La plume et le pinceau
Sous sa rudesse de militaire, le grand homme cache une nature d’artiste. Si ses talents d’écrivain se sont révélés dans sa jeunesse, Winston se découvre à l’âge d’homme un talent pour la peinture. Il va s’y adonner avec ferveur, emportant chevalet et pinceaux jusque sur les champs de bataille.
Quand la politique lui laisse des loisirs, Churchill s’adonne à toutes sortes de passe-temps. Chez lui, à Chartwell, il se fait ainsi fermier, éleveur de chevaux ou de cochons, et même jardinier ou maçon à ses heures. Ce remarquable touche-à-tout adore cultiver des jardins secrets. Ils lui seront précieux dans les heures difficiles.
Amoureux des livres
Le premier de ces jardins secrets sera la lecture. Il la découvre dès l’enfance et elle l’aide à surmonter sa solitude affective. « L’Île au trésor », les romans d’aventures de Haggard, l’histoire de la guerre de Sécession par le général Grant…, il dévore les pages et s’évade dans les univers sur lesquels elles ouvrent son esprit aventureux. Les livres deviennent ses plus fidèles compagnons. Il en parle même avec sensualité. « Si vous ne pouvez lire tous vos livres, au moins, touchez-les et, plutôt, cajolez-les, laissez-les s’ouvrir où bon leur semble, lisez la première phrase qui vous attire l’oeil, replacez-les sur leur étagère de vos propres mains, disposez-les selon votre plan personnel ; ainsi, même si vous ne savez pas ce qu’ils contiennent, vous saurez au moins où ils sont. Qu’ils soient vos meilleurs amis ; qu’ils soient en tout cas vos familiers. » Prendre la plume va lui venir tout naturellement. Pour des raisons financières, d’abord. Dès sa sortie de l’école militaire, il trouve dans la rédaction d’articles sur les combats auxquels il participe à Cuba, en Égypte ou en Afrique du Sud le moyen de gagner facilement bien plus que sa solde de souslieutenant. Il n’arrêtera plus jamais d’écrire.
Un auteur prolifique
Son premier ouvrage, « The Story of the Malakand Field Force » (les souvenirs de ses combats à la frontière du Pakistan), est le premier de ses récits de guerre ou de voyage. Suivront « The River War » (récit de la reconquête du Soudan), « My African Journey » (sa tournée en Afrique de l’Est lorsqu’il fut nommé sous-secrétaire d’État aux Colonies) et quelques autres. Il y aura aussi un roman, « Savrola » (l’aventure d’un jeune homme épris de la femme d’un dictateur dans un pays en pleine révolution), un ouvrage historique, « A History of the English-Speaking Peoples » (une histoire de la Grande-Bretagne et de ses colonies), et des biographies, celles de son illustre aïeul John Marlborough et de son père, en deux volumes. Pour écrire cette dernière, il installe dans son bureau le mobilier de lord Randolph, ses portraits et photographies. Il utilise même son encrier. Il ne manquera évidemment pas de rédiger aussi ses propres mémoires, « My Early Life », ainsi que ses souvenirs des deux grandes guerres, et notamment « The Second World War », un monument en… six volumes ! Sa production est considérable. Une trentaine d’ouvrages. Plus de 400 articles. Et autant de discours qu’il rédige debout sur un pupitre. Il dicte ses textes à des secrétaires particuliers qu’il épuise, les sollicitant de jour comme de nuit, parfois jusqu’à dix-huit heures d’affilée ! Ce plaisir d’écrire qui ne s’émoussera jamais, il le décrypte avec finesse : « Une impalpable sphère de cristal se constituait autour de soi, faite d’intérêts et d’idées. On se sentait un peu comme un poisson dans un bocal ; mais, en l’occurrence, c’était le poisson qui fabriquait son bocal. » Il sera pourtant très surpris lorsqu’en 1953, il se verra attribuer le prix Nobel de littérature. « Je ne savais pas que j’écrivais si bien ! » se contentat-il de commenter.
Peintre du dimanche
Durant l’été, son départ de l’Amirauté lui laissant du temps libre, Churchill se découvre à Chartwell un nouveau hobby, la peinture, guidé par des voisins et amis, peintres connus, John et Hazel Lavery. C’est une révélation. Il est doué ! Il a une prédilection pour les paysages. Il ne voyagera plus jamais sans son chevalet, ses tubes et pinceaux, et, cette année-là, ils l’aideront à surmonter la dépression qu’a provoquée sa mise en cause dans le désastre des Dardanelles. « Une des périodes les plus pénibles de ma vie. Comme un animal marin des profondeurs ramené à la surface ou un scaphandrier remonté trop vite, mes veines menaçaient d’éclater du fait du changement de pression. C’est alors que la muse de la peinture vint à mon secours. » À toutes les lumières, il préfère celle de la Côte d’Azur où il se rend presque chaque été, et souvent au Cap-d’Ail, à la villa Capponcina de son ami lord Beaverbrook. Il peint jusqu’à sa mort, et ambitionne d’aller plus loin encore : «Lorsque je serai au paradis, j’espère trouver des couleurs plus belles encore. Et je passerai une bonne partie de mon premier million d’années à peindre, ce qui me permettra d’aller au coeur du sujet. » L’essentiel de sa production, plus de 500 toiles, ornera les murs des bâtisses de Chartwell, mais il exposera aussi incognito dans une galerie parisienne. Les acheteurs des tableaux de Charles Ardoin (le pseudonyme qu’il s’était choisi) ne se doutèrent alors pas du trésor que, pour quelques centaines de francs, ils fixèrent au mur de leur salon. Dans des ventes aux enchères, certaines peintures de Churchill ont depuis atteint des sommets. À Londres, en 2014, « Goldfish Pool at Chartwell » a été adjugé pour la somme astronomique de 1,8 million de livres sterling. Pas mal, pour un amateur !