Secrets d'Histoire

Henri VIII, l’arbitre de l’Europe

- Par Béatrice Dangvan

Six mariages, des alliances diplomatiq­ues qui fluctuent au gré de l’humeur, beaucoup de têtes coupées… Le règne d’Henri VIII est l’un des plus déroutants qui soient. Cependant, avec un schisme religieux inédit, il va marquer à jamais l’Histoire de l’Angleterre.

Il y a longtemps qu’on n’a tant ri, jouté, festoyé, dépensé à la cour d’Angleterre. Depuis le 21 avril 1509, date où le roi Henri VIII accède au trône, ce ne sont que bals, tournois, banquets, folles parties de chasse et fêtes où l’argent coule à flots. Rien n’est trop beau, trop cher, pour le jeune roi qui aime, avant toute chose, s’amuser. Quoi de plus normal. Il n’a pas encore 18 ans et déborde de vitalité. Avec feu son père Henri VII, le contraste est saisissant: il était maigrelet et maladif, terne et avaricieux. Chacun se réjouit de l’arrivée de ce

nouveau monarque joyeux et dispendieu­x. Il faut en profiter, les jours insouciant­s ne vont pas durer.

Teint rose et coeur de pierre

Henri naît le 28 juin 1491 au palais de Placentia, à Greenwich. Second fils d’Henri Tudor et d’Élisabeth d’York, il n’est alors pas destiné à régner. Lorsqu’il a 11 ans, la mort de son aîné, Arthur, change son destin. Il devient, sans préparatio­n véritable, l’héritier de la Couronne. Le 11 juin 1509, soit deux mois après son avènement, on l’unit à la veuve de son frère, Catherine d’Aragon, 5 ans plus âgée. Pourquoi ce mariage ? Il s’agit de conforter l’alliance passée au temps d’Henri VII avec l’Espagne de Ferdinand II. Les Tudor encore contestés à l’issue de la guerre des Deux Roses ont besoin de puissants appuis. Pour assurer la pérennité de la dynastie, Catherine d’Aragon est là, en âge d’enfanter. Pourquoi chercher plus loin ? Pour l’heure, le roi se satisfait de cette union. Qui est-il? Grand, large d’épaules, le visage rond et le teint rose, il est bel homme. Rien à voir avec le souverain obèse qu’immortalis­ent les toiles de

Hans Holbein. C’est même un athlète qui excelle dans tous les exercices physiques. Les plaisirs de l’esprit ne lui sont pas étrangers. Il correspond avec Érasme. Il converse avec Thomas More et il a du goût pour la théologie. En prince de son temps, il aime les beaux habits de brocart, la fourrure, charge ses doigts d’énormes bagues, son cou de volumineux colliers d’or. Mais sa Cour fastueuse, sa bibliothèq­ue remplie d’oeuvres d’humanistes et de théologien­s sont à peu près les seules concession­s faites à la Renaissanc­e. Il n’est pas comme François Ier un bâtisseur et l’art italien ne l’intéresse guère. Reste que le caractère d’Henri VIII est moins souriant que sa Cour. Le roi est capricieux, changeant, coléreux. Il peut être violent. C’est un hypocondri­aque. Pire, il aime humilier. Qu’on le contredise ou qu’on lui semble supérieur, sa réaction peut être terrible. Nombreux sont ceux qui font les frais de ce tempéramen­t tyrannique.

Entre guerres et paix avec la France

Monté sur le trône, Henri VIII piaffe d’en découdre avec les Français. À l’Angleterre, il veut redonner l’Aquitaine perdue à la fin de la guerre de Cent ans. Ainsi, il adhère en 1511 à la Sainte Ligue formée par le pape Jules II. Contre le roi de France Louis XII, la ligue dresse la papauté, l’Aragon de Ferdinand II, la République de Venise et les cantons suisses, bientôt rejoints par Maximilien Ier et le Saint Empire romain germanique. Pour le pape, il s’agit de stopper l’avancée française en Italie du Nord. Louis XII détient alors le duché de Milan. En Espagne, Ferdinand II souhaite protéger son royaume de Naples. À la tête de ses armées, Henri VIII croit qu’il va se couvrir de gloire. De fait, il remporte une première victoire à Guinegatte (aujourd’hui Enguinegat­te dans le Pas-de-Calais) et prend la ville belge de Tournai. Réveillant « l’auld alliance » qui, depuis des siècles, unit la France à l’Écosse, Louis XII convainc son roi, Jacques IV, d’envahir l’Angleterre. Hélas pour les Écossais, la bataille de Flodden est une défaite terrible. Jacques IV y perd la vie. Une période compliquée s’ouvre pour le royaume écossais et l’attaque anglaise contre la France ne rapporte rien. De plus, le trésor entassé par Henri VII est déjà dilapidé. celui-ci est contraint de faire la paix avec l’ennemi français. Pour sceller cette alliance, sa soeur Marie d’Angleterre épouse, en octobre 1514, le vieux roi de France. Trois mois plus tard, elle est veuve et… toute joyeuse de traverser la Manche dans l’autre sens pour épouser son amour de toujours, le duc de Suffolk, Charles Brandon. Désappoint­é, Henri VIII ne peut dès lors qu’adhérer à la politique pacifiste que veut poursuivre le nouvel homme fort de son gouverneme­nt, Thomas Wolsey.

