Louis XIII et Richelieu, une collaboration sous haute tension
Ce sont deux très fortes personnalités qui, le temps de la régence de Marie de Médicis passé, vont oeuvrer en tandem au gouvernement du royaume. Complémentaires, ils étaient indissolublement liés. Un enchaînement qui ne pouvait que les porter à l’exaspéra
Nous sommes le 24 avril 1617. Armand Jean du Plessis de Richelieu n’est entré au Conseil royal que depuis cinq mois lorsque Louis XIII, 15 ans, fait tuer le tout-puissant Concino Concini, encombrant favori et ministre de sa mère, la régente Marie de Médicis. Sa prise de pouvoir réussie, le jeune roi compose un nouveau gouvernement autour de son favori à lui : Charles d’Albert, duc de Luynes. Sans espoir d’être jamais rappelé, Richelieu reprend donc naturellement la route de Luçon pour rejoindre l’évêché où, onze ans auparavant, il a été nommé. Étonnamment, il se voit confier par le duc de Luynes une délicate mission : réconcilier Louis XIII et sa mère. Grâce à ses talents de négociateur, il s’en acquitte pleinement. L’ascension irrésistible d’un conseiller Séduite par l’intelligence de Richelieu, la reine-mère en fait son conseiller personnel. Et s’empresse de faire profiter le roi de ses raisonnements. Le jugement de l’ecclésiastique est si bon qu’il finit par rouvrir à Marie de Médicis les portes du Conseil royal. En récompense, en 1622, il est nommé cardinal. Deux ans plus tard, Marie de Médicis le fait réintégrer au Conseil. L’ascension de Richelieu ne va alors plus connaître de limites.
Le même amour du royaume
Selon Richelieu, pour contrer les ambitions hégémoniques des Habsbourg en Italie du Nord, la France, bien que catholique, doit s’allier aux hérétiques suisses. Par l’entremise de Marie de Médicis, il parvient à en convaincre Louis XIII. Sur fond de guerre de Trente Ans, ce revirement politique donne une issue à un conflit qui s’éternise en Valteline. Cette vallée catholique, en amont du lac de Côme, est en guerre contre les ligues protestantes. Intervention militaire et manoeuvres diplomatiques permettent alors d’en déloger les Espagnols qui s’y étaient installés. Ce succès est la première étape d’une politique d’affaiblissement de la maison d’Autriche au profit de la France. Louis XIII ne manquera pas de la développer dans la suite de son règne. Cela amorce de manière décisive le lien qui va unir désormais le roi et le cardinal. Le premier sait que le second a conseillé sa mère, mais il comprend surtout qu’ils partagent le même amour du royaume, la même vision de la grandeur de la France. Aussi, le 21 novembre 1629, il l’appelle à la tête de son gouvernement et, de ce jour, lui accorde toute sa confiance. Sans Richelieu, aurait-il engrangé les succès qui viennent de marquer à tout jamais son règne ? En 1626, le dossier de la « Conspiration nobiliaire », impliquant Monsieur, son propre frère Gaston d’Orléans, a été bouclé. Tous les conspirateurs, Chalais, Ornano, les frères Vendôme… ont été exécutés, emprisonnés, ou exilés. La même année, l’île de Ré a été reprise aux Anglais. En octobre 1628, il y a également eu la capitulation de La Rochelle, fief protestant dont l’anéantissement a permis de faire la paix avec les huguenots, laquelle s’est concrétisée par la signature de l’édit de grâce d’Alès, en 1629. C’en est terminé de « l’État dans l’État », comme dit le ministre.
