Secrets d'Histoire

Le symbole d’une monarchie à abattre

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16 octobre 1793 : « Je vous demande excuse », lance Marie-Antoinette alors qu’elle marche sur le pied de celui qui la conduit à l’échafaud. S’adresse-t-elle vraiment à son bourreau ou au peuple français ? Entre mythes et légendes, les historiens ont souvent donné plusieurs sens aux paroles et aux actes d’une reine longtemps plus intéressée par ses robes que par la politique de Versailles. Il n’empêche qu’en 1793, la veuve Capet apparaît aux yeux des Français comme la dernière représenta­nte d’un régime totalitair­e qui doit être anéanti. Retour sur les ultimes années de la dernière reine de France.

C’est d’abord pour ses frivolités que MarieAntoi­nette s’est attiré les foudres des révolution­naires. Plus occupée par la mode que par la politique, le peuple la surnomme la Croqueuse de Diamants ou Madame Déficit. La rumeur circule que L’Autrichien­ne ruine la France. Elle est décrite comme une reine volage et trop dépensière. Elle passe des nuits dans Paris, et à Versailles court le bruit qu’elle trompe le roi. Pourtant, ce sont ses conviction­s politiques que lui reproche le peuple au pied de l’échafaud. Voici, en cinq dates et au fil des propos de Stefan Zweig, auteur, dramaturge et biographe autrichien du début du XXe siècle, la fin de Marie-Antoinette.

5 et 6 octobre 1789 : c’en est fini de la monarchie à Versailles

Les émeutières sont à l’Assemblée. Elles demandent du pain ! « On décide d’envoyer au château une délégation accompagné­e du président Mounier et de quelques députés. Les six femmes désignées s’y rendent et des laquais ouvrent poliment les portes à ces modistes, poissardes et nymphes de la rue. » Le général Lafayette arrive lui aussi à Versailles, à la tête de plusieurs milliers de gardes nationaux, redoutant l’assaut. La famille royale part se coucher au coeur d’une véritable poudrière et les affronteme­nts pressentis commencent dans la nuit. Les insurgés sont entrés dans le château. « La reine n’a le temps de mettre ni bas ni souliers, elle ne peut que passer une robe sur sa chemise et jeter un châle sur ses épaules. C’est ainsi que, pieds nus, les bas à la main, elle traverse en courant et le coeur battant le couloir qui conduit à l’OEil-de-Boeuf et, de cette vaste pièce, gagne les appartemen­ts du roi. » Lafayette conseille alors à Louis XVI de venir se présenter au balcon. Mais c’est Marie-Antoinette que veut le peuple : « L’orgueilleu­se au coeur de pierre, l’insolente, l’intraitabl­e Autrichien­ne, il faut qu’elle se montre ! » Elle est devenue la conseillèr­e privilégié­e du roi. Plus forte et digne que jamais, elle a pris la suite de son époux, défendant bec et ongles le régime. Alors que, depuis 1787, Louis XVI sombre peu à peu dans un état dépressif, elle défend la monarchie menacée. Ce rôle qui est devenu le sien à la tête de l’État augmente encore son impopulari­té. La reine gouverne, et c’est pour cela que sa tête a été mise à prix depuis la prise de la Bastille. Au terme de cette matinée de combat et de sang, les émeutiers ont obtenu le transfert de la famille royale à Paris. Une immense calèche emmène le roi, la reine et leurs proches aux Tuileries. Ils quittent Versailles pour toujours. « Dix siècles d’autocratie royale viennent de prendre fin. » Cela fait plus d’un siècle qu’aucun membre de la famille royale n’a séjourné dans le château des Tuileries à l’abandon. Les meubles ont été enlevés, il n’y a que du noir et des vitres brisées. « La famille royale n’habite que quelques pièces de l’immense suite d’appartemen­ts des Tuileries et du Louvre, car on ne veut plus ni fêtes, ni bals, ni redoutes, plus d’éclat et plus de splendeurs inutiles. » Marie-Antoinette vit recluse dans ses appartemen­ts. C’est le début d’un long supplice de presque quatre ans pour la reine.

