Nicolas Fouquet, le surintendant trop brillant
Juriste, financier, diplomate, grand bâtisseur, il a joué un rôle majeur dans la période difficile qui va de la fin de la Fronde à la mort de Mazarin. Dévoré par l’ambition, affichant d’une manière ostentatoire une réussite éclatante, Nicolas Fouquet devait forcément se heurter au jeune Louis XIV : il ne pouvait y avoir qu’un seul Soleil dans le ciel de France.
Regardons son portrait tel que l’a peint Louis-Ferdinand Elle. Sous l’ample simarre du magistrat, on devine la frêle silhouette de l’intellectuel de faible complexion. Nulle joliesse en lui mais un je-nesais-quoi qui attire et séduit. Le visage d’un bel ovale s’encadre de longs cheveux châtains, assez pauvres, qui se partagent en mèches sur le haut du front. L’oeil fendu en amande laisse filtrer la douceur veloutée du regard plein d’intelligence. Le long nez aquilin domine une bouche charnue qui révèle toute la sensualité du personnage. On sent l’aisance familière du mondain, la nonchalance un peu languissante de l’homme qui cherche à plaire. Mais derrière ce sourire énigmatique, derrière sa
douceur ambiguë, ne devine-t-on pas la tension du félin sur le qui-vive? Procureur général au parlement de Paris, ministre d’État et surintendant des Finances, Nicolas Fouquet compte parmi les personnages les plus fascinants mais aussi les plus mystérieux du Grand Siècle. Fut-il coupable d’avoir puisé à pleines mains dans les caisses de l’État? Fut-il au contraire la victime innocente de son rival jaloux, Jean-Baptiste Colbert, intendant du Premier ministre, le cardinal Mazarin?
Un homme aux multiples facettes Né à Paris en janvier 1615, Nicolas Fouquet est issu d’une famille d’origine modeste de commerçants d’Angers, qui s’est agrégée à la noblesse de robe au cours du xvie siècle et dont
Fouquet compte parmi les personnages les plus mystérieux du Grand siècle. Fut-il coupable d’avoir puisé dans les caisses de l’État ? Ou la victime innocente de son rival jaloux, Colbert ?
Fouquet révèle des artistes que Louis XIV, homme de goût lui aussi, s’empressera d’embaucher : Le Vau, Le Brun, Puget, Girardon, Anguier, La Quintinie et Le Nôtre.
le blason porte un écureuil – un fouquet en patois de l’Ouest – avec la fière devise : « Quo non ascendet », autrement dit « Jusqu’où ne montera-t-il pas? » En cette période de guerre de frontières et de troubles intérieurs caractérisant les débuts du règne de Louis XIV, l’État est aux abois. Grand Argentier du royaume, Nicolas Fouquet, grâce à son éternel optimisme inspirant confiance, à son entregent et à ses réseaux personnels, joue un rôle capital, redressant en partie la situation du pays par des pratiques financières plutôt acrobatiques, il est vrai, et des taux usuraires. Cet homme aux multiples facettes est plein de séduction, bon juriste, excellent orateur, grand amateur d’art, protecteur des artistes et littérateurs qu’il pensionne. Il reçoit les beaux esprits du temps dans sa luxueuse demeure de Saint-Mandé, qui a pris le relais de l’hôtel de Rambouillet : Mademoiselle de Scudéry, Scarron, l’abbé de Boisrobert, La Fontaine, Pellisson, Saint-Évremond, Perrault, Pierre et Thomas Corneille, Molière… Sans oublier Madame de Sévigné, laquelle le porte aux nues, tout en se méfiant grandement des ardeurs enjôleuses de ce charmeur réputé « insatiable sur le chapitre des dames ». Une ambition dévorante
Dévoré par la folie des grandeurs, il fait bâtir le château de Vaux-le-Vicomte, éclatant chefd’oeuvre qui servira de préface baroque à Versailles. Grâce à ses choix, il révèle des artistes de premier plan que Louis XIV, homme de goût lui aussi, s’empressera d’embaucher : l’architecte Louis Le Vau, le peintre Charles Le Brun, les sculpteurs Anguier, Puget, Girardon, le botaniste La Quintinie et le jardinier-architecte Le Nôtre. On ne saurait cependant oublier le côté sombre du personnage, qui a peuplé la Cour d’espions et de créatures à sa dévotion et s’est constitué un clan puissant – parlementaires, intendants, maréchaux et ecclésiastiques –, afin de s’imposer comme Premier ministre. Les splendeurs de la réception de la Cour à Vaux, le 17 août 1661, préparée par le fameux Vatel, le spectacle des cascades et des eaux jaillissantes des parterres, le repas servi, la comédie des Fâcheux, jouée par la troupe de Molière, le ballet, le feu d’artifice, les illuminations… abasourdissent sans doute le jeune roi mais ne sont en rien la cause de son arrestation. Tout a été décidé dès la mi-juin, lorsque celui-ci a appris que le surintendant fortifiait à son insu la citadelle de Belle-Isle-en-mer, pour en faire une place de sûreté. Or, après la mort de Mazarin, en mars 1661, Louis XIV est déterminé à exercer seul le pouvoir. Poussé par Colbert, qui surveille les comptes et les manigances du surintendant, il réalise son ambition dévorante. D’où son arrestation à Nantes, le 5 septembre 1661, par le sous-lieutenant des mousquetaires, le célèbre d’Artagnan.
Un procès inique
Le procès, organisé par le même Colbert et ses proches, accumulant les vices de forme et les irrégularités, est assurément un sommet d’iniquité. Des inventaires sont falsifiés; des pièces favorables à la défense, détournées. Ses parents et amis se mobilisent. En vain. Ne faisons pas pour autant de Fouquet une oie blanche. L’accusation de malversations est fondée. L’homme s’est enrichi prodigieusement durant ses années de surintendance. Il a allègrement mélangé ses comptes personnels et ceux de l’État, et conçu un plan d’intervention militaire et de résistance que ses affidés étaient chargés de mettre en oeuvre en cas d’arrestation. Les documents d’archives sont éloquents. Ils montrent qu’il participait au jeu financier de l’époque, avec ses amis banquiers, qu’il associait largement aux opérations fiscales. Aujourd’hui, on appellerait tout ceci des « délits d’initiés ». Grâce aux conclusions modérées du rapporteur Olivier Lefèvre d’Ormesson, magistrat intègre qui résiste à l’écrasante pression du pouvoir, Fouquet sauve sa tête.
Était-il le Masque de fer ?
En décembre 1664, à la majorité des voix de la Chambre de justice, Nicolas Fouquet est condamné au bannissement perpétuel et à la saisie de ses biens au profit de la Couronne. Au nom de la raison d’État, Louis XIV transforme la sentence en emprisonnement à vie, un ancien ministre ne pouvant emporter à l’étranger les « secrets du gouvernement ». Il est enfermé au donjon de Pignerol, petite place française sur le revers italien des Alpes, à mi-distance de Turin et de Briançon. On veut le tenir le plus loin possible de Paris, en un lieu isolé d’où il ne pourra donner aucun signe de vie. Implacable au début, son régime carcéral est adouci au fil du temps et il peut revoir sa famille… Dissipons le dernier mystère planant sur sa vie. Non, il ne fut pas, comme certains l’ont soutenu, le fameux Homme au masque de fer, conduit à la Bastille en 1698. Usé et malade depuis longtemps, il meurt à Pignerol le 23 mars 1680, d’une crise d’apoplexie, à l’âge de 65 ans, après dix-neuf longues années de captivité.