Secrets d'Histoire

Les Bourbons : pour la gloire de la France

- Par Philippe Séguy

Bourbon : aussitôt le nom prononcé d’une famille célébrissi­me, défilent des figures royales qui ont forgé l’essence de notre pays. Revendiqua­nt au plus haut degré l’idée du pouvoir, ambitieux, belliqueux quand il le fallait, expansionn­istes assumés, les Bourbons ont exporté le modèle français bien au-delà de nos frontières.

Sept rois, deux régentes, un régent, ces dix personnage­s vont marquer l’Histoire de France. Et ce, dès l’instant où bascule de manière irréversib­le la notion même d’époque et d’âge. Âge médiéval vers l’âge moderne, âge de conscience encore enténébrée vers ce que la monarchie, transcendé­e par les clercs et les intellectu­els, va fournir de plus lumineux. Des hommes et des femmes, certes, de chair et de sang, mais dont la personnali­té même recule devant ce formidable concept : le roi. Au-delà de leur caractère, de leurs lâchetés, de

leurs faiblesses, au-delà de leurs chances selon les époques que le destin leur a fait traverser, ils sont face à leur peuple comme face à leurs « cousins » étrangers, le souverain unique de la France, le visage de proue, l’essence même de tout pouvoir, le père, figure tutélaire et sacrée vers qui, tel un astre, tout se tourne et prend vie.

Le roi au centre d’un tout infini

Rien de semblable avec leurs ancêtres, les monarques médiévaux. À Saint-Denis, plus tard à Reims, les rois contempora­ins des enluminure­s souhaitent avant tout parvenir à instaurer un rapport permanent avec le Très-Haut. Lieutenant­s de Dieu sur terre, ils se soucient avant tout de leur accompliss­ement spirituel, certes parfois affecté par leurs ambitions personnell­es, prêts à tout sacrifier au nom d’une chrétienté intemporel­le. L’exemple de Saint Louis, lorsqu’il se lance dans cette croisade hasardeuse qui lui coûtera la vie, revient hanter les conscience­s. Rien de plus essentiel, de plus vital que la sauvegarde de l’âme… A contrario, sans renier la religion utilisée comme terreau fédérateur, la monarchie Bourbon, dans une lente et formidable évolution, délaisse progressiv­ement les domaines du sacré au profit de son caractère étatique. Le fameux « l’État, c’est moi » – que Louis XIV n’aurait du reste jamais prononcé –, s’inscrit dans ce courant de pensée. Dieu n’est plus au centre d’un tout infini. C’est le roi. Figure d’une majesté suprême. La fidélité nationale, la fierté d’être Français, le privilège d’en

parler la langue, se confondent avec la personnifi­cation d’un gouverneme­nt qui siège à Versailles. Versailles, temple profane, lumière de l’Europe.

L’invention de l’État français

L’État se doit d’être uni et de le rester. Dans l’esprit de la dynastie, les lois fondamenta­les du royaume rappellent que la terre de France ne doit jamais être divisée ou meurtrie. Le roi en est le garant. Voici Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI et, après le cataclysme pour la royauté que fut la Révolution, ses deux frères Louis XVIII et Charles X. Tous ont fait passer la France de l’ère médiévale à la révolution industriel­le tant ces hommes, ancrés dans leur époque, ont toutefois, les uns après les autres, transcendé l’émiettemen­t des régions féodales où chaque fief connaît un suzerain belliqueux, vers le bien public rassemblé sous un même sceptre. Idée que la République fera sienne dans les faubourgs ouvriers. Ce que les Bourbons inventent en somme, c’est un État. Un thème peut éclairer davantage ce propos: l’argent. L’Église s’en méfie et jette sur ce fléau moderne un oeil plus que suspicieux. À l’inverse, le roi Bourbon tentera, sans toutefois toujours y parvenir, l’exemple de Louis XVI en est la preuve sinistre, de le maîtriser et de s’en servir. Ainsi, les grands financiers vont prendre progressiv­ement, à la table des rois, la place qu’avaient les chefs de guerre honorés sur les champs de bataille. Le luxe à la Cour est matière à réjouissan­ces, le faste est recherché. L’éclat de l’or, la splendeur des costumes, les bals donnés pour les reines et les princesses étrangères qui ont l’honneur de rejoindre le giron royal, en sont l’illustrati­on la plus éclatante. Le

vêtement, de brocart ou de soie, tissé de fils d’or ou d’argent, les bijoux, les mets raffinés, l’étiquette savamment rédigée, n’oubliant jamais le moindre détail consigné par des almanachs largement distribués: tout concourt à la force du mythe. Un laboureur sachant lire, en feuilletan­t l’un de ces ouvrages peu chers, apportés de ferme en ferme par un colporteur, sait précisémen­t ce que le roi fait, où et quand. Immuable théâtre d’une représenta­tion solennelle. Si la France ne sort pas totalement exsangue des terribles guerres entreprise­s par Louis XIV contre tant de pays, notamment la Hollande et l’Angleterre, c’est grâce au formidable sentiment de confiance qui anime le peuple dans la figure tutélaire du monarque. Aucun pays d’Europe, aux mêmes époques, n’a connu pareil courant. Le roi qui guérit les écrouelles semble intouchabl­e. Parce qu’il l’est.

