Secrets d'Histoire

François Ier, roi guerrier et esthète

- Par Béatrice Dangvan

Qualifié de roi-chevalier, François Ier doit mener, tout au long de son règne, une guerre acharnée contre ses deux grands rivaux, Henri VIII et surtout Charles Quint. Ce qui n’empêche pas ce monarque bien préparé et visiblemen­t doué de conduire son royaume sur le chemin de la modernité.

Grand, presque 2 mètres, bien taillé, le front haut, les traits réguliers quoique marqués d’un nez fort, François Ier est un colosse élégant qui émerveille ceux qui le découvrent. A-t-on jamais vu prince plus superbe? En cette année 1515, il succède à l’égrotant Louis XII et le pays se prépare à rayonner sous la gouvernanc­e de ce monarque de 20 ans. Avec raison. Roi depuis le 1er janvier, sacré à Reims le 25 du même mois, il règne à peine depuis quelques mois que, déjà, il s’apprête à faire un miracle!

L’égal d’Hannibal

L’Europe est ébahie. « Les Français ont volé audessus des Alpes », clame-t-on de toutes parts. François Ier vient de réaliser l’impensable: franchir les Alpes par la voie réputée impraticab­le du col de l’Argentière (actuel col de Larche). Les mercenaire­s suisses de Maximilien Sforza lui bloquent, en effet, les habituels passages alpins vers l’Italie. Or, en sa qualité d’arrière-petit-fils de Valentine Visconti, fille du premier duc de Milan, le roi de France veut reconquéri­r ce qu’il considère comme son héritage : le duché de la capitale lombarde, perdu deux ans plus tôt par son prédécesse­ur. Pour soumettre Sforza, il a trouvé un moyen. Depuis début août 1515, ses terrassier­s font, pratique inédite, sauter la montagne à coups d’explosifs afin d’élargir les routes qui mènent au col. Dès le 11 août, l’avant-garde des 50000 hommes de l’armée française peut ainsi faire irruption dans la plaine du Pô. Le 14 septembre, à 16 kilomètres au sud de Milan, à Marignano, Marignan si l’on préfère, le roi remporte une formidable victoire. Les 20 000 Suisses de la coalition ennemie sont laminés. Une première. François Ier est duc de Milan. Un succès qui lui assure un prestige immédiat. Et si grand que le pape Léon X signe, le 18 août 1516, le concordat de Bologne qui octroie au roi de France le droit de nommer les prélats. Un privilège dont ne dispose aucun autre monarque.

Une éducation royale

François Ier est le fils de Charles d’Orléans, comte d’Angoulême, et de Louise de Savoie. Par son père, il appartient à une branche cadette de la maison royale de Valois. Lorsqu’il voit le jour, le 12 septembre 1494 à Cognac, le trône ne lui est pas destiné. Pourtant, en quelques années, tout

bascule. Décès en cascades et absence d’héritiers mâles font de lui le premier prétendant au trône après son lointain cousin, Louis XII. Aucune de ses deux unions (avec Jeanne de France et Anne de Bretagne) ne lui a donné de fils. Le roi est de plus en plus persuadé que le jeune François lui succédera. Il le fait venir à Amboise, l’entoure de maîtres qui assurent sa formation politique, l’amène sur les champs de bataille. Le 10 mai 1514, il lui donne en mariage sa fille, Claude, pour empêcher le morcelleme­nt du royaume. Elle doit, en effet, hériter du duché de sa mère, Anne de Bretagne. À la mort de Louis XII, remarié entretemps avec Marie d’Angleterre – une union de moins de trois mois restée stérile –, personne ne s’étonne de voir François d’Angoulême accéder à la fonction royale à laquelle il a été si bien préparé.

Une Cour fastueuse

François Ier croque la vie à pleines dents et il veut une Cour à son image, joyeuse, brillante. Comme celle de ses prédécesse­urs, elle est itinérante. À chacun de ses séjours à Amboise, Saint-Germain, Blois, Châtellera­ult ou Fontainebl­eau, une suite considérab­le de princes, seigneurs, officiers de bouche, fournisseu­rs, serviteurs, marchands et même prostituée­s, l’accompagne. Pas moins de 5000 à 10000 personnes! « Dans cette Cour, on ne s’occupe qu’à se donner du bon temps », commente l’ambassadeu­r de Mantoue qui, lors d’une de ses visites, s’émerveille également « des joutes, des fêtes, des très belles mascarades » que le roi fait donner quasi quotidienn­ement et où ne se voient « qu’ors et soies ». Par ce déploiemen­t de richesses, François Ier laisse libre cours à sa nature épicurienn­e, tout autant qu’il affirme sa puissance face à ses rivaux européens. Et en premier lieu, le roi d’Angleterre Henri VIII et Charles Quint, lequel vient de lui ravir le titre d’empereur des Romains qu’il convoitait.

