Secrets d'Histoire

Stéphane Bern « Des fous furieux sont parvenus dans le cercle intime des monarques »

Dans le cadre de l’émission Secrets d’Histoire, l’animateur a étudié les relations que les rois nouaient avec leur entourage, ministres, favoris, mères, maîtresses… Il décrypte la nature et l’importance de cette influence.

- Propos recueillis par Béatrice Dangvan

Peut-on dire de beaucoup de monarques qu’ils ont régné « sous influence » ? Je ne le crois pas. Pour moi, régner « sous influence » a forcément une connotatio­n négative : cela induit que la domination dont on parle a nui au roi, à l’État. Or, cela n’a pas été le cas avec la grande majorité des ministres, des favoris ou des maîtresses royales, qui ont eu cette « influence ». En réalité, ce sont toujours des fous furieux, parvenus dans le cercle intime des monarques, qui ont exercé un tel empire. Je pense à Louis XIII et à Cinq-Mars, à Marie de Médicis et aux Concini, ou encore au tsar Nicolas II et à la tsarine Alexandra avec Raspoutine. Cela dit, on ne peut nier qu’un certain nombre de monarques ont été sous le coup de l’ascendant d’un ministre, d’une épouse, d’une maîtresse ou d’un favori. Mais que ce soit par amour, par reconnaiss­ance ou par amitié, ils ont rarement fait plus qu’offrir terres, châteaux, bijoux, argent… Leurs « faiblesses » se sont peut-être révélées ruineuses mais elles n’ont jamais mis l’État en danger. « On ne gouverne pas le coeur d’un roi », disait Louis XIII. Louis XIII, justement, n’a-t-il pas été grandement influencé par son ministre Richelieu ? Bien sûr ! Par son intelligen­ce et sa hauteur de vue, Richelieu a orienté la politique de Louis XIII, mais il n’a pas gouverné à sa place. Il existait, entre eux, une admiration réciproque. Richelieu savait qu’il dépendait du roi, lui devait sa faveur. Tous les deux se trouvaient un peu dans la dialectiqu­e du maître et de l’esclave. Finalement, on ne sait pas qui régnait sur l‘autre. Le très charmeur Mazarin a exercé, lui, une réelle domination sur Anne d’Autriche ; puis, à travers elle, sur le jeune Louis XIV, dont tout le début du règne est marqué par la personnali­té du ministre. Notez que, lorsque Mazarin est mort, Louis XIV a supprimé la fonction de « ministre principal » pour gouverner seul. Il avait, je pense, bien mesuré à quel point un ministre pouvait devenir puissant. Peut-être, était-il également un peu jaloux de l’ascendant du cardinal sur sa mère et du degré d’intimité qui les liait. Ces ministres influents ont pourtant affermi la puissance royale. N’y a-t-il pas là un paradoxe ? Il est vrai que nous avons eu de très grands ministres. Richelieu et Mazarin, bien sûr, mais on pourrait aussi bien citer Sully ou Colbert : chacun d’entre eux a magnifique­ment servi la royauté, tout en étant très influent. Cependant, il faut observer, que plus la royauté s’enfonce

dans l’absolutism­e, plus les rois s’affranchis­sent de leurs ministres et prennent seuls les décisions. Il suffit de songer à Louis XV qui a créé un « cabinet secret » et, sous le règne duquel, est apparu pour la première fois un ministre des Affaires étrangères. Plus on avance dans le temps, plus le roi fait lui-même sa propre cuisine pour rester le maître. Des ministres, des mères ou des maîtresses, lesquels ont eu le plus d’influence auprès des rois ? Les femmes ont joué un très grand rôle. En particulie­r, les maîtresses. Il faut avoir en tête que les rois se mariaient non par amour mais par devoir. Fatalement, ils prenaient des amantes qui, plus que les reines, parvenaien­t à avoir un ascendant sur eux. Agnès Sorel, la favorite de Charles VII, a été la première grande femme d’influence. À sa suite sont venues Anne de Pisseleu, maîtresse de François Ier, Diane de Poitiers, favorite d’Henri II et, bien plus tard, madame de Pompadour, grand amour de Louis XV. Elles ont véritablem­ent pesé sur la politique royale. Cela n’a pas été le cas de celles qui ont suivi. madame de Montespan ou madame Du Barry ont été les « ornements » de Versailles, les organisatr­ices des plaisirs de leur roi. Madame de Maintenon n’a eu, pour sa part, d’influence que sur la conduite religieuse d’un Louis XIV vieillissa­nt. Aucune n’a pesé sur les affaires de l’État. Pas plus que Marie-Antoinette n’a influencé Louis XVI. J’ai lu sa correspond­ance, dont l’historienn­e Évelyne Lever a supervisé la parution (chez Tallandier, ndlr) : elle reproche constammen­t à son époux de ne pas prendre en compte ses recommanda­tions. Il y a pourtant eu des femmes et des mères de roi très influentes… Évidemment ! Il y a eu des femmes de caractère qui, comme Aliénor d’Aquitaine ou Blanche de Castille, ont régné, ont été régentes, avant d’avoir un fort ascendant sur leur fils devenu roi. Ainsi, Catherine de Médicis qui a régné à travers ses fils, les derniers Valois, François II, Charles IX et Henri III. Ces femmes avaient en commun le sens de l’État : il s’agissait de préserver le trône de leur fils et le royaume. Bien qu’étrangères parfois, telles Anne d’Autriche ou Catherine de Médicis, elles se sont montrées dans ce rôle plus que françaises, agissant souvent contre les intérêts de leur pays d’origine. C’est ce qui s’appelle une intégratio­n réussie !

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Marie de Médicis, reine de France (1610), de Frans Pourbus le Jeune.
 ??  ?? Stéphane Bern à Amboise (Indre-etLoire), pour une émission consacrée à la reine Margot. Pendant la Renaissanc­e, le château a servi de résidence à plusieurs rois de France.
Stéphane Bern à Amboise (Indre-etLoire), pour une émission consacrée à la reine Margot. Pendant la Renaissanc­e, le château a servi de résidence à plusieurs rois de France.
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Le cardinal de Richelieu (1636), ministre principal de Louis XIII. Ce portrait, signé Philippe de Champaigne, est accroché au musée Condé de Chantilly (Oise).

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