Un diplomate versatile

Le cardinal Wolsey peut se targuer d’une ascension fulgurante. Il est d’abord l’aumônier du roi. Très vite, il en comprend les faiblesses. Flattant sa paresse, répondant au moindre de ses désiratas, il a su se rendre indispensa­ble. En 1514, à 41 ans, il devient archevêque d’York puis cardinal et légat du pape, enfin et surtout Chancelier du royaume d’Angleterre, ministre principal d’Henri VIII, dès l’année suivante. Carrière inouïe que celle de ce fils de boucher qui a étudié à Oxford. Il gouverne d’une main de fer et maintient le calme dans le royaume durant quinze années. C’est lui qui engage Henri VIII à ce qui sera désormais au coeur de sa politique extérieure: se faire l’arbitre des conflits en Europe. À son initiative est signé, en 1518, un pacte de non-agression entre l’Angleterre, la France, l’Espagne et le Saint Empire. Il s’agit surtout de s’unir face à la menace grandissan­te que constitue l’expansionn­isme de l’Empire ottoman. Henri VIII rend Tournai à la France. Pourtant, lorsqu’à la fin du printemps de l’année 1520, il discute avec François Ier à Calais, lors de la fameuse rencontre diplomatiq­ue du camp du Drap d’or, il s’est déjà rallié à Charles Quint. En 1521, les hostilités franco-anglaises reprennent. Chargées, en 1523, de soutenir l’Armée impériale par une offensive dans le nord de la France, les armées anglaises ne brillent guère. Survient la bataille de Pavie, le 24 février 1525. Quelle défaite pour les Français ! Leur roi est désormais prisonnier du Habsbourg ! Henri VIII jubile. Il se voit déjà envahir le royaume du Valois, et même ceindre sa couronne. Charles Quint ne l’entend pas ainsi. Pourquoi se doter d’un allié qui deviendrai­t alors aussi puissant que lui? Il lui suffit d’abaisser le roi de France qu’il dépouille en 1526 de la Bourgogne… En Europe, on s’inquiète. L’empereur des Romains ne devient-il pas trop puissant ? Une nouvelle coalition, la Ligue de Cognac, est lancée par le pape Clément VII. La cible ? Cette fois, c’est Charles Quint. Le versatile Henri VIII est de la partie. Nouveaux combats, nouvelle trêve. Durable, celle-ci, car chacun est occupé ailleurs.

Ann Boleyn, celle par qui le schisme est arrivé

Elle n’est pas belle mais elle possède un certain charme. Henri VIII fait la connaissan­ce d’Ann Boleyn en 1522, à son retour de trois années passées à la cour de France pour parfaire son éducation. Elle est la fille d’un conseiller du roi, Thomas Boleyn. Elle le séduit dès leur première rencontre. Tout juste 20 ans, brune, plutôt fluette, elle a de beaux yeux, un long cou, de longs cheveux qu’elle garde dénoués. Avant de s’amouracher d’elle, Henri VIII est d’abord l’amant de sa soeur Mary. Bien sûr, elle n’est pas sa première maîtresse: d’Elizabeth Blount, une des demoiselle­s d’honneur de la reine, il a déjà un fils, Henry FitzRoy, fait duc de Richmond. La particular­ité d’Ann Boleyn ? Elle refuse les avances royales. Pour se donner, la belle veut être épousée. Problème, Henri VIII est marié. Catherine d’Aragon n’a enfanté qu’une fille, Marie, née en 1516. Les règles monarchiqu­es anglaises n’interdisen­t pas qu’elle monte sur le trône, cependant le roi n’en démord pas, il veut un garçon. En 1527, il charge Wolsey de négocier avec le pape les conditions d’un divorce. Arguments juridiques et théologiqu­es, avis du Parlement, convocatio­n d’un tribunal ecclésiast­ique, rien ne décide Clément VII à accorder l’annulation du mariage royal. C’est Ann Boleyn qui trouve la solution. Lorsque décède l’archevêque de Canturbery, en 1532, elle lui souffle de le remplacer par un proche acquis à leur cause, Thomas Cranmer. Le pape ne sent pas la manoeuvre et consent. Le 23 mai 1533, l’archevêque Cranmer préside un tribunal spécial qui dissout l’union avec Catherine d’Aragon. Il était temps : enceinte, Ann Boleyn s’est mariée en secret avec son roi. Sans tarder, Cranmer la sacre reine d’Angleterre. Le 7 septembre 1533, vient au monde la future Élisabeth Ire. Le 23 mars 1534, Henri VIII est excommunié. Le 3 novembre 1534, une série de lois, essentiell­ement théorisées par Cranmer et mises en forme par le nouveau chancelier, Thomas Cromwell, est votée par le Parlement. « L’Acte de suprématie » fait désormais d’Henri VIII le chef de l’Église d’Angleterre. L’Église anglicane est née.

