Un cancre de génie
Période bénie pour beaucoup, l’enfance se réduit pour certains aux plus sombres années de l’existence. Ce fut le cas pour Winston Churchill. De sa prime jeunesse, ce dernier conserve surtout le souvenir des vives souffrances de sa vie en internat.
L’aversion que ressent le jeune Winston pour les études est précoce. Jusqu’à l’âge de 7 ans, il ne va pas en classe. Il étudie chez lui avec son frère cadet, John, que tous appellent Jack, et il trouve déjà « lassantes » les premières leçons que leur donne Mrs Everest, sa nurse qu’il adore pourtant.
Un élève décevant
Lorsque Winston a 7 ans, ses parents décident de l’inscrire en internat à l’école Saint-George d’Ascot, un établissement à la mode censé préparer l’entrée au collège d’Eton. On l’y trouve effronté, dissipé, et il y subit des châtiments corporels qui décident ses parents à le déplacer dans une petite école religieuse de Brighton où l’air sain devrait être plus favorable à sa santé délicate. Hélas ! Ses notes ne s’améliorent pas davantage que sa conduite. Il est toujours « en queue de classe », comme il l’écrit dans ses souvenirs. S’il maîtrise l’anglais et sa grammaire, aime l’histoire, apprend assez correctement le français, en revanche le latin, le grec et surtout les mathématiques conservent leurs mystères pour le jeune Churchill. Son père, qui voit s’envoler pour lui tout rêve d’une carrière juridique, a pourtant remarqué une chose chez son aîné. À ses moments de loisirs, l’enfant, qui accumule depuis toujours les soldats de plomb (il en a près de 1 500), les range en ordre de bataille avec un grand sens tactique. C’est décidé : Winston fera une carrière militaire. À 14 ans, il entre donc au collège de Harrow, où on l’inscrit une année plus tard dans une section qui prépare aux examens militaires. Il est ravi.
Sa faiblesse en mathématiques ne lui permet pas de briguer Woolwich, l’école militaire réservée aux futurs officiers de l’artillerie. On se rabat sur Sandhurst, moins prestigieuse. Encore ne réussit-il l’examen d’entrée qu’au troisième essai. Mais, à la stupeur générale, à la fin de l’année 1894, à l’âge de 20 ans, Winston sort 20e d’une promotion de 130 élèves officiers. Et avec mention. Pas si mal pour un cancre !
La souffrance cachée
Les études chaotiques du jeune Winston Churchill sont d’autant moins compréhensibles que le garçon ne manque pas de dons. Il est notamment doté d’une mémoire phénoménale. À Harrow, il surprend tout le monde en récitant sans une erreur 1 200 vers des « Lays of Ancient Rome », de l’historien et poète Macaulay, ce qui lui vaudra un prix d’honneur. Depuis toujours, Winston lit aussi énormément, aussi dévore-t-il presque toute la bibliothèque du collège, surtout les ouvrages d’histoire. Un jour, il corrige même un professeur sur un détail de la bataille de Waterloo. En réalité,
le jeune Churchill a l’esprit vif et de la repartie. Seulement voilà, ses centres d’intérêt ne sont pas les matières enseignées au collège. Depuis l’âge de 10 ans, il se passionne pour la politique. Il lit avec avidité dans les journaux les discours de son politicien de père au Parlement. Si aucun des adultes qui l’entourent ne remarque les dons particuliers du jeune Churchill, c’est que l’élève est affreusement turbulent, chahuteur et effronté. Ils ignorent la raison profonde de cette indiscipline. Elle tient à une intolérable souffrance : l’incompréhensible indifférence de ses parents à son égard. À Ascot, sa mère est venue le voir deux fois. Durant ses quatre années d’internat à Brighton, Winston ne la verra que quatre fois. Son père, une seule fois ! Le jeune garçon ne cesse cependant de supplier ses parents de venir le voir. Il leur écrit des lettres déchirantes. Sans succès. Ils sont bien trop occupés. Son père par sa carrière, sa mère par d’innombrables mondanités.
Fils d’aristos
Winston Churchill est né le 30 novembre 1874 dans l’un des plus magnifiques châteaux d’Angleterre, le palais de Blenheim, dans l’Oxfordshire, propriété de son grand-père, le septième duc de Marlborough. Ses parents sont le fils cadet du duc, lord Randolph Churchill, et lady Jennie Churchill, née Jerome, fille d’un financier et homme d’affaires américain milliardaire. Autant dire qu’ils font partie de l’aristocratie la plus huppée de l’ère victorienne. Et ils en ont tous les défauts : l’égoïsme, le goût de l’oisiveté et de la débauche. Randolph, le père, député puis ministre conservateur, est célèbre pour ses discours qui font mouche. Ses pairs admirent son éloquence, mais beaucoup moins son caractère impétueux. Sa carrière sera chaotique. Pour le reste, il dilapide la fortune de sa femme. Il joue, il boit (une tradition familiale que Winston perpétuera), il multiplie les aventures amoureuses et y gagnera une syphilis dont il mourra prématurément (et fou) à l’âge de 46 ans. Quant à sa femme, Jennie, belle, élégante, distinguée, c’est une lady affreusement superficielle. Elle va de bals en soirées mondaines, de spectacles en dîners, de courses de chevaux en chasses au renard. Toujours escortée d’un nouvel amoureux. Car Jennie est volage, elle a de nombreux amants, parmi lesquels le prince de Galles, futur Édouard VII. Elle se mariera trois fois, la dernière à l’âge de 64 ans, avec un homme qui a trois ans de moins que son fils !