L’ange de la Révolution
« J’ai tué un homme pour en sauver cent mille », clame Charlotte Corday à ses juges. En assassinant Marat, la jeune femme est convaincue d’accomplir son devoir, et choisit son destin sans trembler. Et de citer son arrière-grand-oncle dans une lettre à son père : « N’oubliez pas ce vers de Corneille : le crime fait la honte, et non pas l’échafaud ! » Martyre pour les uns, monstre sanguinaire pour les autres, elle est la femme qui a accompli ce qu’aucun homme n’a osé.
Le 13 juillet 1793, Marat est dans son bain. Il soigne une maladie de peau qui l’épuise et l’empêche désormais de se rendre à la Convention. Il écrit et s’est installé une tablette en travers de la baignoire. C’est la fin de l’aprèsmidi et le jour commence à baisser. Il entend des éclats de voix, comprend qu’il s’agit de cette jeune femme qui, par deux fois, lui a envoyé des billets pour lui apporter des nouvelles de Caen. On lui interdit de monter, l’entourage de Marat est méfiant, il a reçu tellement de menaces. Mais il leur crie de laisser entrer la jeune femme.
Meurtre avec préméditation
Charlotte Corday a 24 ans. Elle est plutôt grande, a des cheveux châtain clair, un visage ovale et régulier, des yeux gris et un regard vif. Elle est venue dénoncer un complot des Girondins. Il l’écoute, note des noms, et parle avec elle pendant un moment. Elle finit par lui demander ce qui va arriver aux hommes qu’elle a cités. Elle l’avouera, à la vue de cet homme malade, sa détermination a vacillé. Jusqu’à ce qu’il lui réponde : « Dans quelques jours, ils seront tous guillotinés. » Le voilà, le monstre sanguinaire qu’elle est venue abattre. Elle glisse la main dans son corsage, en tire le couteau de
cuisine qu’elle a acheté exprès le matin même et le poignarde d’un coup franc. Marat n’a le temps que d’appeler à l’aide, avant de succomber. Le couteau a percé l’aorte, le poumon et le coeur. Tout le monde accourt, il est déjà trop tard, et Charlotte Corday n’oppose guère de résistance.
Pourquoi Marat ?
Issue de la petite noblesse normande, Charlotte Corday est une descendante de Corneille. Bercée de lectures et de tragédies, peut-être aspire-t-elle à avoir un destin. Depuis 1791, elle vit à Caen, chez une tante, et assiste aux débats organisés par les Girondins qui s’y sont réfugiés. Poursuivis par les Montagnards, ils ne cessent de dénoncer leurs crimes. Un nom revient sans cesse : Marat. Directeur du journal « L’Ami du peuple », ce député jacobin a approuvé les massacres de septembre 1792. Il veut faire couler le sang, imagine des guillotines pour plusieurs têtes ! Pour Charlotte Corday, républicaine convaincue horrifiée par les dérives de la Révolution, Marat devient la cible. « Il est difficile de dire ce qui la pousse à agir, explique Guillaume Mazeau, historien. Elle-même affirme agir pour des raisons politiques : c’est en apprenant la répression des Girondins qu’elle se décide, dans les premiers jours de juin 1793, à peser dans les événements. Si le choix de la cible et du mode opératoire (l’attentat politique) peut surprendre, il n’est pas, alors, dénué de sens. En effet, Marat est alors considéré comme le responsable de la Terreur. D’autre part, Corday sait parfaitement qu’en tuant le héros des sans-culottes, elle peut déstabiliser le très fragile équilibre qui relie ceux-ci aux Montagnards, qui exercent le pouvoir. Enfin, comme la plupart de ceux qui commettent des attentats-suicides, elle estime n’avoir plus rien à perdre : au plus fort de la guerre civile, à l’été 1793, la plupart de ses proches sont inquiétés ou en prison. »
Charlotte marche vers la mort
Jugée dès le 17 juillet, elle revendique son crime, nie toute complicité malgré l’insistance du tribunal, et se sert de son procès comme tribune. « Le courage affiché par Corday lors de son arrestation, ses interrogatoires et son procès contribue à sa légende, souligne Guillaume Mazeau. Dans cette société très patriarcale, il n’est pas courant qu’une femme tienne tête aux hommes, et encore moins qu’une jeune fille, à peine sortie du couvent, assume un sanglant assassinat politique. Aussitôt, pour les sans-culottes, elle devient un monstre, quand d’autres la voient comme une martyre. » Condamnée à mort, elle demande une dernière faveur : que l’on réalise son portrait (pour la postérité ?) et, le soir même, monte à l’échafaud sans la moindre hésitation, vêtue de la chemise rouge des assassins. Un des bourreaux se saisit de sa tête coupée et la gifle. Il se fait huer par la foule.