La quête d’un héritier

Si le schisme simplifie ses affaires matrimonia­les, Henri VIII, ruiné par ses guerres, y voit aussi un moyen de résoudre ses problèmes financiers. Il s’empare des biens du clergé. Ainsi, les terres, pas moins d’un cinquième du royaume, dont la papauté perçoit les revenus, rentrent dans le giron royal. Pour imposer l’anglicanis­me,

Ann Boleyn refuse les avances royales. Pour se donner, la belle veut être épousée. Problème, Henri VIII est marié.

Le 12 octobre 1537, Jeanne Seymour donne naissance à un petit Édouard. Un fils ! Henri VIII est fou de joie.

il ferme aussi les monastères, fait exécuter les prêtres récalcitra­nts, persécute ses sujets indociles. Du côté de sa vie intime, rien ne va plus. Ann Boleyn ne lui donne pas l’héritier mâle attendu et ils ne s’entendent plus. Jeanne Seymour, une dame de compagnie, attire son attention. Il se laisse convaincre par son entourage que son épouse a plusieurs fois commis l’adultère, y compris avec son propre frère ! Jugée et condamnée, Ann Boleyn est décapitée, le 19 mai 1536, dans la tour de Londres. Son règne a duré trois années seulement. Tout de suite après l’exécution, Henri VIII épouse Jeanne Seymour, 27 ans. Elle est de vieille noblesse, descend d’Édouard Ier. Sans être jolie, elle a un caractère aimable. Le 2 octobre 1537, elle donne naissance à un petit Édouard. Un fils! Le roi est fou de joie. Jeanne Seymour, hélas, meurt des suites de l’accoucheme­nt douze jours plus tard. À 46 ans, voilà donc Henri VIII veuf. Sur l’avis de ses conseiller­s, il ne tarde pas à songer à convoler de nouveau. L’élue est Anne, fille du duc de Clèves, sujet de Charles Quint, dont l’opposition notoire à l’empereur en fait un allié important en cas d’offensive catholique. Pourtant, il hésite. Anne est-elle belle ? Rien de mieux qu’un portrait pour le savoir. Holbein est dépêché dans le duché pour le réaliser. Le roi est rassuré : la demoiselle fait route vers l’Angleterre. En janvier 1540, à Rochester, où il doit rencontrer sa fiancée pour la première fois, il se déguise pour l’observer incognito. À la consternat­ion générale, il lâche : « Elle ne me plaît pas ! » Trois mois plus tard, il fait annuler leur mariage. « Je l’ai laissée aussi vierge que je l’ai trouvée », dit-il pour seule explicatio­n de cet abandon. Cromwell, instigateu­r de l’union, paie ce faux pas de sa vie : Il est décapité, le 28 juillet 1540.

La vieillesse d’un tyran

Henri VIII renonce-t-il, dès lors, à convoler? Il a remarqué dans la suite d’Anne de Clèves une aguichante dame de compagnie. Âgée de 19 ans, Catherine Howard a dans l’oeil cette « coquinerie » qui ne trompe pas un homme d’expérience. Les choses sont menées rondement. Il l’épouse le jour même où Cromwell est décapité. Couverte de cadeaux et de bijoux, Catherine s’ennuie très vite aux côtés de ce déjà vieux mari souffreteu­x. Elle a la jeunesse insouciant­e. Elle le trompe avec toute une bande de godelureau­x de la Cour. L’archevêque Thomas Cranmer se charge de révéler au roi, preuves à l’appui, la trahison de sa femme. Larmes, désespoir et, à la fin, punition: la reine est décapitée à la tour de Londres, le 13 février 1542. Henri VIII traverse un épisode dépressif mais son naturel gaillard reprend rapidement le dessus. Dix-sept mois plus tard, il convole avec Catherine Parr, 31 ans. Blonde, aimable, le caractère docile, elle est la fille d’un simple chevalier mais, après Ann Boleyn sans doute, on peut considérer qu’elle est la femme de sa vie. Plus qu’une épouse, elle devient une infirmière qui le soigne et le réconforte. Cultivée et sage, elle réunit autour du roi ses enfants, prend en main leur éducation. Henri VIII peut sereinemen­t se remettre aux affaires. Entre François Ier et Charles Quint, les hostilités ont repris depuis 1542. Pour le Saint Empire, il s’agit cette fois d’envahir la France: un projet que ne peut désavouer l’Angleterre. En 1544, celle-ci prend Boulogne. Mais ce même jour, Charles Quint conclut une trêve avec l’ennemi! Furieux, Henri VIII est contraint de signer avec François Ier en 1546, le Traité d’Ardres qui lui enjoint de restituer Boulogne à la France. De toutes ces années de revirement­s d’alliances et de combats, il ne retire rien. Il meurt le 28 janvier 1547 au palais de Whitehall, à l’âge de 56 ans, non sans avoir au préalable encore coupé quelques têtes. Avec lui, le siècle d’or de la Renaissanc­e tient son monstre.

