Les Bourbons : pour la gloire de la France
Bourbon : aussitôt le nom prononcé d’une famille célébrissime, défilent des figures royales qui ont forgé l’essence de notre pays. Revendiquant au plus haut degré l’idée du pouvoir, ambitieux, belliqueux quand il le fallait, expansionnistes assumés, les Bourbons ont exporté le modèle français bien au-delà de nos frontières.
Sept rois, deux régentes, un régent, ces dix personnages vont marquer l’Histoire de France. Et ce, dès l’instant où bascule de manière irréversible la notion même d’époque et d’âge. Âge médiéval vers l’âge moderne, âge de conscience encore enténébrée vers ce que la monarchie, transcendée par les clercs et les intellectuels, va fournir de plus lumineux. Des hommes et des femmes, certes, de chair et de sang, mais dont la personnalité même recule devant ce formidable concept : le roi. Au-delà de leur caractère, de leurs lâchetés, de
leurs faiblesses, au-delà de leurs chances selon les époques que le destin leur a fait traverser, ils sont face à leur peuple comme face à leurs « cousins » étrangers, le souverain unique de la France, le visage de proue, l’essence même de tout pouvoir, le père, figure tutélaire et sacrée vers qui, tel un astre, tout se tourne et prend vie.
Le roi au centre d’un tout infini
Rien de semblable avec leurs ancêtres, les monarques médiévaux. À Saint-Denis, plus tard à Reims, les rois contemporains des enluminures souhaitent avant tout parvenir à instaurer un rapport permanent avec le Très-Haut. Lieutenants de Dieu sur terre, ils se soucient avant tout de leur accomplissement spirituel, certes parfois affecté par leurs ambitions personnelles, prêts à tout sacrifier au nom d’une chrétienté intemporelle. L’exemple de Saint Louis, lorsqu’il se lance dans cette croisade hasardeuse qui lui coûtera la vie, revient hanter les consciences. Rien de plus essentiel, de plus vital que la sauvegarde de l’âme… A contrario, sans renier la religion utilisée comme terreau fédérateur, la monarchie Bourbon, dans une lente et formidable évolution, délaisse progressivement les domaines du sacré au profit de son caractère étatique. Le fameux « l’État, c’est moi » – que Louis XIV n’aurait du reste jamais prononcé –, s’inscrit dans ce courant de pensée. Dieu n’est plus au centre d’un tout infini. C’est le roi. Figure d’une majesté suprême. La fidélité nationale, la fierté d’être Français, le privilège d’en
parler la langue, se confondent avec la personnification d’un gouvernement qui siège à Versailles. Versailles, temple profane, lumière de l’Europe.
L’invention de l’État français
L’État se doit d’être uni et de le rester. Dans l’esprit de la dynastie, les lois fondamentales du royaume rappellent que la terre de France ne doit jamais être divisée ou meurtrie. Le roi en est le garant. Voici Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI et, après le cataclysme pour la royauté que fut la Révolution, ses deux frères Louis XVIII et Charles X. Tous ont fait passer la France de l’ère médiévale à la révolution industrielle tant ces hommes, ancrés dans leur époque, ont toutefois, les uns après les autres, transcendé l’émiettement des régions féodales où chaque fief connaît un suzerain belliqueux, vers le bien public rassemblé sous un même sceptre. Idée que la République fera sienne dans les faubourgs ouvriers. Ce que les Bourbons inventent en somme, c’est un État. Un thème peut éclairer davantage ce propos: l’argent. L’Église s’en méfie et jette sur ce fléau moderne un oeil plus que suspicieux. À l’inverse, le roi Bourbon tentera, sans toutefois toujours y parvenir, l’exemple de Louis XVI en est la preuve sinistre, de le maîtriser et de s’en servir. Ainsi, les grands financiers vont prendre progressivement, à la table des rois, la place qu’avaient les chefs de guerre honorés sur les champs de bataille. Le luxe à la Cour est matière à réjouissances, le faste est recherché. L’éclat de l’or, la splendeur des costumes, les bals donnés pour les reines et les princesses étrangères qui ont l’honneur de rejoindre le giron royal, en sont l’illustration la plus éclatante. Le
vêtement, de brocart ou de soie, tissé de fils d’or ou d’argent, les bijoux, les mets raffinés, l’étiquette savamment rédigée, n’oubliant jamais le moindre détail consigné par des almanachs largement distribués: tout concourt à la force du mythe. Un laboureur sachant lire, en feuilletant l’un de ces ouvrages peu chers, apportés de ferme en ferme par un colporteur, sait précisément ce que le roi fait, où et quand. Immuable théâtre d’une représentation solennelle. Si la France ne sort pas totalement exsangue des terribles guerres entreprises par Louis XIV contre tant de pays, notamment la Hollande et l’Angleterre, c’est grâce au formidable sentiment de confiance qui anime le peuple dans la figure tutélaire du monarque. Aucun pays d’Europe, aux mêmes époques, n’a connu pareil courant. Le roi qui guérit les écrouelles semble intouchable. Parce qu’il l’est.