Entrevue du camp du Drap d’or, un royal jeu de dupes
La grande rencontre entre le Français François Ier et l’Anglais Henri VIII se solde par un échec. Elle a pour cadre le lieu-dit du Val-Doré, évocateur de la magnificence déployée par les deux monarques.
Festivités amicales entre deux souverains cherchant à mieux se connaître ? Terrain d’affrontement entre deux puissants qui se jaugent? Comment classer l’étonnant rendezvous que se fixent, du 7 au 24 juin 1520, Henri VIII roi d’Angleterre, et François Ier, celui de France ? Ce qui est certain, c’est que, par son
faste, l’entrevue du camp du Drap d’or s’impose comme un événement à part dans l’Histoire.
Un match en mal d’arbitre
Officiellement, il s’agit d’une rencontre diplomatique visant à négocier une alliance entre les deux monarques sur fond de guerre imminente. L’élection de Charles Quint, l’année précédente, à
la tête du Saint Empire romain germanique, a exacerbé sa rivalité avec François Ier. Ce dernier, candidat malheureux, a tout lieu de se sentir menacé par ce voisin, dont les possessions encerclent littéralement son royaume : Charles Quint lui a déjà fait savoir sa volonté de reprendre, les terres du duché de Bourgogne de ses aïeuls carolingiens. Le Français, de son côté, vise, après le duché de Milan, Naples et la Sicile, royaumes que Charles Quint n’entend pas laisser échapper. Problème: les deux forces en présence sont peu ou prou de puissance égale. Seul, le ralliement anglais à l’une ou l’autre pourrait modifier l’équilibre des forces en présence. François Ier entreprend une opération de séduction. D’où l’idée de cette rencontre négociée avec le conseiller d’Henri VIII, le cardinal Thomas Wolsey. Elle a lieu en zone neutre, près de Calais, entre Guînes, alors possession anglaise, et Ardres, en territoire français.
Palais de cristal et tentes d’or
Parmi les quelque 6 000 invités, la fine fleur des noblesses anglaise et française. Pour aménager le site, il a fallu des milliers d’ouvriers, ainsi qu’une armada de bateaux, quantité de charrettes et mules pour transporter matériaux, meubles, tapisseries, vaisselle et victuailles… Les moyens mis en oeuvre pour cette rencontre au sommet sont proprement stupéfiants. Le camp construit par chacun des monarques ne l’est pas moins. Côté anglais : une suite de tentes reliées les unes aux autres aboutissant à un palais à ossature en bois, avec tourelles et murs crénelés, couvert de velours et de drap d’or. La moitié du palais est « tout en verrines », s’émerveille Robert de la Marck, compagnon d’armes de François Ier. Du jamais-vu que ces baies à carreaux vitrés! Le château éphémère y gagne le surnom de palais de cristal. Côté français, un magnifique camp militaire rassemblant plus de 300 tentes rondes, coiffées de velours, de brocarts, de drap d’or fleurdelisé, et ornées de blasons, de griffons et de chimères. Au centre, la tente de François Ier, que surmonte un saint Michel tutélaire. Bien sûr, cela a un prix. Le trésor français doit débourser 400 000 livres. Une fortune ! Le 7 juin, les deux rois se rencontrent, au son des canons et des trompes, escortés de centaines de gardes. Le coup d’envoi est donné d’une série de festins, bals, joutes et tournois. Les champs environnants sont couverts, sur des hectares, de lices où s’affrontent les deux parties. Des batailles amicales qui cachent mal leur orgueil et leur rivalité.
Échec au roi François Ier
Espérant par l’étalage de ses richesses en imposer à Henri VIII, François Ier en fait trop. Trop d’or, des bals trop somptueux, une chère trop abondante et trop bonne, trop d’esprit devant les dames… L’Anglais, qui n’a pas lésiné non plus pour prouver la supériorité de sa Cour, ne dit rien mais repart très vexé. Deux semaines plus tard, il pactise avec Charles Quint! Les jeux étaientils donc déjà faits? Avant son départ pour Calais, en effet, Henri VIII avait rencontré l’empereur en Angleterre. Celui-ci a fait valoir leur parenté (par le biais de sa tante, Catherine d’Aragon, épouse d’Henri VIII) et leur intérêt commun d’une France affaiblie. Il promet de soutenir Henri VIII dans la reconquête des territoires français, possessions jadis de ses aïeux Plantagenêt. À son conseiller, le cardinal Wolsey, il fait miroiter la tiare papale… Le 14 juillet 1520, à Gravelines, tous deux signent un traité d’amitié, transformé l’année suivante en une véritable coalition contre la France. La Sixième Guerre d’Italie peut commencer.