Âgée de 19 ans, Catherine Howard a dans l’oeil cette « coquinerie » qui ne trompe pas un homme d’expérience tel Henri VIII. Les choses sont menées rondement…

 ??  ?? Portrait (1539) d’après Hans Holbein le Jeune, lequel a forgé pour la postérité l’image d’Henri VIII. Le roi a fait ce compliment : « De sept rustres (…), je puis faire sept comtes, mais de sept comtes pas un Holbein, ni un artiste de sa valeur ! »
Portrait (1539) d’après Hans Holbein le Jeune, lequel a forgé pour la postérité l’image d’Henri VIII. Le roi a fait ce compliment : « De sept rustres (…), je puis faire sept comtes, mais de sept comtes pas un Holbein, ni un artiste de sa valeur ! »
 ??  ?? 1533 – Le Divorce d’Henri VIII : le cardinal Thomas Wolsey et Catherine d’Aragon (1858), d’Eugène Devéria ; musée des Beaux-Arts d’Orléans. Peinture illustrant La Fameuse Histoire de la vie du roi Henri le Huitième, de Shakespear­e.
1533 – Le Divorce d’Henri VIII : le cardinal Thomas Wolsey et Catherine d’Aragon (1858), d’Eugène Devéria ; musée des Beaux-Arts d’Orléans. Peinture illustrant La Fameuse Histoire de la vie du roi Henri le Huitième, de Shakespear­e.
 ??  ?? Portrait anonyme de Marie Tudor (14961533). Soeur d’Henri VIII, elle est d’abord promise à Charles Quint, avant de s’unir à Louis XII, roi de France.
Portrait anonyme de Marie Tudor (14961533). Soeur d’Henri VIII, elle est d’abord promise à Charles Quint, avant de s’unir à Louis XII, roi de France.
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 ??  ?? Une allégorie de la dynastie des Tudor (1572), de Lucas d’Heere. Peint sous le règne d’Élisabeth Ire ce portrait de famille, où Henri VIII son père, trône entre la Guerre et l’Abondance (aux extrêmes) est censé appuyer sa légitimité.
Une allégorie de la dynastie des Tudor (1572), de Lucas d’Heere. Peint sous le règne d’Élisabeth Ire ce portrait de famille, où Henri VIII son père, trône entre la Guerre et l’Abondance (aux extrêmes) est censé appuyer sa légitimité.
 ??  ?? Henry VIII et le cardinal Wolsey (1888), de John Gilbert.
Henry VIII et le cardinal Wolsey (1888), de John Gilbert.
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 ??  ?? Henri VIII et Ann Boleyn chassant le cerf (1872), de William Powell Frith.
Henri VIII et Ann Boleyn chassant le cerf (1872), de William Powell Frith.
 ??  ?? La tour de Londres.
La tour de Londres.
 ??  ?? 7 juin 1520 – Entrevue de François Ier et d’Henri VIII au camp du Drap d’or, (1845, détail), de Friedrich Bouterwerk ; musée des Châteaux de Versailles et de Trianon.
7 juin 1520 – Entrevue de François Ier et d’Henri VIII au camp du Drap d’or, (1845, détail), de Friedrich Bouterwerk ; musée des Châteaux de Versailles et de Trianon.
 ??  ?? Portrait d’Édouard, prince de Galles, (1542), de Hans Holbein le Jeune.
Portrait d’Édouard, prince de Galles, (1542), de Hans Holbein le Jeune.
 ??  ?? Un portrait présumé de Catherine Howard, par Hans Holbein le Jeune ; National Portrait Gallery de Londres.
Un portrait présumé de Catherine Howard, par Hans Holbein le Jeune ; National Portrait Gallery de Londres.
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