Chambord, le rêve d’un roi
Cette année marque les 500 ans de la Renaissance. Cela fait 500 ans aussi que François Ier a décidé la construction de Chambord. L’occasion de renouveler notre perception de ce château, le deuxième plus visité de France après Versailles. Plus qu’un pavillon de chasse ou le caprice d’un roi clamant au monde sa grandeur, Chambord est une approche de la cité idéale, inspirée des utopies du xvie siècle.
Áquatre lieues de Blois, à une lieue de la Loire, dans une petite vallée fort basse, entre des marais fangeux et un bois de grands chênes,
loin de toute route, on rencontre tout à coup un château royal, ou plutôt magique. On dirait que, contraint par quelque lampe merveilleuse, un génie de l’Orient l’a enlevé pendant l’une des mille nuits et l’a dérobé au pays du soleil pour le cacher dans celui du brouillard. » Dans son roman Cinq-Mars, Alfred de Vigny avoue son émerveillement devant le château de Chambord. La magie opère toujours, sitôt franchie la porte monumentale. Une route qui file droit, une futaie magnifique, où se fait espérer la silhouette d’une bête rousse ou noire ; au loin, comme un enchantement, la silhouette majestueuse d’un château de conte de fées semble venir à la rencontre du
visiteur, forêt de cheminées, de lucarnes et de clochetons, qui l’enveloppe dans ses sortilèges.
Un sous-sol mouvant et gorgé d’eau
1519. Le jeune roi François Ier, qui veut prendre la tête de l’Empire chrétien et défaire son adversaire Charles Quint, a besoin d’un château pour épater le monde et marquer les esprits. Léonard de Vinci vient de mourir et, avec lui, son projet de palais idéal à Romorantin. Le 6 septembre, une ordonnance royale lance la construction de Chambord. Pourquoi ici? Les forêts sont giboyeuses et le roi aime chasser. Surtout, Blois et son château, où séjourne la Cour, ne sont qu’à 17 kilomètres. Très vite, les ennuis commencent. Le sol, gorgé d’eau et inondable par le débordement du Cosson, petit affluent de la Loire, n’est pas prêt à accueillir un tel édifice. Il faut construire un énorme radier, sorte de plateforme de bois sur laquelle reposent des blocs de calcaire de Beauce mélangé à du mortier. Ces seuls travaux nécessiteront quatre années. Peu à peu, le donjon central sort de terre. Le roi vient souvent surveiller les travaux, fait ajouter deux ailes latérales au donjon et dévier le Cosson pour alimenter les douves… à défaut de pouvoir contraindre la Loire, comme il le souhaitait à l’origine! Au total, quelque 2000 ouvriers travaillent sur le chantier. Quand François Ier meurt en 1547, les travaux sont inachevés. Qu’importe ! Lors de sa visite, le 18 décembre 1539, Charles Quint s’est exclamé que Chambord est « un abrégé de l’industrie humaine ». François Ier a atteint son objectif: impressionner son rival.
Un plan original en croix grecque
Le visiteur d’aujourd’hui est tout autant perdu par la démesure des lieux. Le château compte 426 pièces, 40 appartements et 77 escaliers! Pour retrouver son fil d’Ariane dans ce dédale, il suffit de se rappeler que le plan de Chambord se dessine autour du donjon central, en forme de croix grecque, un dessin habituellement réservé aux édifices religieux. Chaque niveau compte quatre espaces d’habitation autour des bras de la croix, et quatre dans les tours d’angle. Dans chaque appartement – tous sont identiques – une pièce à vivre, faisant aussi fonction de chambre à coucher, est assortie de cabinets, garderobes
et autres oratoires. Cette répétition des plans et des lieux fait du palais un immeuble d’habitation, ce qui est tout à fait nouveau pour l’époque. Sans doute, fautil voir là la patte de Léonard de Vinci. Un seul logement fait exception: celui du roi, situé dans l’aile est.
L’escalier magique grimpe jusqu’au ciel
Le joyau de Chambord, qui ravit 1 million de visiteurs par an, c’est bien sûr le grand escalier. Situé au milieu du donjon, il est à double révolution, c’estàdire composé de deux rampes hélicoïdales qui s’enroulent l’une audessus de l’autre autour d’un noyau central. Ainsi, les visiteurs des deux rampes ne se croisent jamais. Ce qui pouvait être fort pratique dans des contextes de Cour quelquefois tendus! Ce double mouvement autour d’un axe donne l’impression que le château tourne sur luimême jusqu’à la tourlanterne audessus. Un peu comme une hélice, dont le mouvement passionnait Vinci. En empruntant cet escalier jusqu’au bout, le visiteur parvient aux terrasses: émerveillement devant la vision des toits de Chambord, les multitudes de cheminées – on en dénombre 282 – de lanternons et de tourelles, le tout surmonté par le point culminant du château, la tourlanterne. Avec sa fleur de lys géante, elle culmine à 56 mètres audessus du château et son domaine. La visite ne s’arrête pas là. Dans le donjon, la salle en croix du second étage impressionne avec ses plafonds voûtés, dont chaque caisson répète à des centaines d’exemplaires les emblèmes du roi: le monogramme « F » et la salamandre, accompagnée de sa devise « Nutrisco et extinguo », soit « Je nourris (le bon feu) et j’éteins (le mauvais) ». Quant aux Appartements du roi, ils bénéficient en cette année 2019 d’une décoration particulière,
500e anniversaire oblige. Tentures, malles et petits meubles restituent, dans une mise en scène signée Jacques Garcia, le cadre de Cour itinérante qui fut celui de François Ier. Car, on l’oublie trop souvent, les châteaux tels que Chambord n’étaient pas meublés à une époque où le roi et la Cour se déplaçaient d’une résidence à l’autre avec leur mobilier. Ces voyages incessants pouvaient mobiliser jusqu’à 1000 personnes! Il ne faut pas y voir instabilité ou caprice, mais plutôt une certaine conception du pouvoir. Comme ses prédécesseurs, François Ier est un roichevalier, pour qui il est important d’aller à la rencontre de son peuple, pour le protéger et… encaisser ses impôts. Le premier qui commencera à changer de vision est Henri III, en enfermant la personne royale dans un seul lieu et dans une étiquette de Cour, servant de modèle à Louis XIV.