Louis XIII choisit Richelieu contre sa mère
Dès sa nomination en qualité de « ministre principal », Richelieu a soumis à Louis XIII un programme en quatre points. « Je lui promis d’employer toute mon industrie et toute l’autorité qu’il lui plaisait de me donner pour ruiner le parti huguenot, rabaisser l’orgueil des grands, réduire tous ses sujets en leurs devoirs et relever son nom dans les nations étrangères au point où il devait être », se souvient ainsi le cardinal lorsqu’il rédige son Testament politique. Quel monarque aurait pu résister ? Aussi quand,
le 10 novembre 1630, lors de la « Journée des dupes », Marie de Médicis demande la tête de Richelieu dont elle voit grandir l’influence avec inquiétude, Louis XIII fait le choix du ministre contre sa propre mère. Le cardinal a gagné. Il est en France le seul maître du jeu, après le roi certes, mais un roi qu’il contrôle. Il a attendu son heure, guettant les occasions d’agir, et a imposé ses vues en douceur aux uns et aux autres. D’abord, en flattant l’inextinguible goût du pouvoir de Marie de Médicis. Puis en jouant avec les désirs d’un roi, dont il a parfaitement cerné la personnalité profonde.
L’un règne, l’autre gouverne
Louis XIII désire incarner la puissance royale comme l’avait fait Henri IV, son père, avant lui. Il est ambitieux pour le royaume et le pays mais, mal entouré, il ne sait comment faire et souffre d’être réduit à l’impuissance. Visionnaire, Richelieu sait, lui, comment agir. Et il a l’intelligence de comprendre que, pour manoeuvrer ce monarque jaloux de son autorité, il doit emprunter des chemins détournés. Il s’arrange pour que Louis XIII pense toujours qu’il a tout décidé. Il laisse croire au roi qu’il… règne ! Pour sa part, le cardinal n’a d’autre ambition que de gouverner. En reconnaissance de ses services, en 1631, Richelieu est fait duc et pair. Il n’empêche, les relations entre les deux hommes sont d’une grande complexité. Le roi puise chez son ministre ce qui lui fait défaut : l’énergie et l’intelligence que demande le « grand dessein ». Il sait rêver, pas exécuter : « Je n’ai
Richelieu comprend que pour manoeuvrer Louis XIII, roi jaloux de son autorité, il doit emprunter des chemins détournés.
jamais trouvé personne qui me serve à mon gré comme vous, lui écrit-il. Assurez-vous que je ne changerai jamais et que, quiconque vous attaquera, vous m’aurez pour second. » Ou : « Il me semble, quand je songe que vous n’êtes plus avec moi, que je suis perdu. »
Une collaboration fructueuse
Louis XIII, qui a connu une enfance difficile, a besoin d’être rassuré. Négligé par sa mère qui lui préfère son frère cadet Gaston, méprisé par Concini et la Cour, il a manqué d’amour et de reconnaissance. Il en a conservé un caractère instable. Taiseux, ombrageux, timide, solitaire et austère, il ne désire rien d’autre qu’être respecté et admiré. Pour Richelieu, la confiance est à reconquérir chaque jour ou presque. Le roi a aussi besoin de se sentir aimé. Bien que n’étant pas attiré par les femmes, il a de platoniques maîtresses : Marie de Hautefort puis mademoiselle de La Fayette. Préférant la compagnie des hommes, il est surtout en quête de favoris ; lesquels se succèdent : Luynes, Montpouillan, Toiras, Barradas, Claude de Saint-Simon et, bien sûr, Cinq-Mars. Richelieu doit lutter contre toutes et tous, chacun cherchant à le discréditer. Tout le temps que dure leur collaboration, soit dix-huit années, le roi et le ministre jouent un jeu dangereux. Richelieu offre plusieurs fois sa démission, obligeant Louis XIII à le retenir, confirmant sa dépendance. À d’autres moments, c’est le roi qui prend le dessus, rappelant au ministre son statut d’infériorité. « Je suis la tête, vous êtes les bras », se plaît-il à lui répéter. « Les quatre pieds carrés du cabinet du roi me sont plus difficiles à conquérir que tous les champs de bataille de l’Europe ! », se plaint Richelieu. Cette relation animée a pourtant porté de beaux fruits. Elle a fait émerger une France moderne, sortie de la féodalité, dotée d’une armée, d’une diplomatie et mieux administrée autour d’un pouvoir plus centralisé. Prête à emprunter le chemin de l’absolutisme.