Louis XVI, retour sur image
L’historien Jean-Christian Petitfils, éminent biographe des Bourbons, nous restitue, réfutant les clichés ressassés, le vrai visage d’un homme intelligent et cultivé, qui malgré son indécision, souhaite réformer en profondeur son royaume.
Qui ne connaît cette image d’Épinal, celle d’un monarque en chemise, affairé à sa forge dans les combles de Versailles, frappant du marteau le fer rougi ou limant de grossières serrures ? Quand ce n’est pas à son atelier, on le représente à la chasse, suant et soufflant à la poursuite d’un cerf. Gros mangeur, gros dormeur, il conjure l’obésité menaçante par de rudes exercices physiques.
Un portrait caricatural
« Le pauvre homme ! », ironise sa femme MarieAntoinette, avec laquelle il sera incapable de faire un enfant pendant sept ans. Ce monarque débonnaire, bien intentionné, certes, mais lourd, apathique, est surpris et saisi par la bourrasque révolutionnaire. « Rien », écrivait-il dans son journal personnel du 14 juillet 1789. « Mais, c’est une révolte ! », se serait exclamé le malheureux devant le duc de La Rochefoucauld venu le réveiller pour lui annoncer la chute de la Bastille. « Non, Sire, c’est une révolution ! » Prisonnier d’une éducation traditionnelle, incapable de comprendre les temps nouveaux, il aurait alors préparé la réaction, pratiquant la duplicité et le mensonge, avec la complicité des émigrés, trahissant son pays et le précipitant dans la guerre… Or, ce portrait caricatural est largement erroné. Habitée par le culte du secret, sa personnalité, certes, est difficile à cerner.
Le goût des sciences
«Deux boules de billard huilées que l’on s’efforcerait en vain de tenir ensemble», disait de lui son frère Louis-Stanislas, comte de Provence. « J’aime mieux, confiera-t-il au Temple à son avocat Malesherbes, laisser interpréter mes silences plutôt que mes paroles. » Pour autant, il est loin d’être un benêt. Au contraire, il est fin, intelligent, cultivé, doué d’une mémoire prodigieuse. Il s’intéresse aux débats de la chambre des Communes. Il a un goût prononcé pour la marine, bien qu’il ne voie la mer qu’en 1786. Sans doute prise-t-il la chasse, mais sans négliger pour autant la lecture ; il se passionne pour les sciences. C’est lui qui rédige en partie les instructions pour l’expédition de La Pérouse. Sa correspondance révèle des capacités remarquables en politique étrangère, où, au besoin, il sait en remontrer à son ministre Vergennes.
Une expérience novatrice contrariée
N’occultons pas ses faiblesses, sa timidité maladive, son caractère influençable, son indécision. « Il y avait en lui deux hommes, écrit l’un de ses premiers biographes, l’abbé Soulavie, l’homme qui connaît et l’homme qui veut. La première de ces qualités est très étendue et très variée. Mais dans les grandes affaires de l’État, le roi qui veut et ordonne ne se trouvait presque jamais. » N’en faisons pas non plus un réactionnaire borné ! De son avènement en 1774 à la réunion des États généraux en 1789, conscient de la nécessité de moderniser l’État, il n’a de cesse de vouloir réformer son royaume : un statut pour les protestants, des mesures en faveur des juifs, l’abolition de la torture… Il encourage l’expérience libérale de Turgot. Surtout, en 1786, il investit toute son autorité dans l’expérience Calonne, visant à promouvoir – au moins en partie – l’égalité fiscale, ce dont ne voulaient ni les parlements ni la majeure partie de la noblesse. Contre cette expérience novatrice se lève une violente réaction aristocratique, bourrasque à laquelle, malgré ses intuitions justes, il ne peut résister. Ses échecs le plongent dans un état de profonde dépression et lui font perdre totalement confiance en lui. Il pourrait être le meilleur roi possible pour la Révolution, mais c’est la Révolution qui le rejette.