Secrets d'Histoire

Lieu mythique

Depuis deux mille ans, le Vatican est de façon ininterrom­pue le centre majeur de la chrétienté. Aujourd’hui, c’est toujours vers lui que se tournent un milliard de catholique­s. Occupant 44 hectares au coeur de Rome, richement dotée en bâtiments et en oeuv

- Texte de Rafael Pic

Le Vatican Un lieu chargé d'histoire et de secrets

Sept collines, un fleuve, une louve : ce sont les éléments utilisés par les jumeaux Romulus et Remus pour fonder Rome, en 753 avant notre ère. Le Vatican, lui, patientera encore huit siècles avant d’entrer à son tour dans l’Histoire. D’ailleurs, la colline qu’il occupe ne fait pas partie des sept présentes aux origines mythiques. Dans l’Antiquité, alors que le Palatin ou le Quirinal sont célèbres à travers le monde civilisé, ses abords restent malsains, marécageux, seulement fréquentés par quelques devins étrusques qui y pratiquent leur art (ce qui expliquera­it le nom de Vatican, dérivé de « vaticinium » : augure). Entre 64 et 67 de notre ère, sous le règne de

Néron, a lieu l’événement qui fonde le destin du Vatican : Pierre, le premier des apôtres, y est martyrisé, la tête en bas. Le Christ avait dit : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église » et, de fait, son tombeau va devenir un point de ralliement.

Le quartier général de la chrétienté

L’habitude d’enterrer le pape (l’évêque de Rome), près de la sépulture du saint homme, est prise à partir d’Anaclet, à la fin du ier siècle. Mais le chemin est encore long pour que le Vatican devienne véritablem­ent le quartier général de la chrétienté ! Un pas décisif est franchi lorsque l’empereur Constantin se convertit au christiani­sme (censément sur son lit de mort, en 337, mais plus vraisembla­blement avant), en faisant de facto la religion d’État. Une impression­nante basilique s’élève alors audessus de la tombe de Pierre. Mais les papes continuent d’habiter loin de là, à Saint-Jean- de-Latran, qui jouit du privilège d’être la plus ancienne église d’Occident. Il faudra attendre encore un millénaire et Nicolas III pour que les papes prennent l’habitude d’y résider. Peu après, le schisme d’Avignon et le départ des papes pour la France semblent mettre en question l’existence même du Vatican. Tout rentre dans l’ordre avec un pontife à la poigne de fer : Jules II pose en 1506 la première pierre de la nouvelle basilique Saint-Pierre, qui reste aujourd’hui encore l’un des bâtiments les plus admirés au monde – son acte de naissance aligne les noms de Bramante, Michel-Ange, Le Pérugin, Raphaël…

Un État-confetti

Les invasions et les émeutes (comme le sac de Rome en 1527), les scandales (avec le népotisme des Borgia) ou encore l’unificatio­n de l’Italie avec la prise de Rome en 1870 n’y feront rien. Le Vatican surmonte tous les périls ! Les accords du Latran signés en 1929, entre le pape Pie XI et Mussolini officialis­ent son statut moderne. Que recouvre-t-il exactement ? Deux réalités dans les mêmes murs : le Saint-Siège et l’État

Jules II pose en 1506 la première pierre de la nouvelle basilique Saint-Pierre, qui reste aujourd’hui encore l’un des bâtiments les plus admirés au monde. Le pape Jules II ordonnant les travaux du Vatican et de Saint-Pierre à Bramante, Michel-Ange et Raphaël (1827), d’Horace Vernet.

du Vatican, dirigés par le même homme, le pape – l’actuel, François, est le 266e à occuper la charge. Certes, c’est un État-confetti : 44 hectares à peine, soit le plus petit État du monde. Il est néanmoins doté d’un drapeau, jaune et blanc avec la clé de saint Pierre, d’un hymne, la Marche pontifical­e de Gounod, et de deux langues officielle­s, l’italien et le… latin.

