Aux origines d’une invention
La bicyclette, une histoire qui roule
D’abord prisée par les élites, symbole de liberté et d’émancipation des femmes, elle va peu à peu conquérir le coeur de tous les Français sous le surnom affectueux de petite reine. Par Emma Clemens
En 1817, l’Allemand Karl Drais von Sauerbronn invente le vélocipède (du latin « velox », « rapide », et « pes, pedis », « pied »), un engin permettant de se déplacer plus vite qu’à pied et avec moins d’efforts. Également appelée draisienne, du nom de son créateur, sans pédale et en bois, l’invention offre un confort rudimentaire, mais elle est très appréciée des aristocrates anglais et français, de 1 817 à 1 820. Passé l’effet de mode, elle tombe dans l’oubli après avoir satisfait la curiosité des élites.
Les premiers modèles
En 1839, un Écossais du nom de Kirkpatrick MacMillan ajoute à la draisienne des pédales qui actionnent une roue motrice à l’arrière. Il est le premier à imaginer un déplacement en équilibre avec des mouvements de va-et-vient des jambes. Mais il est peu connu de ses contemporains français qui attribuent cette évolution à la famille Michaux. En effet, Pierre et son fils Ernest présentent, en 1861, un vélocipède doté d’un pédalier sur la roue avant. Le succès n’est pas immédiat et il faut attendre l’exposition universelle de 1 867 pour que les Michaux voient les ventes s’envoler. À la fin de la décennie, ils sont aux commandes d’une entreprise de 300 ouvriers avec une production journalière de 200 modèles. La folie du deux-roues est en marche. Cette passion touche les aristocrates et bourgeois, les hommes comme les femmes. Une presse spécialisée se développe avec « Le Vélocipède illustré », qui informe les curieux des avancées technologiques comme les freins ou l’ajout de caoutchouc dans les roues, traite de la jurisprudence concernant la circulation, donne des conseils… Le magazine est à l’initiative de la première course de fond de 123 km, en 1869, qui relie Paris à Rouen. Le cyclisme est né. L’engouement pour la machine se traduit aussi par la
multiplication des commerces qui en louent. À Paris, porte Maillot, on peut apprendre à en faire pour 10 francs. Même le prince impérial, fils de Napoléon III, est touché par la « vélocipédomanie », au point que, après la chute du Second Empire, certains le surnomment Vélocipède IV !
Un symbole de modernité
La première bicyclette voit le jour en 1880 avec l’intégration d’un pédalier entraînant une chaîne qui actionne la roue arrière. Mais son apparition est occultée par celle du grand-bi avec sa roue avant d’un diamètre de 3 m. En 1884, la Rover Safety Bicycle, ou bicyclette de sécurité, arrive avec ses deux roues plus petites qui limitent les risques de chute. Les deux dernières décennies du XIXe siècle sont marquées par des transformations sociales faisant de Paris la capitale du plaisir et de la modernité. Les bourgeois usent et abusent de la bicyclette. Plus pratique et sécurisée que les modèles précédents, la petite reine propose une indépendance et une liberté de mouvement que n’offrent pas les transports en commun. Pierre et Marie Curie vont jusqu’à demander deux bicyclettes en cadeau de mariage, eux qui ont projeté, en guise de voyage de noces, de faire le tour de l’Île-de-France…
Auto contre vélo ?
Avec l’arrivée de l’automobile, le prix de la bicyclette diminue, la rendant accessible aux classes populaires. Pratique pour rentrer chez soi après une journée de travail, elle facilite la vie d’un ouvrier et lui permet d’augmenter son temps de loisirs. Dans la première moitié du XXe siècle, on en voit de plus en plus. L’ouvrier, père de famille, n’est plus le seul à en posséder une, tous les membres de la famille ont la leur. La plupart du temps achetée après avoir le certificat d’études ou la première paie, elle donne plus de liberté et nourrit des ambitions sportives. Le Tour de France voit le jour en 1903, long de 2 428 kilomètres en six étapes. Très apprécié par les classes populaires, il incite au dépassement de soi. Aujourd’hui encouragée pour ses vertus écologiques, la bicyclette fut avant tout un symbole de liberté, de modernité et d’espérance en des jours meilleurs.