La saga de Maison du café
Une bonne journée commence toujours avec un bon café. Un rituel qui remonte au xviie siècle. Depuis, bien sûr, la consommation a considérablement évolué. Premières torréfactions en boutique, moulin familial et expressos maison ont modifié la donne et jalo
Bien avant les cafetières électriques et la révolution des dosettes souples et autres capsules en aluminium, il y avait… le café. « Noir comme le diable. Chaud comme l’enfer. Pur comme un ange. Doux comme l’amour », disait Talleyrand. Le rituel remonte encore plus loin : au xviie siècle. Bien sûr, la consommation a évolué et gagné en sophistication. Maison du café est le fruit de cette évolution. Passée au moulin des fusions et acquisitions, la société est aujourd’hui propriété du géant néerlandais Jacobs Douwe Egberts (J.D.E.), avec vingt autres du secteur. Mais elle reste une marque forte, imprimant depuis longtemps la mémoire collective française.
Les débuts, Douwe Egberts et le Planteur de Caïffa
Au commencement donc, était le café. En France, une nation pionnière dans l’importation et le négoce de ce produit, les premiers grains
Dans le Paris des années folles, les frères Della Valle ouvrent une maison de torréfaction et créent la marque La Maison du café.
débarquent en 1644, à Marseille, en provenance du port d’Al-Mukha (« Moka », en arabe) au Yémen. À l’exemple des élites, cours royales, gens de lettres et musiciens, qui s’en délectent, toute l’Europe prend goût au breuvage, lequel se consomme alors « à la turque ». Dès lors, le commerce s’organise et s’intensifie… En 1753, Douwe Egberts ouvre une épicerie à Joure, aux Pays-Bas. Il y propose une gamme de produits « exotiques » : thé, tabac et, bien entendu, café, des denrées importées d’Extrême-Orient via le port d’Amsterdam. L’entreprenant Egberts se forge une fringante réputation, fidélisant une clientèle qui apprécie particulièrement son expertise dans l’art de la torréfaction. Un héritage local sur lequel a été bâtie pendant deux siècles la multinationale J.D.E… Michel Cahen a commencé tout aussi modestement. Simple torréfacteur parisien, il se lance, en 1890, dans la commercialisation d’une gamme de produits coloniaux, Au Planteur de Caïffa. Le succès est fulgurant grâce à l’originalité de ses systèmes de vente avec, en première ligne, le démarchage. Un employé se présente chez les clients potentiels, poussant une sorte de triporteur dont la caisse contient la marchandise. Dans le sillage de ces colporteurs, un réseau de succursales tisse un maillage serré du territoire, popularisant le café dans toute la France et… faisant prospérer la société.
Le succès des maisons de dégustation
Parallèlement, dans le Paris des années folles, les frères Della Valle, originaires d’Argentine, ouvrent une maison de torréfaction. Ce sont eux qui créent la marque La Maison du café.
Les Parisiens peuvent découvrir leurs produits dans deux maisons de dégustation, 68, rue de la Chaussée-d’Antin et 5, boulevard Montmartre. Le succès, immédiat, incite les Della Valle à proposer le café en paquet et à se diversifier. Ils conçoivent ainsi des « voituressalons de dégustation », « coffee-trucks » avant l’heure, qui s’en vont sillonner les routes.
Les Ch’tis et la « Grand-Mère »
Le Planteur de Caïffa, qui a inauguré son propre réseau de distribution de café torréfié en 1953, fait l’acquisition, neuf ans plus tard, d’un quart du capital de La Maison du café. Peu après, la société, devenue Ufima (Union française d’industrie et de marques alimentaires), rachète les autres centres régionaux de torréfaction, bâtissant une solide gamme de produits autour de neuf marques : La Maison du café, Caïffa, Mokalux, Martin, Biec, Lemaire, Savourex, Corlida, et Oceanic. En 1967, l’ensemble est unifié sous le nom générique de Maison du café. En 1977, l’Ufima est rachetée par Douwe Egberts qui n’a pas, à l’époque, fini de grandir. Plus tard, au sein du groupe, Maison du café va accueillir à ses côtés une vieille dame, un peu plus jeune qu’elle cependant puisque son acte de naissance mentionne 1954… Cette année-là, à Roubaix, René et Lucette Monnier gèrent une épicerie familiale : À l’abondance. L’après-guerre continue d’imposer de fortes restrictions alimentaires, notamment sur les produits de première nécessité. La frontière n’est pas loin et les voisins d’outre-Quiévrain, mieux pourvus en denrées, suscitent des envies chez les Ch’tis. La contrebande fonctionne à plein régime. Parmi les produits les plus recherchés : le café Grootmoeder (« grand-mère » en flamand). Les Monnier frappent alors un grand coup en investissant dans un appareil torréfacteur. Dès 1955, ils lancent leur marque, baptisée Grand-Mère 59, car inscrite dans une démarche nordiste. Ils concoctent eux-mêmes leurs mélanges et torréfient donc dans leur magasin, lequel ne désemplit pas. À partir de 1965, la communication audacieuse de la nouvelle Grand’Mère (un peu moins identitaire) et le marketing en phase avec les besoins de consommation des Trente Glorieuses propulsent l’entreprise des Monnier au sommet. La « mémère » bienveillante quitte la petite boutique pour les grands magasins et, de régionale, la marque devient nationale. Les slogans : « Café Grand-Mère, la tradition du Nord / Café Grand-Mère, la qualité d’abord » et le jingle : « Grand-Mère sait faire un bon café »
Au début des années 2000, Maison du café innove et met sur le marché Senseo, un appareil siglé Philips.
deviennent cultes ! C’est Lucette Monnier ellemême qui a dessiné le logo, une sympathique mamie, besicles sur le nez, portant à ses lèvres une tasse. Disparue dans les années 1970, car jugée vieillotte, le visage de la « mamie » revient sur les paquets la décennie d’après. Et y demeure jusqu’à aujourd’hui, même s’il a été retouché pour gagner en modernité.
Un café nommé désir…
C’est que Grand’Mère, addict au tonique breuvage, ne s’est pas endormie sur sa cafetière. Avec le lancement, en 1978, de Carte Noire – « Un café nommé désir » – la marque monte en gamme. En 1982, les Monnier vendent à une multinationale agroalimentaire, le Suisse Jacobs Suchard. Depuis 2015, Grand’Mère a rejoint Maison du café dans le giron de J.D.E., issu de la fusion de l’Américain Mondelēz International (exJacobs Suchard) et du Néerlandais D.E. Master Blenders 1753 (qui avait déjà englouti Douwe Egberts).
L’heure des machines
Même si le moulu se porte bien, le marché du café évolue, fin des années 1990, vers le « on demand » (« à la demande », soit « à la tasse »). Une tendance qui répond à des besoins de variété de goûts et de praticité – une tasse individuelle plutôt que la cafetière familiale. L’heure des machines a sonné. Au début des années 2000, Maison du café innove et met sur le marché Senseo : un appareil siglé Philips, dont les dosettes sont vendues en grandes surfaces, contrairement au rival Nespresso, qui a misé sur les capsules et des boutiques dédiées. Ce qui n’empêche pas Maison du café, qui avait lancé L’Or en 1990 – « Sans doute le meilleur café du monde » (!) –, de proposer à son tour, en 2010, les capsules L’Or Espresso : les ventes explosent avec 150 millions d’unités écoulées en un an. Quant à Grand’Mère, elle surfe aussi sur la vogue « on demand », avec des dosettes souples (2007) puis des Tdiscs pour les machines Tassimo (2012).