La garde insolite du maréchal de Saxe
L’âge d’or de Chambord reste lié au règne de son créateur, François Ier, qui meurt en 1547 sans voir la fin des travaux. Ses successeurs n’y sont guère attachés. Même Louis XIII, pourtant grand chasseur, lui préfère un pavillon situé à Versailles. Après son mariage avec Anne d’Autriche, son voyage nuptial fait malgré tout étape à Chambord. À l’inverse, Louis XIV s’attache au lieu. Il commande à son Premier Architecte, JulesHardouin Mansart, la fin des travaux de la chapelle et organise là des fêtes somptueuses, un avantgoût de celles de Versailles. Molière a le plaisir d’y voir jouer pour la première fois son Bourgeois gentilhomme. Chambord connaît une nouvelle jeunesse en 1745, avec le maréchal de Saxe. Ce personnage haut en couleur, homme de guerre et homme à femmes, reçoit le domaine des mains de Louis XV en récompense de sa loyauté. Le château périclitait, repaire des souvenirs et des moustiques. Le maréchal s’y installe avec ses fidèles et son régiment, fait restaurer le théâtre, terminer les écuries de Mansart pour y loger un haras. Il donne des réceptions
grandioses. C’est en véritable souverain qu’il vit à Chambord, entouré d’un millier d’hommes. Sa garde rapprochée se compose de soldats originaires d’Afrique, de Pondichéry et des Antilles, aux uniformes ornés de peaux de panthère ou de mouton, ainsi que d’un régiment d’Uhlans, crâne rasé et longue moustache. Le dimanche, quand le maréchal se rend à la messe ainsi entouré, les habitants du coin n’en mènent pas large… La naissance de quelques bébés métissés vient même faire jaser les commères! À la mort du maréchal en 1750, consécutive à un mauvais rhume, le château sombre dans un long et lent endormissement. Devenu propriété de l’État en 1930, il est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981. Une marque pour des produits d’exception
En 2017, le château et son domaine ont dépassé le million de visiteurs. Chambord s’autofinance à 90 % avec l’objectif, à très court terme, d’une totale indépendance économique. Outre les droits d’entrée, le domaine a ainsi développé sa propre marque, soit en monnayant son nom, soit en vendant des produits d’exception fabriqués à partir des ressources mêmes du domaine, objets en bois de la forêt, maroquinerie en peau de gibier qui abonde et, pour la première fois en 2019, du vin produit sur le domaine. Le potager en permaculture, aménagé dès cette
année dans l’enceinte des écuries du maréchal de Saxe, en partenariat avec la ferme biologique du BecHellouin, va dans le même sens.
Une exposition ambitieuse
Les 500 ans de Chambord sont l’occasion d’un programme riche en visites et en nouveautés. Ainsi, les lanternons de la toiture s’offrent un coup de jeunesse, avec un exceptionnel chantier de redorure qui leur fera retrouver leur lustre de 1539. La nuit, la façade bénéficie d’une illumination particulière, qui restitue l’éclairage discret et valorisant de la lune. Autre point fort, l’exposition de cet été va ravir les amateurs d’art et d’architecture. L’Utopie à l’oeuvre, c’est son nom, présente l’Histoire du château puis imagine un Chambord inachevé, dont la construction se poursuivrait aujourd’hui. Après avoir admiré quelque 150 pièces provenant d’une trentaine de collections du monde entier, le visiteur découvre ensuite 18 projets labellisés « Chambord 2019 », conçus par des écoles d’architecture situées sur les cinq continents: des héritiers de Léonard de Vinci qui poursuivraient aujourd’hui son travail! L’ambition de cette manifestation est de donner au public les clés pour comprendre ce site, qui n’est pas qu’un palais ou l’expression du caprice d’un roi. « C’est un lieu à la singularité radicale, une oeuvre de génie, un des monuments les plus importants de l’humanité », insiste Jean d’Haussonville, directeur général du domaine. Après le château, il reste au visiteur à parcourir le domaine. Un vaste terrain de jeux, puisqu’il couvre 5400 hectares, soit la moitié de la surface de Paris intramuros! De quoi varier les parties de campagne: à pied sur les sentiers balisés qui sillonnent le parc, à cheval pour les plus aventureux, à vélo ou en barque sur le canal. Ou pourquoi pas?, à bord d’un véhicule toutterrain, pour découvrir la forêt et ses habitants, en compagnie d’un guide de l’Office national des forêts. Chambord est, en effet, la plus grande réserve naturelle close d’Europe, ceinte d’un mur de 32 kilomètres conçu par François Ier pour protéger son jardin d’Éden.
À la mort du maréchal de Saxe en 1750, le château sombre dans un long endormissement. Devenu propriété de l’État en 1930, il est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981.