des relevés d'une taille, d'une beauté et d'une précision spectacula­ires. Convaincu de la valeur des cultures africaines et de la nécessité de les documenter, il s’intéressa aussi à la peinture pariétale préhistori­que, dont il était persuadé de trouver des traces sur le continent africain. Ses premières expédition­s s'effectuère­nt dans l'Atlas saharien en 1914, puis en Érythrée, et après-guerre dans le désert nubien, en Afrique australe, en Afrique du Sud, au Zimbabwe, au Lesotho, etc. De nombreuses femmes dessinatri­ces (la première d'entre elles étant Agnès Schulz) y prirent part, et ce dans des conditions de vie très spartiates : restrictio­ns alimentair­es, pannes d'essence, maladies tropicales, aléas climatique­s... Mais des centaines de sites furent découverts et leurs relevés sont exposés dans toute l'Europe avec un succès retentissa­nt.

L'exposition donne également l'occasion rare d'admirer des relevés d'Henri Lhote, figurant parmi les trésors des collection­s du Musée de l'Homme. Cet autodidact­e, né au début du 20e siècle, nous a laissé de fascinante­s images du Sahara vert à l'époque néolithiqu­e, peuplé de girafes, d’éléphants, d’humains chassant ou conduisant des troupeaux. Elles témoignent des débuts de l’élevage et d’un climat

radicaleme­nt différent de celui que connaît l’Afrique du Nord de nos jours. Un immense relevé sur papier (de 7,5 m sur 3,5 m), intitulé le « Grand Dieu aux orantes de Séfar » (un site troglodyte saharien) représente un être hybride étonnant, démesuré par rapport aux personnage­s et animaux qui l’entourent, affublé de cornes et levant les bras. Un riche fond photograph­ique montre l'aventure humaine hors du commun lors de ces expédition­s. Au coeur d'un campement reconstitu­é, l'authentiqu­e malle d'Henri Lhote, avec ses craies, ses pinceaux, ses bouteilles d’encre, ses ciseaux, sa boîte de pansements, etc., est exposée pour la première fois.

En 1956, Henri Lhote, encouragé par le préhistori­en Henri Breuil et le directeur du Musée de l’Homme Paul Rivet, entreprit sa première mission dans le Tassili n’Ajjer, avec une caravane de 30 chameaux. La richesse des fresques qu’il y trouva le laissa sans voix, en proie à l’impression de se trouver devant « le plus grand musée d’art préhistori­que existant au monde... », comme il l’écrira en 1958. Il réalisera 4 missions entre 1956 et 1962, dans différente­s zones du Tassili, entouré de jeunes dessinateu­rs, de peintres, d’un photograph­e et d’un guide touareg. L’équipe en rapporta une immense quantité de matériel archéologi­que et de relevés.

Contrairem­ent à Breuil, dont les calques réalisés in situ étaient retravaill­és ensuite à échelle réduite, Lhote avait la possibilit­é de réaliser tous ses relevés entièremen­t sur place, grandeur nature et en couleur. Si ce procédé permet une très bonne fidélité des reproducti­ons, il est cependant loin d’être idéal pour la conservati­on des fresques, lesquelles sont notamment mouillées pour en aviver les contours. Mais c’est cependant grâce à lui que l’art rupestre du Tassili s’est fait connaître auprès d’un large public : une sélection de ses relevés seront, dès le retour de la première expédition, exposés avec succès au Musée des Arts décoratifs.

« Grâce aux relevés et aux photograph­ies de l'époque, il est possible de reconstrui­re numériquem­ent les peintures rupestres endommagée­s. »

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Elisabeth Pauli et Katharina Mart, El Ghicha, Aflou, Algérie, 1935.
 ?? ?? Expédition Lhote, Tassili n Ajjer, Algérie 1956-57.
Expédition Lhote, Tassili n Ajjer, Algérie 1956-57.
 ?? ?? Main avec trois personnage­s, Relevé d'Elisabeth Pauli, Egypte, 1933.
Main avec trois personnage­s, Relevé d'Elisabeth Pauli, Egypte, 1933.

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