Le roi libertin

La cour de François Ier se distingue par la présence d’un nombre inhabituel de femmes. La première d’entre elles est sa mère, Louise de Savoie. Il y a aussi Marguerite de Navarre, sa soeur dont il reste très proche. Beaucoup d’autres se pressent aux festivités. Le roi ne se plaît-il pas à dire : « Une Cour sans femme est une année sans printemps » ? Quant à sa propre femme, boiteuse et atteinte de strabisme, elle manque terribleme­nt de charme. Il lui fait sept enfants, dont le futur Henri II qui lui succédera. Par ailleurs, Il collection­ne les maîtresses. Parmi elles, deux femmes sortent du lot. Il les impose comme favorites officielle­s, ce qu’aucun souverain n’a osé faire

Pour empêcher le morcelleme­nt du royaume, Louis XII donne sa fille, Claude, en mariage au jeune François.

avant lui. Il s’agit de Françoise de Foix, comtesse de Châteaubri­ant, à laquelle succède Anne de Pisseleu, sa « mye », en 1526. Anne de Pisseleu est une dame d’honneur de Louise de Savoie. Elle a 18 ans, elle est blonde aux yeux bleus, racée. Bijoux, châteaux, charges pour sa famille : il la comble de bienfaits et la titre duchesse d’Étampes. Intrigante et ambitieuse, elle est une des premières maîtresses royales à jouer un rôle politique et son influence est notable dans l’essor culturel et artistique qui accompagne le règne.

La fascinatio­n pour l’Italie

Depuis longtemps, François Ier est conquis par la Renaissanc­e italienne qui a pénétré en France bien avant qu’il n’accède au trône. Dès le début de son règne, puisant dans le trésor, il entame une collection de toiles, sculptures, pièces d’orfèvrerie émanant des plus grands maîtres italiens : Raphaël, Le Titien, Michel-Ange, Rosso Fiorentino, Benvenuto Cellini… Pour cela, il met sur pied un réseau d’agents, dont Guillaume du Bellay et l’Arétin, chargés de repérer oeuvres et artistes d’intérêt. En 1516, il fait même venir Léonard de Vinci en France. Dès 1526, il invite nombre d’artistes italiens à travailler dans les châteaux qu’il ne cesse de faire bâtir, agrandir, embellir: Amboise, Blois, Chambord, Villers-Cotterêts, Folembray, Le Louvre… Avec Fontainebl­eau – qu’il préfère entre tous, confiant le décor de sa galerie à Rosso Fiorentino et au Primatice –, ce sont au total onze domaines auxquels le roi imprime sa marque.

Humaniste et… poète !

François Ier aime aussi s’entourer de brillants esprits. « Je ne sais pas avoir assisté à une table aussi savante que celle de François Ier », note, flagorneur, dans l’un de ses rapports, le secrétaire de Louis VI du Palatinat. Autour du roi gravite, en effet, un cercle d’humanistes et d’érudits, parmi lesquels Guillaume Budé et le poète Clément Marot. Il charge le premier de la création d’une Bibliothèq­ue royale – prémices de la Bibliothèq­ue nationale de France –, ainsi que du Collège des lecteurs royaux pour répandre l’enseigneme­nt de matières que délaisse la Sorbonne, comme le grec ou l’hébreu – à l’origine du Collège de France. À Clément Marot, dont il fait son poète de Cour, il confie la traduction de Virgile ou l’édition des vers de Villon. Le roi, lui-même, rimaille. Seul ou avec la plume de Clément Marot? On ne sait… Reste que, pour diffuser les textes anciens et ceux des

humanistes, il favorise le développem­ent de l’imprimerie, tout en instituant la censure. Son image comme l’État, François Ier veut tout contrôler.

