Alice Hoschedé et Claude Monet L'amour en impression
L’amour en impression « Derrière chaque grand homme se cache une femme. » Un adage qu’on croirait inventé pour Claude Monet et Alice, sa deuxième femme. Une châtelaine jalouse et forte en gueule, un peintre angoissé et sans le sou : personne n’aurait pari
Une pluie fine tombe sans cesse sur le jardin et la Seine toute proche. Claude Monet a renoncé à peindre. Indifférents à sa frustration, les enfants courent dans la maison, prenant le risque de réveiller leur petit frère. Au premier étage, Alice veille sur Camille. Claude est inquiet : l’état de santé de Camille, sa femme, s’est dégradé depuis la naissance du bébé. Heureusement, il y a Alice, qui s’occupe des enfants, rassure, réconforte. Alice, son pilier, son roc, sa maîtresse. Drôle de ménage à quatre que celui qui s’est installé quelques mois auparavant dans cette maison de Vétheuil : deux couples – à l’origine, Ernest Hoschedé, le mari d’Alice, était présent – et huit enfants, les six des époux Hoschedé, et les deux des Monet. Une famille recomposée comme on en rencontre aujourd’hui ? Certes… mais nous sommes en 1878 !
Un ménage à quatre Très vite, Ernest Hoschedé fuit à Paris : non seulement il est ruiné, mais il supporte mal la complicité qui unit Alice et Claude, chez qui il sent bien un rival. D’autant qu’il lui a fallu accepter l’offre de vie commune. Comment refuser quand on n’a plus un sou et six enfants à nourrir ? C’est
pourtant lui qui a fait entrer le loup dans la bergerie. Deux ans auparavant, le riche spéculateur, passionné par les peintres impressionnistes, fait venir à Montgeron, dans le château de sa femme, Claude Monet dont il a acheté le tableau Impression, soleil couchant. Il lui prête un atelier, lui confie la décoration de panneaux pour le salon. C’est peut-être dans ce salon qu’a lieu le coup de foudre (Alice figure sur un tableau peint l’année précédente par Monet au parc Monceau). À 32 ans, Alice a les rondeurs d’une mère de cinq enfants, la classe d’une grande bourgeoise et un caractère bien trempé. Rien à voir avec la fragile Camille qui, pendant ce temps, se morfond dans un
appartement non chauffé à Argenteuil. De son côté, Claude, 36 ans, a la barbe fière et l’oeil passionné. Comme dira Cézanne : « Monet, ce n’est qu’un oeil, mais bon Dieu ! Quel oeil ! » Nul ne sait quand commence l’idylle. Et peu importe. Car l’amour est bien là, entre ces deux êtres différents. Il durera trente-cinq années. Et tant pis si Jean-Pierre, le dernier des Hoschedé, qui voit le jour en 1877, ressemble à Jean, le premier-né des Monet : les deux familles étaient faites pour se rencontrer.
La mort de Camille Monet Quand elle apprend que son mari les a ruinés, Alice a six enfants à nourrir. L’aînée a 14 ans, le dernier vient juste de naître. Ses origines sociales – son père est un riche fabricant de pendules – font qu’elle ne s’est jamais souciée
d’avoir un métier et de gagner sa vie. Alors, quand l’homme qu’elle aime lui propose d’habiter avec sa famille à Vétheuil, au moment même où son mari panique, elle accepte. Car la misère, les vaches maigres, Claude a l’habitude, pas Ernest. Et Alice croit en Claude : elle parie sur son talent et son succès à venir. Cette confiance, ce pari osé – les impressionnistes sont alors des parias et peu connaîtront la notoriété de leur vivant – est la clé de leur amour. Camille est malade ? Elle va la soigner. Alice, catholique, est une femme dévouée ; elle ressent aussi peut-être de la culpabilité. Elle va la soigner et l’accompagner jusqu’à la fin. Camille, 32 ans, décède dans ses bras d’un cancer de l’utérus. Pendant que Claude, ultime geste de désespoir, peint sa femme sur son lit de mort, Alice brûle les habits de Camille : elle est désormais la seule dans la vie de Monet.