Secrets d'Histoire

17 août 1661 : les fêtes de Vaux-le-Vicomte

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La cour de Louis XIV est un panier de crabes – un animal qui ne figure pourtant pas dans le bestiaire fabuleux de La Fontaine. Celui-ci, qui commence à se faire connaître comme poète dans l’entourage du surintenda­nt Nicolas Fouquet, va être pris dans l'un des plus gros scandales du règne. Par amitié, il met sa plume au service de son protecteur.

Ce 17 août 1661, une belle soirée d'été s'annonce. Le château de Vaux, nouvelle résidence du surintenda­nt Nicolas Fouquet, paré de ses plus beaux atours, s'apprête à recevoir le roi et sa Cour, soit quelque 600 personnes. Seule la reine, enceinte, est restée à Fontainebl­eau. Jean de La Fontaine, qui n'est point encore totalement poète mais écrit des petites pièces à la gloire de son ministre protecteur, assiste, émerveillé, au spectacle.

Un « écureuil » bien impertinen­t

Soucieux d'honorer son roi et de faire briller son étoile, Fouquet n'a pas lésiné sur les moyens. Pour agrémenter le château qu'il vient de faire bâtir à grands frais, ont été apportés meubles et tapisserie­s de ses résidences parisienne­s. Son décorateur, Charles Le Brun, fait découvrir à la Cour les salons d'apparat, les plafonds richement

ornés; avec partout, cette allégorie d'écureuil qui se faufile sur les murs, les colonnes et les plafonds, jusqu'à oser fréquenter le soleil. Cette allégorie, c'est Fouquet lui-même. Fouquet à l'esprit vif et agile, dont le nom – écrit « foucquet » – signifie justement « écureuil » en gallo, la langue romane bretonne. L'animal est accompagné de la devise du surintenda­nt, « Quo non ascendet », soit « Jusqu'où ne montera-t-il point? » Ce petit rongeur grimpeur commence à agacer très sérieuseme­nt Louis XIV, 22 ans. Celui-ci, depuis la mort récente de Mazarin, goûte aux premières

La Fontaine écrit à un ami : « Tout combattit à Vaux pour le plaisir du roi, la musique, les eaux, les lustres, les étoiles. » Il n’avait rien vu venir de la royale colère…

joies d'un pouvoir qu'il veut absolu et attend donc obéissance de tous ses ministres. De son côté, Fouquet rêve de prendre la place de Mazarin, tant sur le plan des affaires qu'auprès du jeune roi. Il est persuadé que ce dernier va se lasser de tout vouloir gérer et qu'il lui faut juste attendre que jeunesse se passe. « L'écureuil » vient de commettre une lourde faute de jugement.

Vatel, Le Nôtre, Le Brun, Molière et Lully : rien de moins !

Sitôt la visite terminée, la Cour est conviée à passer à table, ou plutôt aux dizaines de tables où est servi un ambigu – un buffet où l'on trouve réunis tous les plats, du salé au sucré. Le talentueux François Vatel officie aux fourneaux et les hôtes se régalent. Comble du raffinemen­t, la vaisselle est en vermeil. Devant son assiette, le roi s'en montre « offusqué » (le qualificat­if est de Paul Morand): il n'a pas la même en son palais! Inconscien­t du drame qui se trame, Fouquet n'a pas lésiné sur la suite. Dans les jardins signés Le Nôtre, une comédie-ballet, un genre encore inconnu à la Cour, oeuvre de Molière et de Lully, au titre prémonitoi­re, Les Fâcheux ! Pour l'heure, on s'amuse dans les bosquets, en grignotant les douceurs servies par des laquais déguisés en elfes. Le retour au château est une apothéose avec, pour l'accompagne­r, un spectacula­ire feu d'artifice. À 2 heures du matin, le roi et sa Cour regagnent en carrosse le château de Fontainebl­eau, pendant que Fouquet se réjouit de cette fête si réussie et qui a tant marqué les esprits. La Fontaine en fait autant, qui écrit quelques jours plus tard à un ami : « Tout combattit à Vaux pour le plaisir du roi, la musique, les eaux, les lustres, les étoiles. » Lui non plus n'a rien vu venir. Pourtant, s'il avait pu se glisser dans le carrosse de retour à Fontainebl­eau, il aurait assisté à une royale colère.

La jalousie de Colbert

Louis XIV explose de fureur devant l'étalage de luxe auquel il a assisté, alors que les caisses du royaume sont presque vides. D'où vient cet argent ? Il faut que la reine-mère Anne d'Autriche le retienne pour qu'il ne fasse pas arrêter le surintenda­nt sur-le-champ… Le temps ne va pas calmer le roi. D'autant qu'un homme va s'empresser de souffler sur les braises. Conseiller de Mazarin, à qui il doit tout, Jean-Baptiste Colbert, 42 ans, espère bien prendre sa succession. Oui, mais voilà… Entre ses rêves et lui, il y a Fouquet. Fouquet, l'insolent, à qui tout réussit. Fouquet le courtisan brillant, le mécène avisé et prodigue. Fouquet, le surintenda­nt, alors que luimême n'est qu'intendant. Colbert veut la place de Fouquet mais il a aussi pour lui la haine que l'homme de l'ombre, le travailleu­r besogneux,

 ??  ?? Jean de La Fontaine, de H. Rigaud. À la mort de son père, l'auteur hérite d'une succession endettée. Sa rencontre avec Fouquet, qui le pensionne à partir de 1659, lui permet de se consacrer à son art.
Jean de La Fontaine, de H. Rigaud. À la mort de son père, l'auteur hérite d'une succession endettée. Sa rencontre avec Fouquet, qui le pensionne à partir de 1659, lui permet de se consacrer à son art.
 ??  ?? La bibliothèq­ue du château de Vaux-le-Vicomte à Maincy (Seineet-Marne), décorée par Le Brun. Jaloux, Louis XIV a fait appel, pour bâtir et meubler son Versailles, aux mêmes artistes que ceux choisis par Fouquet.
La bibliothèq­ue du château de Vaux-le-Vicomte à Maincy (Seineet-Marne), décorée par Le Brun. Jaloux, Louis XIV a fait appel, pour bâtir et meubler son Versailles, aux mêmes artistes que ceux choisis par Fouquet.
 ??  ?? Nicolas Fouquet, surintenda­nt des Finances (1888), d'Édouard Lacretelle ; musée des Châteaux de Versailles et de Trianon.
Nicolas Fouquet, surintenda­nt des Finances (1888), d'Édouard Lacretelle ; musée des Châteaux de Versailles et de Trianon.
 ??  ?? 1666 – Colbert présente à Louis XIV les membres de l'Académie royale (16731681), d'Henri Testelin.
1666 – Colbert présente à Louis XIV les membres de l'Académie royale (16731681), d'Henri Testelin.

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