Joyeux Noël
La vie… ce n’est pas toujours du cinéma ! Les films ou séries historiques prennent parfois leurs aises, volontairement ou non, avec la réalité. Erreurs, anachronismes, trucages, extrapolations et exagérations font partie du jeu cinématographique. Saurez-vous démêler la fiction de la réalité dans Joyeux Noël, de Christian Carion ?
Il est des moments dans l’Histoire qui louchent davantage vers la fiction que vers la réalité. C’est le cas des fraternisations survenues à différents endroits du front durant les fêtes de fin d’année en 1914, 1915 et 1916. De ces trêves passagères entre Allemands, Français et Britanniques pendant la Première Guerre mondiale – et de celle du 24 décembre 1914 près d’Ypres en particulier –, le réalisateur Christian Carion a tiré un film. Sur les lignes du front belge, alors que l’Europe est embarquée dans un conflit meurtrier, le ténor et officier allemand Walter Kirchhoff entonne un chant de Noël dans la nuit. À quelques mètres de là, dans les tranchées britanniques, des notes de cornemuse lui répondent. Soldats allemands, britanniques et français se rejoignent alors dans le no man’s land pour un incroyable cessez-le-feu de Noël.
Des rapprochements entre soldats français et allemands durant l’hiver 1914 Fiction et réalité
La trêve de Noël 1914 près d’Ypres, en Belgique, a concerné principalement les Britanniques et les Allemands. C’était courant, durant le conflit. En revanche, les actes de fraternisation ont été moins nombreux du côté des Français. Rappelons que l’Hexagone est alors en partie occupé par l’Allemagne et que les « Boches » sont des ennemis héréditaires. Si l’Histoire a surtout retenu la trêve de Noël 1914, de nombreux autres épisodes de rapprochement ont eu lieu. Le 10 décembre 1915, par exemple, près de Neuville-Saint-Vaast (Pasde-Calais), les fortes pluies avaient poussé Français et Allemands à quitter leurs tranchées inondées et à se rassembler.
Un ténor allemand a chanté le soir de Noël 1915 sur le front Réalité
Le personnage de Nikolaus Sprink, interprété par Benno Fürmann, ténor allemand et sol-
dat, est inspiré d’un chanteur d’opéra allemand, Walter Kirchhoff. Le soir de Noël 1914, ce dernier est venu exercer son art dans une tranchée pour ses compatriotes. Côté français, un officier qui l’avait vu sur une scène parisienne en 1912, a reconnu sa voix et a applaudi. Au mépris de la guerre, Kirchhoff a traversé le no man’s land pour lui serrer la main. Anna Sorënson, la cantatrice danoise jouée par Diane Kruger, elle, n’a aucune vérité historique.
Un match de foot dans le no man’s land Réalité
La tenue d’un match de football entre Allemands et Britanniques, montré dans le film, est emblématique de la fraternisation de Noël 1914. En souvenir de cette rencontre, l’UEFA a fait ériger un monument à Ploegsteert. Même si certains la contestent, plusieurs récits attestent de la véracité de l’événement. Parmi lesquels, le rapport d’un lieutenant allemand : « Les équipes ont été rapidement formées pour un match sur la boue gelée, et les Fritz ont battu les Tommies 3 à 2. » La lettre d’un médecin de la London Rifle Brigade, confirme le score : « Le régiment a eu un match de football contre les Saxons, qui les ont battus 3-2. »
Les trêves servaient aussi à enterrer les morts Réalité
Dans Joyeux Noël, Allemands, Français et Britanniques se mettent d’accord pour prolonger la trêve de la veille, de manière à pouvoir récupérer leurs morts et à les enterrer. En effet, avant d’être l’occasion de fraterniser, ces cessez-le-feu non-officiels constituaient surtout des répits pendant lesquels chaque camp pouvait offrir une sépulture à ses soldats tombés sur le front. Comme dans le film, des cérémonies religieuses étaient parfois organisées.
L’Église encourageait les combats Réalité
Durant le cessez-le-feu de Noël, le père Palmer célèbre une messe oecuménique sur le no man’s land. Interprété par Gary Lewis, ce personnage est inspiré des prêtres écossais qui se sont engagés durant la Grande Guerre pour soigner les blessés. À la fin du film, quand les autorités militaires découvrent les fraternisations de Noël 1914, le père Palmer est chassé par l’armée et désavoué par l’Église. Dans la scène suivante, son évêque prononce une homélie haineuse devant un parterre de soldats : « Vous devez tuer les Allemands, jeunes et vieux, bons ou mauvais, afin de n’avoir plus à le faire ». L’image froide et guerrière de l’Église que nous offre le réalisateur est, certes, caricaturale. Toutefois, pendant le conflit, les Églises ont soutenu les sociétés dans leur désir de victoire. Les groupes religieux qui ont appelé à la paix sont restés très marginaux.