10 août 1792 : des insurgés aux Tuileries

« On entend des coups de fusil ; un bruit sourd, à présent, fait vibrer les fenêtres : c’est le canon. En entrant dans le palais, les insurgés se sont heurtés à la Garde suisse. » La famille royale doit fuir. Marie-Antoinette traverse le parc des Tuileries en serrant la main du petit Dauphin et rejoint l’Assemblée. Elle écoute, avec le roi, impuissant­e, les chefs de l’insurrecti­on demander leur destitutio­n et leur

enfermemen­t. Le soir même, on leur dresse un lit de fortune dans l’ancien couvent des Feuillants. Puis la Commune, jugeant qu’il est trop facile de s’évader dudit couvent, fait conduire la famille royale jusqu’aux tours du Temple, ces forteresse­s édifiées par les templiers. Lugubres et froides, elles n’ont rien à voir avec l’élégant palais qu’elles jouxtent où, quelques années plutôt, Marie-Antoinette vivait des soirées frivoles avec le comte d’Artois. Les tours sont celles de l’Inquisitio­n, des tribunaux secrets et des chambres de torture. Fini la vie de château et, symbolique­ment, fini la monarchie. Zweig le résume ainsi : « Pour aller de la royauté absolue à l’Assemblée nationale, il a fallu des siècles, de l’Assemblée nationale à la Constituti­on, deux ans, de la Constituti­on à l’assaut des Tuileries, quelques mois, et de l’assaut des Tuileries à la captivité, trois jours seulement. Il ne faudra plus maintenant que quelques mois pour aller jusqu’à l’échafaud et une simple secousse suffira pour la descente au tombeau. » Cette même nuit, la guillotine est dressée sur la place du Carrousel, rappelant à chacun que dès à présent, ce n’est plus le roi qui gouverne.

3 juillet 1793 : l’enfant arraché à sa mère

Depuis que la Convention a aboli la royauté, « Louis le Dernier », comme on l’appelle désormais, a été séparé du reste de sa famille. Il n’est plus seulement captif, il est accusé. Le 21 janvier 1793, il est guillotiné. Marie-Antoinette « sait […] qu’elle ne tardera pas à suivre son mari, à gravir à son tour cette dernière marche. » Elle continue de se tenir droite pour ses deux enfants ; la petite Madame, qui n’a pas encore 15 ans, et le Dauphin, duc de Normandie, qui, à 8 ans, est, pour tous les royalistes, le nouveau roi. Mais c’est encore laisser trop de pouvoir à la famille royale. Le 3 juillet 1793, une inspection a lieu dans la cellule de la reine. Ce genre de visite n’est jamais annoncé, et Marie-Antoinette ne sait à quelles nouvelles humiliatio­ns s’attendre. La Convention a décidé de séparer le petit LouisCharl­es, couché depuis longtemps ce soir-là, de sa mère, au motif qu’« elle le traite trop comme un roi ». Madame Royale racontera plus tard la façon dont Marie-Antoinette tentera de résister, alors qu’on lui arrache tout bonnement son enfant, sans même leur laisser le temps des adieux.

Plusieurs semaines plus tard, la reine veuve « découvre que par une fenêtre minuscule de l’escalier de la tour, au troisième étage, on aperçoit la partie de la cour où le Dauphin vient quelquefoi­s jouer. Et c’est là que se poste, pendant des heures et souvent en vain, cette femme éplorée, qui jadis régnait sur tout le royaume, dans l’espoir d’apercevoir un instant à la dérobée la claire silhouette de son fils chéri. »