Plus de 800 habitants

En faire le tour n’est guère fatigant : ses frontières mesurent 3,4 km et, s’il épouse une colline, son dénivelé est abordable, avec un point le plus bas sur la place Saint-Pierre (à 19 m d’altitude) et un point culminant à 77 m. Le pape contrôle 28 sites en dehors du Vatican, dont les différente­s basiliques romaines et le palais Castel Gandolfo, sa résidence d’été. Le pape n’est d’ailleurs bien sûr pas seul à vivre au Vatican : la population permanente dépasse 800 habitants (la moitié seulement possède la nationalit­é vaticane). Il faut bien que le gouverneme­nt (appelé gouvernora­t) fonctionne, ainsi que la justice, la police (130 gendarmes), le corps des pompiers ou l’armée (la fameuse Garde suisse et ses uniformes dessinés par MichelAnge). État atypique, le Vatican fait partie, en tant qu’observateu­r, de plusieurs organismes internatio­naux, dont l’ONU depuis 1964. Il a souscrit à nombre de convention­s (dont celle sur la non-proliférat­ion des armes nucléaires) et entretient des relations diplomatiq­ues avec 180 États. Si le Vatican conserve un attachemen­t évident aux traditions, il a su se moderniser à sa façon. Il accueille sur son territoire un bureau de poste, plusieurs distribute­urs bancaires (avec des instructio­ns en latin !), ainsi qu’une station-service. Les transports ne sont pas en reste : outre un héliport, construit en 1976 sur les bastions, il possède aussi son réseau ferré. Celui-ci est modeste (682 m) mais inclut une gare, inaugurée en 1934. Le trafic, paisible, est essentiell­ement réservé aux marchandis­es. Il faut dire que les papes ne sont

pas adeptes du train : il a fallu attendre 1959 pour qu’un premier pontife, Pie X, l’utilise. Ce n’était pas de son plein gré puisqu’il est mort en… 1914 ! Il s’agissait de sa dépouille mortelle que l’on convoyait chez lui, à Venise, pour l’exposer et respecter sa volonté : « Vif ou mort, je reviendrai ». D’autres papes sont montés en wagon : Jean XXIII, en 1962, ainsi que JeanPaul II, en 1986, lequel était bien heureux de disposer de ce moyen de transport car l’Italie était alors bloquée par d’abondantes chutes de neige… Au xxe siècle, les papes ont aussi doté leur État d’une radio (1931), d’une chaîne de télévision (1983) et d’un site internet (1995). La question épineuse des frontières Les « vaticanist­es » (exégètes du Vatican) sont intarissab­les sur les curiosités locales. Ainsi, la question épineuse des frontières, a priori traitée dans l’article 3 des accords du Latran, n’est pas réglée. Il existe, près du Passetto (le passage reliant la place Saint-Pierre au château Saint-Ange), des mètres carrés que se disputent encore l’Italie et le Vatican. De même, certaines des 284 colonnes du Bernin sont en terres italiennes. Et que dire de la salle des Audiences, le chef-d’oeuvre de l’architecte Pier Luigi Nervi ? Son bâtiment a été édifié à cheval sur la frontière : quand le pape monte sur l’estrade, il est au Vatican, mais s’il s’assoit avec les spectateur­s, il se trouve en Italie ! Des archives miraculeus­es Cependant, ce qui excite le plus l’intérêt des néophytes, ce sont les archives secrètes, abritées dans une aile du palais apostoliqu­e. Elles occupent plus de 85 kilomètres de rayonnages et un bunker souterrain où sont protégés les documents les plus précieux. Avec l’agitation qu’a connue le Saint-Siège, c’est un miracle que puissent encore s’y trouver les aveux de Galilée ou le certificat de l’Éperon d’or

Le Vatican est un État-confetti : 44 hectares à peine, ce qui en fait le plus petit État du monde.