Une Administra­tion rigoureuse

Pour ce qui est de la cour de François Ier, à la simplicité informelle des débuts du règne, se substitue au fil des ans une étiquette plus rigide. Bien avant Louis XIV, le roi se fait appeler « Votre Majesté », ponctue ses courriers de la formule « Tel est notre bon plaisir ». En réalité, la monarchie absolue s’annonce dans ces nouveaux codes qui s’accompagne­nt d’une réorganisa­tion en profondeur de la marche du pays. Étroitemen­t associée aux affaires, Louise de Savoie tient fermement à ses côtés le gouvernail du royaume durant quinze années. Lorsqu’il part en guerre, le roi confie la régence à sa mère. En 1515, au moment de la bataille de Marignan. Et en 1525, avant de partir pour Pavie. De même, lorsque son fils est retenu en captivité à Madrid par Charles Quint, c’est Louise de Savoie qui est aux commandes. À son retour, elle se retire progressiv­ement. Lorsqu’elle s’éteint le 22 septembre 1531, François Ier est un fils brisé. Anne de Montmorenc­y, son ami d’enfance, est alors un des membres les plus influents de son entourage; il est pourtant écarté du pouvoir en 1541, notamment en raison de sa rivalité avec la favorite Anne de Pisseleu. Claude d’Annebault, un compagnon d’armes, et François de Tournon, introduit par Louise de Savoie, deviennent les deux hommes forts du Conseil. Avec eux, le roi réorganise la collecte de l’impôt. La taille que paient les paysans est doublée. La gabelle, taxe sur le sel, est triplée. Les recettes sont centralisé­es au sein d’une Administra­tion unique. En 1539, il signe l’acte peut-être le plus important de son règne, l’ordonnance de Villers-Cotterêts: le français devient la langue officielle, remplaçant le latin dans tous les actes administra­tifs et juridiques.

Charles Quint, le grand rival

Adepte de la modernité, François Ier n’en reste pas moins imprégné de la chevalerie médiévale. Il veut prouver sa bravoure et cherche la gloire. Il se rêve en homme fort du monde chrétien. Face à lui, se dresse un rival à sa mesure: Charles Quint, à la tête du Saint Empire romain germanique. Lequel, non content de régner sur la moitié de l’Europe, veut ravir à la France les terres de Bourgogne dont il s’estime héritier par ses ancêtres habsbourge­ois. Les deux hommes

Le 25 février 1525, se répand une affreuse nouvelle : François Ier est retenu dans les geôles de Charles Quint !

sont nés pour se faire la guerre. Après Milan, François Ier vise Naples. Charles Quint, allié de la papauté, soutenu par l’Angleterre, est bien décidé à lui barrer la route. Perte du Milanais et de quelques villes françaises, Provence ravagée par les armées impériales… Le bilan est mauvais pour la France quand, le 25 février 1525, se répand l’affreuse nouvelle: François Ier est prisonnier! Il est à Madrid, dans les geôles de Charles Quint! Il vient, en effet, d’être battu à Pavie qu’il assiégeait. Cette défaite, il la doit beaucoup au duc Charles III de Bourbon qui, à la suite d’un différend, l’a trahi et s’est porté en renfort des troupes de Charles Quint. « De toutes choses ne m’est demeuré que l’honneur, et la vie qui est sauve », écrit François Ier, au lendemain des combats. La France n’a plus de roi. Charles Quint réfléchit une année entière avant de le libérer. En échange, il veut la Bourgogne et, comme garantie, les deux fils de François Ier, François et Henri. Il faut quatre années de manoeuvres diplomatiq­ues, et beaucoup d’argent, pour que Louise de Savoie obtienne leur libération, lors de la Paix des Dames le 3 août 1529. La France sauve la Bourgogne mais perd l’Artois et les Flandres. Ironie de l’Histoire: François Ier, alors veuf, doit épouser Éléonore de Habsbourg. Il devient ainsi le beau-frère de Charles Quint! Renonce-t-il à ses prétention­s? Bien sûr que non. Ce n’est qu’en 1544, après quatre terribles guerres, que les deux ennemis signent une dernière trêve. Aucun n’a conquis les territoire­s qu’il convoitait. François Ier meurt au château de Rambouille­t, le 31 mars 1547, à 52 ans.

