Notre-Dame de Thermidor
Libre, généreuse, habile et dotée d’une beauté singulière, Thérésa Tallien a subjugué les hommes les plus puissants de son époque. Et contribué, d’un simple mot, à provoquer la chute de Robespierre.
Le 10 juin 1794, Robespierre fait voter la Grande Terreur à la Convention. Désormais, les procès des suspects ne seront plus qu’une formalité : plus d’avocat, plus d’appel, plus de délai d’exécution. Quelques jours auparavant, le 30 mai, Thérésa a été arrêtée et emprisonnée. Robespierre, qui se méfie de son ancien lieutenant Jean-Lambert Tallien, pousse Thérésa, sa maîtresse, à le dénoncer en échange de sa liberté. La jeune femme refuse. Et croupit dans sa geôle. Elle y rencontre Joséphine de Beauharnais, qui devient son amie.
« Je meurs d’appartenir à un lâche »
Tallien est fou de rage. Il craint également pour sa propre vie. Une lettre de Thérésa, le 25 juillet, achève de le décider et précipite le coup d’État qu’il imaginait. Elle lui écrit :
« L’administrateur de police sort d’ici, il vient de m’annoncer que je monterai demain au tribunal, c’est-à-dire à l’échafaud. Cela ressemble peu au rêve que j’ai fait cette nuit. Robespierre n’existait plus et les prisons étaient ouvertes. Un homme courageux suffirait peut-être pour le réaliser, mais grâce à votre indigne lâcheté, il ne restera personne qui puisse jouir d’un tel bienfait. Adieu ! »
La fin de la Terreur
Ce fameux billet produit son effet. Dès le lendemain, Robespierre est mis en difficulté à la Convention. Il fait une terrible erreur : pensant réduire au silence par la peur ses opposants en refusant de nommer ceux qu’il soupçonne, il les convainc tous de sa dangerosité. Dans la nuit, Tallien, Barras, Fouché rallient d’autres députés. Le 27 juillet – 9 Thermidor –, Saint-Just, allié de Robespierre, monte à la tribune, il est interrompu par Tallien qui brandit un poignard et prononce un discours enflammé. Les cris de « mort au tyran » retentissent. Face au silence d’un Robespierre enroué, un député lance : « C’est le sang de Danton qui t’étouffe ! » Robespierre l’incorruptible est arrêté. Il est guillotiné le lendemain. C’est la fin de la Terreur. Quelques jours plus tard, Thérésa est libérée. Usant de son influence auprès du nouvel homme fort – qui deviendra son mari quelques mois plus tard –, elle sauve de nombreuses vies en l’incitant à la clémence. Elle fait disparaître des actes d’accusation, des listes de suspects… On la surnomme alors Notre-Dame de Thermidor.
La rencontre avec Tallien
Née en 1773 en Espagne, Thérésa vit à Paris lorsqu’éclate la Révolution. Elle y tient un salon où se pressent les beaux esprits : Mirabeau, Lafayette, Lepeletier de Saint-Fargeau… Grande, très brune, les yeux noirs, elle envoûte tous ceux qui l’approchent. Et s’enthousiasme pour les idées révolutionnaires, participant même à la fête de la Fédération en 1790. Après la chute de la monarchie, sa fortune et son premier mariage avec un marquis la rendent suspecte. Elle retourne
à Bordeaux et divorce. Le 2 juin 1793, l’exclusion des Girondins de la Convention provoque un soulèvement à Bordeaux. Robespierre envoie un de ses fidèles lieutenants, Tallien, réprimer la révolte. Ce dernier fait arrêter plus de 5 000 personnes. Des centaines sont exécutées, et le maire de la ville guillotiné. Thérésa, qui a essayé d’intervenir pour faire libérer des proches, est arrêtée à son tour en novembre 1793 et incarcérée au sinistre fort du Hâ. Tallien, qui l’a connue à Paris, vient lui rendre visite et, tombant sous son charme, la libère. Son sauveur est blond, bien élevé, fort séduisant : Thérésa s’éprend de lui et devient sa maîtresse. Le couple affiche sa liaison. Thérésa ouvre un « bureau des grâces », obtient de nombreuses libérations, et s’investit auprès des plus pauvres. Sa popularité lui fait gagner le surnom de Notre-Dame de Bon Secours. Face au scandale de cette liaison et soupçonnant un enrichissement personnel et une modération coupable de Tallien, Robespierre rappelle ce dernier à Paris pour qu’il se justifie. Thérésa le suit, provoquant les événements qui mènent au 9 Thermidor.
Pour toujours Madame Tallien
Avec la fin de la Terreur, les moeurs se libèrent et la légèreté de Madame Tallien en fait la reine du Directoire. Séparée de Tallien, elle séduit Barras puis Ouvrard. « Thérésa ne se vend pas, souligne Françoise Kermina, historienne et auteur d’une biographie de la belle Espagnole. Elle est sincèrement amoureuse des hommes, mais elle est naturellement portée vers ceux du moment. » Cette vie dissolue – et peut-être le dépit amoureux – conduit Napoléon à interdire à Joséphine de fréquenter Thérésa. Disgraciée, exclue des soirées parisiennes après le coup d’État du Corse, elle rencontre le comte de Caraman. Après son divorce avec Tallien en 1802, elle se remarie avec lui, devenu prince de Chimay. Retirée dans son château, elle lui donne plusieurs enfants et s’éteint en 1835. Avec un regret : son passé l’a empêchée, malgré ce dernier mariage, de pleinement regagner sa situation d’aristocrate. Elle est toujours restée dans les esprits et les coeurs Madame Tallien.