Secrets d'Histoire

Aux origines d'une superstiti­on

- Par Sophie Denis

La superstiti­on Une actrice de théâtre

Un jour, Musset se mit en colère contre une comédienne qui devait jouer dans Les Caprices de Marianne, parce qu’elle refusait de porter une robe verte... Superstiti­eux, les gens de théâtre ? Longtemps, la scène et les coulisses ont été régies par des interdits, qui désormais font sourire, mais faisaient trembler les artistes. D’ailleurs, aujourd’hui encore, il est des mots à ne pas prononcer !

Le monde du théâtre est rempli de superstiti­ons d’une autre époque, qui ont pendant des décennies fait trembler les comédiens : porter du vert sur scène, parler de corde, souhaiter bonne chance, offrir des oeillets... Des croyances bien tenaces dont l’origine pour certaines est très ancienne.

Les méfaits de l’habit vert

La plus connue de toutes : porter du vert sur scène attirerait le mauvais oeil. La preuve ? Le jour de sa mort, Molière était habillé de vert pour une représenta­tion du Malade imaginaire. C’est la version retenue, fondée sur le goût avéré du comédien pour cette couleur, mais elle n’est pas admise par tous. Christophe Barbier, dans son Dictionnai­re amoureux du théâtre, cite les écrits de son tailleur qui mentionne que l’habit était fait d’amarante... Alors pourquoi cette rumeur sur le costume vert de Molière ? Il faut se souvenir que le vert est l’attribut des sorcières, des démons et même du diable. Au Moyen Âge, lors des représenta­tions de la Passion, le comédien qui jouait Judas était vêtu de vert, ce qui le faisait immédiatem­ent reconnaîtr­e du public ; certains étaient même pris à partie par la foule. Au xviie siècle, le vert était passé de mode dans les salons, seuls quelques bourgeois ringards en portaient, à l’image de personnage­s de Molière tels Monsieur Jourdain, notre Bourgeois gentilhomm­e ou ce pauvre Alceste, misanthrop­e aux rubans verts ridiculisé par Célimène. Mais comme le rappelle l’historien Michel Pastoureau dans Le Petit Livre des couleurs, le vert provenait de matières artificiel­les, vert-degris obtenu par l’oxydation du cuivre avec du vinaigre ou de l’urine, qui s’avère être un poison

au contact de la peau. Rien d’étonnant donc à ce que des comédiens soient morts après avoir porté du vert… Ce tabou concernant une couleur varie selon les pays. En Italie, c’est le violet, assimilé à la mort, en Espagne le jaune, celui de l’intérieur de la cape du torero, qui devient son linceul s’il est encorné.

De la corde à l’oeillet

Il est des mots à ne pas prononcer au théâtre. « Corde » en fait partie. Une survivance qui remonte à l’époque où les machiniste­s étaient d’anciens marins en fin de carrière. La corde faisait alors référence à la pendaison qui punissait les mutins. Une autre explicatio­n serait liée à la période où les théâtres étaient encore éclairés aux chandelles. Des cordes étaient reliées à des réservoirs d’eau en hauteur, il suffisait de les tirer pour éteindre un début d’incendie. Prononcer le mot, c’était risquer de susciter un arrosage inopiné ! De même, il est déconseill­é de siffler en scène ou en coulisses. Cet interdit vient lui aussi du monde de la marine, car les machiniste­s se communiqua­ient les changement­s de décor par un jeu codé de sifflement­s. Siffler, c’était à coup sûr perturber les manoeuvres. À moins que le sifflement ne rappelle celui du gaz, qui au xixe siècle pouvait s’échapper des rampes d’éclairage. Enfin, si vous voulez vous faire bien voir d’une comédienne, évitez de lui offrir des oeillets. Au xixe siècle, quand un directeur de théâtre ne voulait pas renouveler un contrat, c’est la fleur qu’il envoyait dans la loge de l’actrice, tandis que les plus chanceuses recevaient des roses.

La pièce maudite

Une pièce du répertoire porte sur elle toutes les malédictio­ns : Macbeth, dont il faut taire le nom à tout prix. Elle devient la « pièce écossaise ». Il est tout aussi interdit d’en prononcer des répliques, hors représenta­tions ou répétition­s. La pièce la plus courte de Shakespear­e était souvent montée par des troupes sans moyens, à la va-vite, avec un risque accru d’accidents, d’autant qu’il y a de l’’action et beaucoup de séquences de nuit. La présence de sorcières sur scène créait un climat particulie­r. De fait, Macbeth porta souvent malheur : depuis le tout premier acteur qui tomba mort en coulisses, une émeute à New York en 1849 entre deux troupes rivales qui fit vingt morts, une représenta­tion à Londres en 1942 avec trois suicides, une autre en 2001 avec la chute de deux arbres sur scène et deux acteurs accidentés... il y a encore aujourd’hui de quoi faire réfléchir les comédiens les plus cartésiens !

 ??  ?? Chromolith­ographie de Maurice Leloir, tirée du livre Le Roy Soleil,
de Gustave Toudouze, 1904. Molière (Jean-Baptiste Poquelin, 1622-1673) interprète Le Malade imaginaire,
le soir de sa mort le 17 février 1673, dans la salle du théâtre du Palais-Royal à Paris
(La Comédie française).
Chromolith­ographie de Maurice Leloir, tirée du livre Le Roy Soleil, de Gustave Toudouze, 1904. Molière (Jean-Baptiste Poquelin, 1622-1673) interprète Le Malade imaginaire, le soir de sa mort le 17 février 1673, dans la salle du théâtre du Palais-Royal à Paris (La Comédie française).
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Le Théâtre, 1902.
Marguerite Brésil, comédienne, photo extraite du journal Le Théâtre, 1902.
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Adoc-photos Illustrati­on de Macbeth, de William Shakespear­e, considérée comme une pièce maudite.

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