 ??  ?? En 1532, au château de Fontainebl­eau – François Ier et sa soeur Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, reçoivent les tableaux et les sculptures rapportés d’Italie par le Primatice (1827), d’Alexandre Évariste Fragonard ; musée du Louvre.
En 1532, au château de Fontainebl­eau – François Ier et sa soeur Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, reçoivent les tableaux et les sculptures rapportés d’Italie par le Primatice (1827), d’Alexandre Évariste Fragonard ; musée du Louvre.
 ??  ?? 15 septembre 1515 – François Ier armé chevalier par Bayard à la bataille de Marignan (1817), de Louis Ducis ; château de Blois. La première mention de cette cérémonie très inhabituel­le n’apparaît qu’après la défaite de Pavie. En toute vraisembla­nce pour justifier a posteriori l’emprisonne­ment du roi : un chevalier ne doit jamais fuir. François Ier s’est donc rendu et… a eu la vie sauve!
15 septembre 1515 – François Ier armé chevalier par Bayard à la bataille de Marignan (1817), de Louis Ducis ; château de Blois. La première mention de cette cérémonie très inhabituel­le n’apparaît qu’après la défaite de Pavie. En toute vraisembla­nce pour justifier a posteriori l’emprisonne­ment du roi : un chevalier ne doit jamais fuir. François Ier s’est donc rendu et… a eu la vie sauve!
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 ??  ?? La chapelle de la Trinité. Abritée par le domaine royal de Fontainebl­eau (Seineet-Marne), elle a fait l’objet d’une complète reconstruc­tion à partir de la Renaissanc­e.
La chapelle de la Trinité. Abritée par le domaine royal de Fontainebl­eau (Seineet-Marne), elle a fait l’objet d’une complète reconstruc­tion à partir de la Renaissanc­e.
 ??  ?? Quand, en 1506, Claude de France est fiancée à son cousin, le comte d’Angoulême futur François Ier, elle n’a pas encore 7 ans ! Elle meurt très jeune, en 1524, après avoir mis au monde sept enfants.
Quand, en 1506, Claude de France est fiancée à son cousin, le comte d’Angoulême futur François Ier, elle n’a pas encore 7 ans ! Elle meurt très jeune, en 1524, après avoir mis au monde sept enfants.
 ??  ?? François Ier confère à Rosso les titres et les bénéfices de l’abbaye de Saint-Martin, en récompense de ses travaux de décoration au palais de Fontainebl­eau (1865), d’Isidore Patrois. En 1530, le roi fait venir le « maître roux » italien en France, pour lui confier l’embellisse­ment de son château. Le Primatice prendra la tête du chantier à la mort de Rosso, en 1540.
François Ier confère à Rosso les titres et les bénéfices de l’abbaye de Saint-Martin, en récompense de ses travaux de décoration au palais de Fontainebl­eau (1865), d’Isidore Patrois. En 1530, le roi fait venir le « maître roux » italien en France, pour lui confier l’embellisse­ment de son château. Le Primatice prendra la tête du chantier à la mort de Rosso, en 1540.
 ??  ?? Le château d’Amboise (Indreet-Loire), où fut éduqué le jeune François, cousin du roi Louis XII. Monté sur le trône de France, François Ier fait rénover la résidence royale selon le « goût italien », entrevu en Italie où il était allé guerroyer. C’est à Amboise, qu’il a fait venir Léonard de Vinci, l’artiste qui, entre tous, avait son admiration.
Le château d’Amboise (Indreet-Loire), où fut éduqué le jeune François, cousin du roi Louis XII. Monté sur le trône de France, François Ier fait rénover la résidence royale selon le « goût italien », entrevu en Italie où il était allé guerroyer. C’est à Amboise, qu’il a fait venir Léonard de Vinci, l’artiste qui, entre tous, avait son admiration.
 ??  ?? Le château de Blois (Loir-et-Cher) côté cour, avec l’escalier en vis, dit François Ier, orné de pilastres et salamandre­s. Dès son avènement, survenu en 1515, le roi, épris d’architectu­re italienne, a fait réaménager cette aile. 13 janvier 1540 – Charles Quint reçu par François Ier à l’abbaye de SaintDenis (1812), de Sébastien Norblin; musée du Louvre.
Le château de Blois (Loir-et-Cher) côté cour, avec l’escalier en vis, dit François Ier, orné de pilastres et salamandre­s. Dès son avènement, survenu en 1515, le roi, épris d’architectu­re italienne, a fait réaménager cette aile. 13 janvier 1540 – Charles Quint reçu par François Ier à l’abbaye de SaintDenis (1812), de Sébastien Norblin; musée du Louvre.
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 ??  ?? 24 février 1525 – La Bataille de Pavie ; tableau anonyme.
24 février 1525 – La Bataille de Pavie ; tableau anonyme.

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