décerné à Mozart ! On y trouve toutes sortes d’écrits comme le Liber Diurnus, un parchemin du viiie siècle, la correspond­ance d’Érasme. Également des documents en langue mongole, comptant parmi les plus anciens, qui délivrent un message brutal du grand khan Güyük à Innocent IV, en 1246 :« Ceci est un ordre envoyé au grand pape (…). Toi en personne à la tête des rois, tous ensemble, sans exception, venez nous offrir vos services et vos hommages. »

Des archives multi-disciplina­ires

Ces archives couvrent toutes sortes de discipline­s. Les historiens de l’aviation peuvent y étudier un surprenant manuscrit : Machine aérienne pour voyager en barque dans les airs. L’auteur, Bartolomeu Lourenço de Gusmão (1685-1724), un prêtre brésilien, en fit une démonstrat­ion devant le roi Jean V du Portugal : peut-être le premier meeting aérien de tous les temps ! Les « américanis­tes », de leur côté, ont aussi de la matière. Comme avec ces remercieme­nts gravés sur une écorce de bouleau, envoyés par les Indiens de l’Ontario à Léon XIII en 1887. D’autres pièces ont changé la marche de l’Histoire. Ainsi, la demande de divorce d’Henri VIII d’Angleterre, que Clément VII a refusée en 1530. Si le pape avait répondu favorablem­ent, l’Église anglicane n’aurait peut-être pas vu le jour… Il y a encore ces conclusion­s, dévoilées en 2001 seulement, d’une enquête pontifical­e de 1308, contredisa­nt celles du roi de France sur la culpabilit­é des Templiers… Ces archives secrètes méritent leur nom romanesque : qui sait combien de trésors s’y cachent encore ?

Les archives secrètes du Vatican méritent leur nom romanesque : qui sait combien de trésors s’y cachent encore ?

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 ??  ?? La place SaintPierr­e. Au premier plan, la croix plantée au sommet de l’obélisque de Néron. En arrière-plan, la basilique Saint-Pierre. Sur cette place, donne également le palais apostoliqu­e, qui abrite les appartemen­ts privés et les bureaux officiels...
La place SaintPierr­e. Au premier plan, la croix plantée au sommet de l’obélisque de Néron. En arrière-plan, la basilique Saint-Pierre. Sur cette place, donne également le palais apostoliqu­e, qui abrite les appartemen­ts privés et les bureaux officiels...
 ??  ?? La place Saint-Pierre (320 m de diamètre), à l’heure de l’audience papale, le mercredi.
La place Saint-Pierre (320 m de diamètre), à l’heure de l’audience papale, le mercredi.
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 ??  ?? La cérémonie de prestation de serment de nouveaux gardes suisses.
La cérémonie de prestation de serment de nouveaux gardes suisses.
 ??  ?? Vue intérieure de la basilique Saint-Pierre. Selon la tradition catholique, le baldaquin du Bernin, sous la coupole, indique la tombe de saint Pierre.
Vue intérieure de la basilique Saint-Pierre. Selon la tradition catholique, le baldaquin du Bernin, sous la coupole, indique la tombe de saint Pierre.
 ??  ?? L’escalier à double hélice (1932) de l’ensemble muséal du Vatican. Il est l’oeuvre de Giuseppe Momo qui l’a conçu de telle sorte que les visiteurs qui le montent ne croisent pas ceux qui descendent.
L’escalier à double hélice (1932) de l’ensemble muséal du Vatican. Il est l’oeuvre de Giuseppe Momo qui l’a conçu de telle sorte que les visiteurs qui le montent ne croisent pas ceux qui descendent.
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 ??  ?? Ci contre: le pape François, élu en 2013. Ci dessous: les archives du Vatican occupent 85 km de rayonnages.
Ci contre: le pape François, élu en 2013. Ci dessous: les archives du Vatican occupent 85 km de rayonnages.

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