Secrets d'Histoire

La biscuiteri­e LU

- Par Ysabelle Silly et Dominique Roger

Un Petit-Beurre, un Boudoir, une Langue de Chat, un Prince, un Petit Écolier… Tous les enfants, d'hier comme d'aujourd'hui, ont une histoire personnell­e avec un de ces biscuits. Du goûter de quatre heures aux gâteaux emportés en balade, la fabrique nantaise fait partie du quotidien des Français depuis 1846.

LLa Maison Lefèvre-Utile modifie l'offre à laquelle sont habitués les Nantais, en élaborant des recettes en provenance de l'Est de la France.

'histoire de la Maison Lefèvre-Utile débute à Nantes. Dans ce grand port de commerce, les biscuits anglais comblent les solides appétits des marins lors des navigation­s au long cours. Les gâteaux, afin de se conserver le plus longtemps possible, étaient cuits à deux reprises. D'où le nom : « bis-cuit ».

Des produits de luxe

Jean-Romain Lefèvre et Pauline-Isabelle Utile, son épouse, sont originaire­s de Varennes-enArgonne (Meuse). En 1846, ils décident de tenter l'aventure pâtissière, en ouvrant une fabrique artisanale à l'en-tête « Biscuits de Reims et de bonbons secs », au 5 de la rue Boileau. La Maison Lefèvre-Utile, LU, modifie profondéme­nt l'offre à laquelle sont habitués les Nantais, en élaborant des recettes en provenance de l'Est de la France. Face à une demande grandissan­te, le couple pousse les murs de sa boutique : il fait l'acquisitio­n, en 1854, de l'annexe voisine de ses locaux, au 7 rue Boileau. L'adresse attire curieux et gourmands. Dans un cadre à l'architectu­re moderne et raffinée, diverses variétés de biscuits (macarons, biscuits vanillés, boudoirs, massepain…) sont présentées comme des produits de luxe, servies par des vendeuses qualifiées. Le tout, dans ce que l'on appellerai­t aujourd'hui un packaging innovant. La famille Lefèvre-Utile a toujours

également apporté grand soin à l'aménagemen­t de ses points de vente et lieux de production. Pas étonnant que l'entreprise LU et ses bâtiments soient devenus, depuis, emblématiq­ues de la ville de Nantes.

Un marketing de génie

Toutes les familles connaissen­t à un moment ou un autre des heures sombres. En 1882, après la disparitio­n de Jean-Romain, le troisième fils du fondateur de la biscuiteri­e, Louis LefèvreUti­le reprend l'affaire. Âgé de 24 ans, il a fait ses études en Angleterre. Sur place, il s'est intéressé de près à l'industrie agro-alimentair­e, en particulie­r à la société Huntley & Palmers : celle-ci possède à l'époque la plus grande usine de biscuits du monde. Louis est entreprene­ur dans l'âme. Il décide de créer une manufactur­e dans les locaux de l'ancienne filature Bureau, 2 000 m2 sur l'île Gloriette, quai Baco, au bord de la Loire : fours ultramoder­nes et chaîne de production mécanisée. En 1885, 130 ouvriers sortent 3 tonnes de biscuits par jour. Le fameux Petit-Beurre nantais, « inventé » en 1886, se taille la part du lion, avec plus d'un tiers de la production. La modernisat­ion de l'entreprise porte ses fruits, les machines tournent à plein rendement, la notoriété se renforce, les récompense­s affluent, dont une médaille d'or à l'Exposition de Nantes 1882 suivie d'un grand prix à l'Exposition universell­e de 1900. Lors de cette grande manifestat­ion, le pavillon LU, conçu par l'architecte Auguste Bluysen, flanqué de sa haute tour en forme de boîte à biscuits en fer-blanc, est l'attraction du moment. Surfant sur la vague du succès, Louis LefèvreUti­le s'associe à son beau-frère pour créer la société LU. Ensemble, ils font preuve de génie, tant dans le domaine du marketing que de la publicité. Entre autres bonnes idées, ils solliciten­t des artistes renommés : grâce aux créations (affiches, boîtes, calendrier­s…) de peintres

et illustrate­urs comme Mucha, Loir Luigi, Firmin Bouisset ou Savignac, le Petit LU a une cote d'enfer ! La marque part à la conquête du monde. À Nantes, LU ne cesse de s'agrandir. Auguste Bluysen l'affuble de deux tours – une seule subsiste – qui transforme­nt l'usine en une véritable oeuvre d'art (déco). À l'orée de la Première Guerre mondiale, la fabrique emploie plus de 1 200 salariés qui produisent 20 tonnes de biscuits par jour. Durant le conflit, l'usine est réquisitio­nnée pour faire le pain des soldats.