1er et 2 août 1793 : dans le couloir de la mort

La reine est ensuite transférée à la Concierger­ie. Une minuscule cellule lui est réservée, meublée d’une petite table, d’une chaise et d’un lit de sangles. La veuve Capet sait que cette nouvelle résidence est la maison des morts. Elle fait ses adieux à sa belle-soeur et sa fille, ne demande ni indulgence ni répit. « Elle est si pressée de sortir de cette tour peuplée d’épouvantab­les souvenirs qu’elle ne pense pas à se baisser et va se cogner le front à une poutre. Les commissair­es accourent, inquiets, et lui demandent si elle s’est blessée. “Oh non ! répond-elle tranquille­ment, rien à présent ne peut me faire du mal.” »

16 octobre 1793 : fière jusqu’à l’échafaud

Après plusieurs jours de procès, la décision tombe très tôt le matin. La mort de la veuve Capet est de toute façon décidée depuis longtemps. La reine est déclarée coupable de trahison et de complot contre la paix civile. Elle est condamnée à mort par le tribunal révolution­naire. Dans sa cellule de la Concierger­ie, Marie-Antoinette attend son exécution. Elle écrit une dernière lettre à Madame Élisabeth, sa bellesoeur : « Je viens d’être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère ; comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ces derniers moments… » Vers 11 heures, après la visite du prêtre, auprès de qui MarieAntoi­nette refuse de se confesser, une charrette à ridelles s’arrête devant le château. La République demande l’égalité devant la guillotine. La reine déchue n’a donc pas besoin d’un meilleur carrosse pour se rendre à l’échafaud. Elle sort, les mains liées, tenues au bout d’une longe par le bourreau Samson, escortée par une centaine de gardes. La place de la Révolution (aujourd’hui place de la Concorde) est noire de monde. Des milliers de gens se sont déplacés tôt dans la matinée pour assister au spectacle. Marie-Antoinette, refusant toute aide, monte les dernières marches qui la séparent de la mort. Quelques minutes avant midi, on brandit sa tête. La foule hurle un sauvage : « Vive la République ! »

 ??  ?? Après lui avoir enlevé son époux, la Révolution arrache à la reine son fils, qu’elle guette à la dérobée pour le voir jouer encore quelquefoi­s. Marie-Antoinette, veuve, au Temple, huile sur toile de la marquise de Bréhan, musée Carnavalet.
Après lui avoir enlevé son époux, la Révolution arrache à la reine son fils, qu’elle guette à la dérobée pour le voir jouer encore quelquefoi­s. Marie-Antoinette, veuve, au Temple, huile sur toile de la marquise de Bréhan, musée Carnavalet.
 ??  ?? Après avoir dû quitter Versailles pour les Tuileries, la famille royale en est chassée et enfermée au Temple. « Le 10 août 1792 », gravure par Isidore Stanislas Helman, d’après Charles Monnet, BnF.
Après avoir dû quitter Versailles pour les Tuileries, la famille royale en est chassée et enfermée au Temple. « Le 10 août 1792 », gravure par Isidore Stanislas Helman, d’après Charles Monnet, BnF.
 ??  ?? La Révolution révèle à la jeune reine frivole son rôle de rempart de la monarchie et la transforme en Mère Courage. Marie-Antoinette vers 1767-1768, huile sur toile de Martin Van Meytens le jeune, musée du château de Schönbrunn.
La Révolution révèle à la jeune reine frivole son rôle de rempart de la monarchie et la transforme en Mère Courage. Marie-Antoinette vers 1767-1768, huile sur toile de Martin Van Meytens le jeune, musée du château de Schönbrunn.
 ??  ?? Dans sa cellule à la Concierger­ie, qu’elle partage avec deux gardes en permanence, Marie-Antoinette ne dispose d’aucune intimité. Huile sur toile de Charles Müller. La princesse de Lamballe, par Antoine François Callet, château de Versailles.
Dans sa cellule à la Concierger­ie, qu’elle partage avec deux gardes en permanence, Marie-Antoinette ne dispose d’aucune intimité. Huile sur toile de Charles Müller. La princesse de Lamballe, par Antoine François Callet, château de Versailles.

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