Thomas More, l’insoumis
Son savoir encyclopédique et son affabilité font de cet humaniste anglais l’un des personnages les plus appréciés de son temps. Courant sur plus de vingt années, son incroyable carrière politique auprès d’Henri VIII, prend un tour fatal avec l’apparition de Cromwell dans l’entourage royal.
En 1529, la disgrâce du cardinal Thomas Wolsey marque un tournant dans le règne d’Henri VIII. Désormais, il gouverne seul, choisissant ses conseillers parmi les hommes qui lui paraissent proches de sa vision du pouvoir. C’est ainsi que, cherchant à remplacer Thomas Wolsey, il offre le Grand Sceau de chancelier à celui dont la réputation a traversé la Manche et s’étend à toute l’Europe, Thomas More. Dans un premier temps, ce grand humaniste refuse l’honneur qui lui est fait. Craint-il de finir pendu au gibet, comme beaucoup d’autres avant lui?
Célèbre dans toute l’Europe
Né en 1478, Thomas More est de 13 ans plus âgé qu’Henri VIII. Il est devenu avocat pour se conformer au voeu de son père, lui-même juriste. Il fréquente les philosophes les plus célèbres de son temps. Parmi eux, Érasme avec qui il tisse d’une profonde amitié. Dès lors, l’intérêt qu’il porte à la théologie ne fait que croître. Il se passionne pour le savant italien Pic de la Mirandole qu’il traduit et dont il rédige la biographie. Il s’impose peu à peu comme l’un des chefs de file du mouvement de renouveau de la pensée en Angleterre. Il est célèbre dans toute l’Europe. Membre du Parlement à l’âge de 26 ans, il y dénonce les exactions du règne d’Henri VII et doit, en conséquence, fuir en France. À la mort de ce dernier (survenue en 1509), Il revient en Angleterre et se fait rapidement remarquer par le tout-puissant archevêque d’York, le cardinal Wolsey, dont il administre les biens. Sa réputation d’homme intègre attire bientôt l’attention du roi Henri VIII. Sa carrière politique prend alors une ampleur inattendue.
Une ascension fulgurante
En 1516, Henri VIII nomme Thomas More maître des requêtes, une sorte de haut fonctionnaire collaborant étroitement avec le chancelier. Le souverain apprécie l’homme qui se trouve être un bon catholique, opposé aux idées luthériennes mais désireux tout de même de réformer l’Église. En 1521, il fait de lui le trésorier de la Couronne. En 1529, songeant que ses relations au sein des milieux humanistes et pontificaux ne peuvent que l’aider à imposer la réforme religieuse qu’il a déjà en tête, le roi offre à More le poste le plus important de son gouvernement. À peine nommé chancelier, celui-ci entreprend d’éradiquer les groupes de protestants qui prolifèrent dans le pays; il est alors, depuis le fameux pamphlet Adversus Lutherum, un farouche opposant de Luther. Il est cependant convaincu de la nécessité d’assainir le fonctionnement de l’Église d’Angleterre. Mais c’est l’annulation du mariage d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon qui va dicter la politique royale. Dans l’entourage royal, un conseiller ambitieux est apparu, Thomas Cromwell qui imagine une solution radicale pour obtenir le divorce qu’Henri VIII appelle de ses voeux. Cromwell, acquis au protestantisme, prône la séparation de l’Église d’Angleterre avec la papauté: le roi doit s’imposer comme son chef suprême. Fervent catholique, Thomas More ne peut se joindre à un tel projet. Aussi se met-il en retrait du pouvoir.
Avec Cromwell, une rivalité fatale
Exclu des grandes décisions, Thomas More se consacre dès lors aux fonctions de sa charge liées à la Justice et fait adopter d’importantes réformes dans ce domaine. Le 16 mai 1532, appelé à lire devant le Parlement le consentement des universités d’Oxford et de Cambridge à la désunion royale, il préfère démissionner. Il ne peut pas davantage adhérer au projet de la loi de succession que Thomas Cromwell va faire voter deux ans plus tard. Non seulement elle ratifie le remariage du roi, mais elle oblige tous ceux qui ont fait allégeance à Henri VIII à déclarer valide son divorce. Thomas More refuse obstinément de prêter serment. Il est arrêté, jugé pour haute trahison et… décapité, comme il se doit, le 6 juillet 1535. À l’instant ultime, il aurait soulevé sa barbe, et dit : « Ce serait un grand dommage qu’elle fût coupée, elle qui n’a jamais trahi personne ». Simple légende ? Peut-être… Sa tête n’en est pas moins longuement exposée sur le pont de Londres, plongeant l’Europe entière en état de sidération. En 1886, sous le pontificat de Léon XIII, Thomas More est béatifié et, en 1935, canonisé par Pie XII. Plus récemment, le pape Jean-Paul II a fait de lui le saint patron des chefs d’États et hommes politiques.