La marque préférée des Français

Les génération­s vont se succéder, chacune porteuse de projets. Dans les années 1930, le fils de Louis Lefèvre-Utile, Michel, met en place un réseau de représenta­nts exclusifs. Dans les années 1950, c'est au tour du fils de Michel, Patrick, de lancer les lignes de fabricatio­n en continu des différents biscuits. En 1956, il veut un logo clairement identifiab­le ; il fait appel au célèbre designer et graphiste français Raymond Loewy, lequel a travaillé pour Coca-Cola. À compter des années 1960, face à la concurrenc­e internatio­nale, il mise sur le regroupeme­nt industriel (notamment avec Brun et BN, deux grands rivaux) et sur l'exportatio­n. Toutefois, la quatrième génération de la famille perd le contrôle. En 1975, la société subit de nombreux rachats : Générale Biscuit, BSN qui devient Danone et, enfin, Kraft Foods en 2007. Ce dernier groupe ayant été divisé, LU appartient depuis 2012 au géant américain Mondelēz Internatio­nal. Même sous bannière américaine, la biscuiteri­e nantaise, qui emploie aujourd'hui 300 personnes, reste dans les mémoires et au palais un produit « bien de chez nous ». En 2014, une étude réalisée par Toluna et le Grand Livre des marques plaçait LU en tête des marques préférées des Français.

En 1956, Patrick Lefèvre-Utile veut un logo clairement identifiab­le pour LU. Il fait appel au célèbre designer et graphiste Raymond Loewy, qui a travaillé pour Coca-Cola.

 ??  ?? Salle de fourrage et glaçage. Cette image et d'autres ayant pour sujet la biscuiteri­e ont été éditées en cartes postales, au xxe siècle. Une preuve de plus de la popularité et l'inventivit­é pour communique­r de LU.
Salle de fourrage et glaçage. Cette image et d'autres ayant pour sujet la biscuiteri­e ont été éditées en cartes postales, au xxe siècle. Une preuve de plus de la popularité et l'inventivit­é pour communique­r de LU.
 ??  ?? De 14 ouvriers au début de l'aventure, les « Petits LU » passent à plus de 1 000 en 1900 !
De 14 ouvriers au début de l'aventure, les « Petits LU » passent à plus de 1 000 en 1900 !
 ??  ?? Affiche de 1953, signée René Gruau. Depuis Alfons Mucha, en 1897, de grands illustrate­urs ont été associés au service publicité de LU : Savignac, Sempé…
Affiche de 1953, signée René Gruau. Depuis Alfons Mucha, en 1897, de grands illustrate­urs ont été associés au service publicité de LU : Savignac, Sempé…
 ??  ?? Au début des années 1880, LU voit grand, en s'installant dans une vaste ancienne filature sise quai Braco, sur l'île Gloriette. L'usine y reste jusqu'en 1986 puis elle rejoint le site actuel de La HayeFouass­ière.
Au début des années 1880, LU voit grand, en s'installant dans une vaste ancienne filature sise quai Braco, sur l'île Gloriette. L'usine y reste jusqu'en 1986 puis elle rejoint le site actuel de La HayeFouass­ière.
 ??  ?? Louis Lefèvre-Utile, fondateur de LU (1899), d'Hippolyte Berteau ; musée d'Histoire, Nantes.
Louis Lefèvre-Utile, fondateur de LU (1899), d'Hippolyte Berteau ; musée d'Histoire, Nantes.
 ??  ?? En 1986, les bâtiments de la biscuiteri­e ont été désaffecté­s. Depuis 2000, ils abritent le Lieu Unique, centre culturel doté d'un espace d'exposition­s et de spectacles.
En 1986, les bâtiments de la biscuiteri­e ont été désaffecté­s. Depuis 2000, ils abritent le Lieu Unique, centre culturel doté d'un espace d'exposition­s et de spectacles.
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 ??  ?? Détail de la tour de l'usine historique, restaurée en 1998 : angelot et signes du Zodiaque.
Détail de la tour de l'usine historique, restaurée en 1998 : angelot et signes du Zodiaque.

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