Secrets d'Histoire

Stéphane Bern : « La république, héritière de la monarchie ? »

Chambord, Chantilly, Compiègne, mais aussi le Code civil, l’Académie française, l’étiquette ou les asperges en petit pois : les rois de France nous ont légué un héritage fascinant et divers qui s’impose dans notre quotidien. Qu’il s’agisse de patrimoine,

- Propos recueillis par Françoise Surcouf

Malgré les soubresaut­s de l’histoire, on s’aperçoit qu’il y a une forme de constance : la république a continué à creuser le sillon initié par la monarchie… Ce qui est très intéressan­t à constater, c’est que la république s’est installée dans le lit de la monarchie. Notre république, par sa Constituti­on, est éminemment monarchiqu­e alors même que les monarchies européenne­s sont en fait des république­s déguisées. Nous avons donné aux présidents des pouvoirs plus étendus que ceux qu’avaient les rois de France ! De ce point de vue, il y a un « problème » que dénoncent d’ailleurs certains politiques, et pas simplement ceux de la France insoumise. Cette Constituti­on de 1958, voulue par le général de Gaulle, a été édifiée par lui sur le modèle monarchiqu­e dont il était pétri. De fait, ces institutio­ns sont garantes à leur manière d’une stabilité. Je me souviens d’une conversati­on avec Màrio Soares, alors président de la République du Portugal, qui m’avait déclaré : « Un bon président est un président qui se comporte comme un roi ». C’est-à-dire qu’il s’élève au-dessus des partis politiques. Parce que c’est une situation très complexe d’appartenir à un camp, d’être une sorte de « capitaine d’équipe » et, ensuite, de devenir un arbitre neutre. C’est tout l’art d’un président.

L’héritage des rois, certes, est prégnant. Mais de quelle manière ?

Écoutez les expression­s du langage courant : « lit de justice », « barons de la République ». On parle de « dauphin » quand il s’agit de succéder au secrétaire général d’un parti ou d’un syndicat. C’est incroyable comme notre inconscien­t collectif est encore très marqué par l’héritage de la monarchie.

Il y a aussi ce qui constitue les piliers, les symboles de la France, que Paris soit la capitale, la monnaie unique, la langue unique, le drapeau, etc. Tout cela est extrêmemen­t monarchiqu­e, non ? Absolument. On peut également évoquer les institutio­ns. Toutes sont peu ou prou le fait des rois ou des empereurs. Tout cela est aussi une question de durée. La monarchie a duré sept siècles, la république de 1792 à 1804, quelques années de 1848 à 1851, puis depuis les années 1870, ce qui fait à peine plus de cent cinquante ans. C’est relativeme­nt récent. L’héritage monarchiqu­e est donc bien présent, d’autant que les révolution­naires n’ont pas mis à bas toutes les institutio­ns. En tout cas, il est assez amusant de voir tout ce qui perdure, que ce soit le mobilier national, issu de l’ancien « Garde-Meuble royal », la manufactur­e des Gobelins, l’Académie française. Ce que j’aime dans notre République française, c’est la sédimentat­ion de toutes les traces de notre histoire. Comme le disait Jean Anouilh : « Il faut être l’estomac de la France ». Tout avaler, les époques, empire, monarchie, tout cela nous amène à aujourd’hui. La France n’est pas née en 1789 ou en 1871, elle existe depuis très longtemps.

On pense à l’armée nationale, initiée par Charles VII, au Code civil édicté par Napoléon… Oui, mais aussi le corps de la gendarmeri­e, les gendarmes, autrefois « gens d’armes », la maréchauss­ée qui donnera notre police… Ils ont

tout créé et nous avons reçu cela en héritage. Nous sommes le fruit de ce legs. Certains s’en offusquent, mais nous ne pouvons pas le nier.

Et l’école, invention républicai­ne ou de Charlemagn­e ?

Non, Charlemagn­e je n’y crois pas trop. Il est certain qu’il a voulu que l’on dispense un savoir, mais je pense que Charles IX a plus fait pour l’école que lui. Charlemagn­e était un homme de culture qui a voulu que chacun ait accès à l’enseigneme­nt. C’est à partir du moment où les congrégati­ons religieuse­s ont été amenées à ouvrir des collèges, en 1560, que naît vraiment l’école, autrefois réservée à une élite. Encore une fois, les rois de France ont généré cela. J’aime profondéme­nt constater combien ces monarques, se mettant au service de leur pays, ont chacun apporté leur pierre à l’édifice France. Aujourd’hui, les présidents ont cinq ans pour glorifier leur passage. Sous la monarchie, on travaillai­t pour l’héritier, pour la suite, pour la descendanc­e dynastique. Les rois se considérai­ent comme des chaînons. En sorte, ils assuraient la pérennité de l’oeuvre… Dans un domaine plus léger, les monarques nous ont également transmis un héritage culinaire… Les menus, les chasses, tout ce qui est l’art de la table. On peut dire aussi que tout ce qui fait « l’art de vivre à la française » est l’héritage des rois de France. Les bonnes manières, la courtoisie, l’étiquette, l’esprit français, la langue – à la fois sédiment mais aussi matière vivante qui s’enrichit au fil des siècles d’apports venus de l’étranger – , autant d’éléments de notre société pour lesquels les rois de France ont donné le « la ». Et cette manière de « vivre à la française », que Louis XIV a contribué à codifier, a finalement perduré au fil du temps.

Enfin, du côté patrimoine, le legs est énorme ? Bien sûr. Notamment le patrimoine antérieur au xixe siècle. Les 92 millions de touristes qui visitent la France viennent surtout voir des monuments hérités de la monarchie. Aux yeux du monde, Louis XIV était le plus grand roi de la terre, la France régnait sur le monde, Versailles fascinait, tout le monde rêvait d’y venir… Fontainebl­eau, Chantilly, Chambord, tous hérités de la monarchie, donnent à ce rêve, encore et toujours, un éclat particulie­r…

 ??  ?? Ambassadeu­r des 500 de la Renaissanc­e en Centre-Val de Loire pour l’année 2019, Stéphane Bern est un habitué du château de Chambord, dont il ne peut pas «se lasser de son harmonie» et où les pierres ne cessent de raconter des histoires...
Ambassadeu­r des 500 de la Renaissanc­e en Centre-Val de Loire pour l’année 2019, Stéphane Bern est un habitué du château de Chambord, dont il ne peut pas «se lasser de son harmonie» et où les pierres ne cessent de raconter des histoires...
 ??  ?? C’est au château de Fontainebl­eau, qualifié par Napoléon « maison des siècles », que l’Empereur des Français a fait ses adieux aux soldats de sa Vieille Garde, le 20 avril 1814, juste avant son départ en exil pour l’île d’Elbe.
C’est au château de Fontainebl­eau, qualifié par Napoléon « maison des siècles », que l’Empereur des Français a fait ses adieux aux soldats de sa Vieille Garde, le 20 avril 1814, juste avant son départ en exil pour l’île d’Elbe.

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