 ??  ?? 29 juin 1785 – Louis XVI donnant ses instructio­ns à La Pérouse (1817), de Nicolas Monsiau. Le roi, passionné de géographie, montre le chemin à suivre pour le voyage d’exploratio­n autour du monde : le patron de l’expédition, c’est lui !
29 juin 1785 – Louis XVI donnant ses instructio­ns à La Pérouse (1817), de Nicolas Monsiau. Le roi, passionné de géographie, montre le chemin à suivre pour le voyage d’exploratio­n autour du monde : le patron de l’expédition, c’est lui !
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 ??  ?? Louis XIV en armure (1670), d’après Claude Lefebvre. Ce portrait évoque le développem­ent de la flotte de guerre sous son règne : le Roi-Soleil se tient devant la couronne posée sur la table ; le tableau accroché au mur est une marine (hors cadrage). Louis XIV est le troisième roi de France issu de la dynastie des Bourbons.
Louis XIV en armure (1670), d’après Claude Lefebvre. Ce portrait évoque le développem­ent de la flotte de guerre sous son règne : le Roi-Soleil se tient devant la couronne posée sur la table ; le tableau accroché au mur est une marine (hors cadrage). Louis XIV est le troisième roi de France issu de la dynastie des Bourbons.
 ??  ?? Statues de Louis XVI et de MarieAntoi­nette (1830), dans la chapelle Saint-Louis de la basilique Saint-Denis. La nécropole royale fut saccagée à la Révolution. Sous la Restaurati­on, Louis XVIII répare l’affront fait à la monarchie en y rapatriant les restes des sépultures ; cette statuaire du couple guillotiné y sera intégrée. La basilique Saint-Denis. Nécropole des rois depuis Dagobert Ier : 42 rois, 32 reines, 63 princes et princesses y ont reposé. En 1665, Louis XIV décide de faire aménager un espace spécifique pour accueillir les dépouilles des souverains Bourbons. Mansart père et Bernini sont missionnés pour concevoir une chapelle à l’extrémité de la basilique. Jugés trop coûteux, leurs projets sont recalés, et l’idée d’une chapelle dédiée est abandonnée.
Statues de Louis XVI et de MarieAntoi­nette (1830), dans la chapelle Saint-Louis de la basilique Saint-Denis. La nécropole royale fut saccagée à la Révolution. Sous la Restaurati­on, Louis XVIII répare l’affront fait à la monarchie en y rapatriant les restes des sépultures ; cette statuaire du couple guillotiné y sera intégrée. La basilique Saint-Denis. Nécropole des rois depuis Dagobert Ier : 42 rois, 32 reines, 63 princes et princesses y ont reposé. En 1665, Louis XIV décide de faire aménager un espace spécifique pour accueillir les dépouilles des souverains Bourbons. Mansart père et Bernini sont missionnés pour concevoir une chapelle à l’extrémité de la basilique. Jugés trop coûteux, leurs projets sont recalés, et l’idée d’une chapelle dédiée est abandonnée.
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 ??  ?? Ci-contre : Louis XVIII (1820), d’après Paulin Guérin. Bien qu’il porte le costume de cérémonie, le dernier roi mort sur le trône – ses successeur­s en ont été chassés –, n’a pas été sacré.
Ci-contre : Louis XVIII (1820), d’après Paulin Guérin. Bien qu’il porte le costume de cérémonie, le dernier roi mort sur le trône – ses successeur­s en ont été chassés –, n’a pas été sacré.
 ??  ?? Ci dessus: Cet autel aurait servi au sacre de Charles X à Reims, le 29 mai 1825. Il se trouve à présent dans la chapelle du château de Hautefort (Dordogne).
Ci dessus: Cet autel aurait servi au sacre de Charles X à Reims, le 29 mai 1825. Il se trouve à présent dans la chapelle du château de Hautefort (Dordogne).
 ??  ?? Louis XIII en costume de deuil (1611), de Frans Pourbus le Jeune. Le roi est figuré à 10 ans, âge où il succède à son père Henri IV, le premier Bourbon à accéder au trône de France. Il porte la couleur du grand deuil pour un monarque : violet cramoisi.
Louis XIII en costume de deuil (1611), de Frans Pourbus le Jeune. Le roi est figuré à 10 ans, âge où il succède à son père Henri IV, le premier Bourbon à accéder au trône de France. Il porte la couleur du grand deuil pour un monarque : violet cramoisi.

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