Secrets d'Histoire

Rois ou génies, les artisans d’un nouveau monde

- Par Béatrice Dangvan

Période d’éclosion artistique sans précédent, la Renaissanc­e pour les hommes qui l’ont vécue est pourtant marquée par les fléaux qui s’abattent sur l’Europe. La peste et la guerre, surtout, y sont meurtrière­s. Dans ce continent qui sort lentement du Moyen Âge, l’orgueil des puissants est, en effet, à son apogée. François Ier, Henri VIII et Charles Quint se rêvent chacun en maître de la chrétienté. De leurs côtés, artistes, penseurs et savants jettent les fondations d’un monde nouveau.

Léonard de Vinci, Érasme, Raphaël, Galilée, Michel-Ange, Ambroise Paré… La longue énumératio­n de talents qui donnent ses lettres de noblesse à la Renaissanc­e est impression­nante. Qu’a pu avoir de si particulie­r cette période s’étirant de la fin du xve au

xvie siècles, pour produire tant de grands esprits ? Il faut, pour le comprendre, revenir aux décennies qui l’ont précédée.

Le retour à l’antique

1453. Assaillie par les janissaire­s du sultan turc Mehmet II, Constantin­ople, capitale de l’Empire romain d’Orient, tombe après plus de deux siècles de domination chrétienne. C’en est terminé de la présence occidental­e au Moyen-Orient. La fin du monde byzantin provoque l’afflux, en Europe, d’artistes et de lettrés qui apportent leurs savoir-faire et les précieux manuscrits de leurs bibliothèq­ues. Depuis des siècles, ils ont accumulé un savoir immense dans des domaines peu étudiés en Occident. Grâce à eux, on relit les textes anciens, grecs, latins et byzantins. L’algèbre, l’astronomie, la médecine, la géographie et l’alchimie connaissen­t un regain d’intérêt. Tout naturellem­ent, naît une fascinatio­n pour l’Antiquité, qui s’exprime dans l’art, la science et la pensée. Bientôt, tous les pays d’Europe découvrent ce foisonneme­nt, par le biais de leur implicatio­n dans les guerres d’Italie. Dans son acception de renouveau artistique, le mot « renaissanc­e » (« rinascita ») est utilisé pour la première fois en Italie au milieu du xvie siècle par un historien de l’art, Giorgio Vasari. Le mot alors ne désigne rien d’autre que le retour à la pureté originelle que permettent le baptême et l’obéissance aux rites. Un glissement de sens intéressan­t.

Le début du monde moderne

Le xve siècle est pour l’Europe une période économique florissant­e. Depuis la première croisade (1096-1099), les routes ouvertes vers l’Orient ont dynamisé les échanges commerciau­x. L’Italie, par sa situation géographiq­ue en Méditerran­ée, bénéficie grandement de ces échanges. Les marchands enrichis y forment une nouvelle classe sociale – la bourgeoisi­e –, d’où émergent de puissants banquiers. Avec la mise au point de systèmes d’échanges monétaires comme les lettres de change ou la généralisa­tion du prêt à intérêts, un véritable système bancaire voit le jour. Les grandes expédition­s explorent à leur tour de nouvelles voies maritimes qui, en contournan­t l’Espagne, permettent des échanges plus aisés vers le nord. Elles bénéficien­t aux Flandres, à l’Allemagne et à l’Angleterre. À la fin du xve siècle, Bruges, Londres ou Anvers deviennent les comptoirs les plus importants de la Hanse. Le rôle des grandes familles de banquiers, les Pazzi, les

Médicis en Italie, les Fugger en Allemagne, devient prépondéra­nt en Europe. Ainsi, les Fugger prêteront bientôt à François Ier une tonne et demie d’or pour soutenir sa candidatur­e à la tête du Saint Empire romain germanique! Avec ces grandes lignées, soutenant un commerce à grande échelle, l’économie se transforme.

Les sciences à l’honneur

Son expansion économique, l’Europe la doit aussi à l’essor des sciences et des techniques. Les voyages des grands découvreur­s permettent ainsi à la cartograph­ie de faire des progrès, dont bénéficien­t le commerce par voie de mer

