1790-1792 : les enfants de la République
Difficile de se faire entendre quand on est bègue et que l’on veut convaincre. L’avocat se fait alors journaliste politique. Camille Desmoulins brandit sa plume comme une épée pour fustiger les ennemis de la Révolution. Il manie l’ironie avec un brio qui lui vaudra beaucoup d’ennemis et le surnom, donné par Lamartine, de « Voltaire de la rue ». Soutien indéfectible, Lucile partage ses enthousiasmes et ses indignations.
La veille de sa mort, Camille Desmoulins prononce ces mots : « J'avais rêvé une République que tout le monde eût adorée. » Il oublie que c'est ce qu'il a vécu, pleinement, dans les mois qui suivent le 14 juillet 1789… Cette République, il y croit dur comme fer. Et Lucile avec lui. Nourri par la pensée politique de Cicéron et l’idéal d’une démocratie populaire, il la développe dans deux pamphlets qui font grand bruit: La France libre et Le Discours de la lanterne aux Parisiens. Il y défend la nécessaire égalité entre les citoyens, la justice pour tous, la liberté de la presse et de religion. Sous sa plume, les mots « liberté, égalité, fraternité », unis dans une trinité
rêvée, apparaissent pour la première fois (suivis de « ou la mort »), bien avant que Robespierre ne les reprenne et les transforme en devise nationale.
Retour en grâce chez les Duplessis
Dès novembre 1789, Camille Desmoulins lance son journal, Les Révolutions de France et de Brabant. Le tirage, à 3000 exemplaires, est suffisant pour lui assurer des revenus. Le journaliste patriote continue d’y développer sa vision d’une République pour tous et s’oppose énergiquement à la monarchie, à la noblesse et au clergé. Il en sortira 86 numéros. Lucile suit de près son ascension, d’autant qu’il habite désormais tout près de chez ses parents, rue de Tournon, à côté
du Luxembourg. Il est au n°42, elle au n°17. Les Duplessis ont de nouveau ouvert leur porte au militant, dont les écrits laissent augurer un avenir brillant en politique. Il en profite pour faire une cour assidue à la jeune fille de la maison. Il est loin, le temps où la mère lui faisait tourner la tête !
Un mariage et des engagements
La ténacité de Camille Desmoulins et la profondeur des sentiments qu'il ressent pour Lucile l'emportent. Le 29 décembre 1790, ils sont unis par les sacrements du mariage à l’église SaintSulpice. Le marié a 30 ans, celle qui lui est destinée, tout juste 20. L’état-civil n’a pas encore été créé et le passage devant le curé est obligatoire, même pour les esprits libres. De toute façon, le révolutionnaire croit en Dieu ; c'est de son clergé qu'il se méfie. Lors de la cérémonie, sont présents plusieurs députés de la jeune Assemblée nationale. Parmi eux, Robespierre, dont il est proche depuis le lycée. Les mois suivants, Desmoulins, qui fréquente le club des Cordeliers, cultive ses liens d’amitié avec « l'Incorruptible » mais aussi avec Danton et Marat. Sa plume se fait de plus en plus incisive, ses engagements de plus en plus marqués. Ce précurseur a compris le pouvoir de la presse, qui engendre une communauté de lecteurs et peut les mobiliser, si besoin est. Homme de conviction, il a aussi de l’esprit et pratique
Plusieurs élus de l'Assemblée nationale assistent à la cérémonie. Parmi eux, Robespierre, un proche du marié.
l’humour et la satire. Ce qui fera dire à Lamartine, dans son Histoire des Girondins, qu’il est « l’Aristophane de la Révolution, le Voltaire de la rue ».
Lucile toujours à ses côtés
Quant à la nouvelle madame Desmoulins, elle s’enflamme pour la Révolution. Elle poursuit la rédaction de son journal personnel, dans lequel le « nous » remplace de plus en plus le « je ». Lucile s’identifie à Camille, ses combats sont les siens… Certes, elle admire cet homme de 10 ans son aîné, mais sa propre jeunesse ne l’empêche pas de donner des conseils avisés. Dans ses notes intimes, elle n’évoque plus ses rêveries bucoliques, elle parle politique et se révèle citoyenne avant tout. 1792 est une année importante pour les Desmoulins. Aux côtés de Robespierre, Danton et Marat, Desmoulins devient une figure de la Révolution. Le 10 août, la monarchie tombe. Danton, devenu ministre de la Justice, le nomme son secrétaire. Lui, à qui il manquait une légitimité populaire, est enfin élu à la Convention nationale. Il siège parmi les montagnards. Comme eux, il penche pour une répression sévère des contrerévolutionnaires. Il n’aime pas le roi, qu’il appelle « Louis le Faux », « le Mangeur du peuple ». Quelques mois plus tard, il vote sa mort. Il se prononce en défaveur de l’entrée en guerre de la France contre la Hongrie et la Bohême car, selon lui, la République se doit d’être pacifiste. Au coeur de l’action politique, Camille Desmoulins est aussi un homme comblé: le 6 juillet 1792, Lucile a mis au monde un garçon, Horace, qui va bénéficier du premier acte d’état-civil de Paris. La vie semble sourire au couple. Pourtant, les jours sombres arrivent à grands pas.
Le 10 août 1792, la monarchie tombe. Danton, devenu ministre de la Justice, le nomme secrétaire.