Marguerite et Henri, un duo au coeur des guerres de Religion
Ensanglanté par la Saint-Barthélemy, le mariage de Marguerite de Valois et d’Henri de Navarre était pourtant au centre de la stratégie de pacification du royaume. L’alliance de ces deux êtres politiques d’exception fluctue au gré de leurs ambitions, de leurs coups de coeur et des coups du sort.
En 1572, Marguerite a 19 ans. Elle est la fille de Catherine de Médicis et du roi Henri II, tué lors d’un tournoi alors qu’elle n’était qu’une enfant. La perte de ce père chéri, à qui elle ressemble tant, l’a durablement marquée. En grandissant, la princesse devient une jeune fille intelligente et cultivée. Et très jolie, aussi, avec ses beaux cheveux bruns (même si elle les fait décolorer selon la mode du temps), son visage à l’ovale parfait et son teint d’albâtre.
Elle est consciente de ses devoirs Pour son éducation, Catherine de Médicis l’a entourée, comme ses frères et soeurs,
des meilleurs maîtres. Marguerite maîtrise le grec, le latin, la rhétorique, la grammaire, l’italien, l’espagnol… Depuis quelques années, sa mère l’a prise auprès d’elle pour entamer sa formation politique. Côté matrimonial, si plusieurs partis ont été envisagés pour elle du côté de l’Espagne ou du Portugal, c’est le « projet béarnais » qui
refait surface en ces temps troublés. En effet, la France est au coeur de l’échiquier européen : les camps catholique et protestant s’affrontent sporadiquement, soutenus en coulisses par les puissances du Sud (l’Espagne notamment) pour les uns, et par les puissances du Nord (Angleterre, principautés allemandes…) pour les autres. Un rapprochement entre une fille de France et le chef de file des protestants, le prince Henri de Navarre, héritier potentiel (mais encore éloigné) du trône de France, pourrait sceller la réconciliation nationale que soutient Catherine de Médicis. Marguerite, consciente de ses devoirs, consent à cette union. Elle connaît Henri depuis longtemps, a de l’estime pour lui ; ils ont le même âge et en partie grandi ensemble. Même si elle sait que ce plan est périlleux, elle devine qu’il lui offre l’opportunité de jouer un vrai rôle politique. Enfin, elle sait qu’un mariage princier ne peut être dicté par l’amour. Sa seule réticence concerne la religion : catholique fervente, elle répugne à épouser un protestant.
La noce tourne au massacre Le mariage est toutefois célébré le 18 août 1572
devant la cathédrale Notre-Dame de Paris, sans attendre la dispense papale (les époux sont cousins éloignés). Aucun des deux jeunes gens n’ayant renié sa religion, les consentements sont échangés sur le parvis, avant que le marié ne s’éclipse pendant que la mariée assiste à la messe. Si la nuit de noces se passe bien, les espoirs de paix vont vite s’envoler. Le 22 août, l’amiral de Coligny, conseiller protestant de Charles IX, est blessé d’un tir d’arquebuse. Présents à Paris pour assister aux festivités nuptiales, les chefs huguenots réclament justice. Par peur d’une guerre civile, le roi et son conseil décident de tous les éliminer dans la nuit du 23 au 24 août 1572 : c’est le massacre de la SaintBarthélemy. Bientôt, il va embraser le royaume.
Marguerite choisit Henri Ce soir-là, Marguerite n’est tenue au courant de rien.
Elle est, en effet, doublement suspecte : les catholiques s’en méfient car ils craignent qu’elle ne répète tout à son mari. Et les protestants ne lui disent rien de peur qu’elle ne révèle leurs intentions à la Couronne. Dans ses Mémoires, la reine livre un récit circonstancié – l’un des
seuls témoignages ! – de la Saint-Barthélemy au Louvre… Pressentant un drame, elle ne rejoint la chambre de son mari que sur l’ordre de sa mère. Elle y passe la nuit entourée des gentilshommes attachés au roi de Navarre. Au petit matin, après le départ de ce dernier, elle assiste horrifiée à des scènes de tueries jusque dans sa propre chambre. Henri, lui, est auprès du roi de France, à l’abri. La violence qui s’est abattue sur Paris choque profondément Marguerite, à qui sa mère propose aussitôt de la « démarier ». Consciente qu’Henri de Navarre ne doit son salut qu’à leur union et se sentant responsable de sa vie, elle refuse. Comme le souligne sa biographe, Éliane Viennot (Marguerite de Valois, la reine Margot, éditions Tempus), plus encore que le jour de son mariage, Marguerite choisit Henri. Elle ne veut pas redevenir un pion au sein de sa propre famille et elle pressent qu’il ne peut avoir de liberté et de rôle politique pour elle qu’aux côtés de son mari.
L’alliée précieuse Dans les années qui suivent, Marguerite, par intérêt tout autant que par affection, favorise le rapprochement entre son frère,
le duc d’Alençon, et son mari, en soutenant leurs manoeuvres. Arrêtés à maintes reprises, les deux beauxfrères parviennent à chaque fois à s’évader. Quoi qu’il en soit, à cette époque, Marguerite prend toujours le parti de son mari qu’elle défend avec ardeur. Celui-ci lui délègue, preuve de la confiance qu’il a en son intelligence et en son éloquence, la rédaction d’un Mémoire justificatif, destiné à la Couronne, au lendemain d’un complot. Leur complicité est profonde et le roi de Navarre réalise qu’elle est un atout précieux. Mais Marguerite manque de jugement en pensant Henri plus faible qu’il n’est réellement.
Une vie de couple chaotique
Les époux alternent des périodes d’entente et de tensions. Chacun, de son côté, prend amants et maîtresses. Mais l’indifférence puis l’irrespect d’Henri minent chaque jour davantage ses relations avec Marguerite. Aussitôt qu’il ne la pense plus utile à ses desseins, il la néglige, achevant de se l’aliéner. Par ailleurs, la naissance d’enfants illégitimes rassure le roi de Navarre sur sa capacité à procréer, fragilisant encore la situation de la reine qui ne réussit pas à lui donner d’héritier. En 1585, humiliée par la liaison qu’il affiche ouvertement avec Corisande, la comtesse de Guiche, elle rejoint la Sainte Ligue, le camp des ennemis d’Henri ! Arrêtée en 1586, sur ordre de son frère Henri III, Marguerite est assignée à résidence à la forteresse d’Usson. En 1589, Henri de Navarre monte sur le trône de France, sous le nom d’Henri IV, et décide alors de se réconcilier avec sa femme. Les exigences dynastiques commandent un héritier (légitime) et il souhaite se séparer d’elle pour se remarier. C’est chose faite le 17 décembre 1599, après des années de vrais marchandages. En 1605, Marguerite obtient le droit de revenir à Paris. Avec Henri, les relations sont enfin apaisées, elles deviennent même tendres : « Vous m’êtes
Marguerite devient proche de la seconde épouse d’Henri, Marie de Médicis, et éprouve une réelle affection pour le Dauphin, le futur roi Louis XIII.
et père, et frère et roi. » Elle devient proche de sa seconde épouse, Marie de Médicis, et éprouve une réelle affection pour le Dauphin, futur Louis XIII. Elle lui lègue tous ses biens pour consolider la légitimité de la dynastie des Bourbons fondée par Henri IV. Célébrée et respectée, elle s’éteint le 27 mars 1615, cinq ans après Henri IV, victime de l’assassin Ravaillac.