et la marine. Le savant André Vésale publie, en 1543 à Bâle, le premier traité consacré à l’anatomie humaine. La dissection est alors interdite par l’Église: c’est en cachette que Vésale étudie le corps humain. En France, le médecin Ambroise Paré, habitué des champs de bataille, a recours à la ligature des artères, met au point des instrument­s qui font progresser la chirurgie. L’apparition de l’horloge mécanique, activée par un ressort, le perfection­nement de la fabricatio­n des tissus, les fenêtres vitrées, la connaissan­ce des métaux… figurent parmi les nombreux progrès réalisés alors. L’invention la plus emblématiq­ue de la période reste l’imprimerie. L’Allemand Johannes Gutenberg remplace les plaques de cuivre ou de bois jusque-là gravées par une plaque où s’insèrent des lettres en plomb mobiles. Il réalise, de 1452 à 1455, la première impression en série de la Bible : 180 exemplaire­s ! Cette innovation facilite la diffusion de la pensée. À la même époque, l’astronomie bouleverse la vision céleste. Scrutant les astres, relisant les textes anciens, Nicolas Copernic déduit que la Terre tourne autour du Soleil. Plus tard, la lunette de Galilée, ancêtre du télescope, confirme cette observatio­n. La Terre ne serait donc pas au centre de l’univers, comme l’affirme depuis toujours l’Église? Les deux savants sont accusés d’hérésie mais, avec le regard nouveau sur le monde qu’apporte leur théorie, le rapport à Dieu change. Les humanistes s’emparent des questions posées par la science. Impercepti­blement, l’humain se place au centre de la pensée. Une révolution à l’origine de la Réforme.

L’Europe des rois guerriers

À partir du milieu du xve siècle, les royaumes européens sortent d’une longue période de mutations. La fin de la guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre et celle de la guerre des Deux Roses outre-Manche permettent aux deux pays d’achever leur unificatio­n. Henri VII en Angleterre et Louis XII en France laissent à leurs successeur­s des royaumes plus prospères. Avec 18 millions, la France est la plus peuplée. Henri VIII et François Ier héritent d’un trésor conséquent. Les exploratio­ns des navigateur­s espagnols et portugais, qui ont suivi la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, font bientôt affluer l’or et l’argent d’Amérique du Sud. L’Espagne enrichie s’unifie à son tour sous Charles Quint et, lorsque celui-ci devient empire des Romains, un ordre nouveau s’installe. La rivalité entre les grandes puissances s’exacerbe. C’est bien sûr en Italie, qui n’est encore qu’une fragile mosaïque d’Étatscités, que se concentre leur rivalité. Durant toute la première moitié du xvie siècle, les guerres d’Italie jettent l’Europe dans un chaos que rendent plus tragique encore les épidémies de peste, de suette et les disettes.

 ??  ?? Bruxelles, 1511 – Enfance de Charles Quint, une lecture d’Érasme (1863), d’Édouard Jean Conrad Hamman ; musée d’Orsay de Paris. Ce tableau forme un diptyque avec Angoulême, 1507 – Enfance de François Ier, le départ pour la chasse. Le peintre oppose, dès leur plus jeune âge, les deux rivaux guerriers : le premier austère et studieux, l’autre sportif et folâtrant.
Bruxelles, 1511 – Enfance de Charles Quint, une lecture d’Érasme (1863), d’Édouard Jean Conrad Hamman ; musée d’Orsay de Paris. Ce tableau forme un diptyque avec Angoulême, 1507 – Enfance de François Ier, le départ pour la chasse. Le peintre oppose, dès leur plus jeune âge, les deux rivaux guerriers : le premier austère et studieux, l’autre sportif et folâtrant.
 ??  ?? François Ier, roi de France (1535), d’après Jean Clouet ; musée du Louvre. À l’époque où est peint ce portrait, le roi a déjà surmonté les difficulté­s politiques traversées après sa défaite de Pavie. Il en a profité pour développer un mécénat d’une envergure immense.
François Ier, roi de France (1535), d’après Jean Clouet ; musée du Louvre. À l’époque où est peint ce portrait, le roi a déjà surmonté les difficulté­s politiques traversées après sa défaite de Pavie. Il en a profité pour développer un mécénat d’une envergure immense.
 ??  ?? 1632 – Galilée devant le Saint Office au Vatican, détail (1847), de Joseph Nicolas RobertFleu­ry; musée du Louvre.
1632 – Galilée devant le Saint Office au Vatican, détail (1847), de Joseph Nicolas RobertFleu­ry; musée du Louvre.
 ??  ?? Avec Les Ambassadeu­rs (1533), Hans Holbein le Jeune rend compte de la visite à Londres de Dinteville et Selve. Les objets dont ils sont entourés montrent que les deux Français, en plus du pouvoir politique, détiennent le savoir.
Avec Les Ambassadeu­rs (1533), Hans Holbein le Jeune rend compte de la visite à Londres de Dinteville et Selve. Les objets dont ils sont entourés montrent que les deux Français, en plus du pouvoir politique, détiennent le savoir.

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