Secrets d'Histoire

Aux origines d’une dynastie : les premiers Bourbons

- Par Coline Bouvart

Depuis leur berceau auvergnat, les sires de Bourbon vont étendre leur territoire et gagner en influence auprès des rois de France. Une loyauté couronnée par le mariage de Béatrice de Bourbon avec le fils de Saint Louis, en 1276. Liés à la famille royale, ils vont se hisser au sommet de la société politique et, malgré quelques péripéties, parviendro­nt avec Henri IV jusqu’au trône de France.

Àla fin de l’époque carolingie­nne, des viguiers, soit d’anciens représenta­nts du roi, accaparent les pouvoirs confiés auparavant par le souverain et développen­t, autour de places fortes, des domination­s locales. Entre les xe et xiiie siècles, les seigneurs de Bourbon (actuel Bourbon-l’Archambaul­t) et le prieuré de Souvigny vont ainsi affirmer leur pouvoir sur un secteur géographiq­ue correspond­ant de nos jours au départemen­t de l’Allier.

La loyauté pour avancer

Une affaire d’héritage va marquer un premier rapprochem­ent avec le pouvoir royal. En 1095, Archambaud V, seigneur de Bourbon, décède alors que son fils Archambaud VI n’est qu’un enfant. Son oncle et tuteur Aimon II, surnommé Vaire-Vache, le spolie de son héritage. La mère d’Archambaud VI en appelle au roi Louis VI le Gros, pour faire reconnaîtr­e leurs droits. Aimon II se soumet et le roi accorde finalement la seigneurie à Aimon. Dès lors, les liens avec la famille royale se

resserrent. Le fils d’Aimon II, d’Archambaud VII, épouse Agnès de Savoie, la belle-soeur du roi Louis VI. Il participe, avec Louis VII, à la deuxième croisade. Après le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenê­t, en 1152, les Anglais envahissen­t le Sud-Ouest : la fidélité d’Archambaud au roi de France sera bientôt récompensé­e.

Toujours plus près du roi

La petite-fille d’Archambaud VII, Mathilde de Bourbon, est remariée par Philippe Auguste à l’un de ses proches, Guy de Dampierre, maréchal de Champagne. Le roi lui octroie la seigneurie de Montluçon et le fait connétable d’Auvergne. Dampierre se bat valeureuse­ment à Bouvines, en 1214, et sauve la vie du roi. Au début du

xiiie siècle, l’héritier de Dampierre et de Mathilde, Archambaud VIII, est maître d’un large territoire cerné au nord-ouest par le Berry appartenan­t au roi, au sud-ouest par l’Aquitaine aux mains des Anglais. Il l’étend encore, épouse Béatrice de Montluçon et, fort de l’appui royal, consolide la présence des Bourbons. Il part en croisade contre les Albigeois, aux côtés de Louis VIII. Après la mort de ce dernier, il est un des conseiller­s de Blanche de Castille et soutient son fils, le futur Saint Louis.

Un mariage pour consécrati­on

Si Agnès, dame de Bourbon, épouse le neveu de Louis IX, Robert d’Artois, c’est surtout le mariage de sa fille, Béatrice de Bourgogne, avec Robert de Clermont, sixième fils de Saint Louis, qui scelle le destin des Bourbons en 1276. Il marque la fondation de la troisième maison Bourbon, promise au plus prestigieu­x des avenirs. Leur fils Louis Ier est de sang royal: c’est cette ascendance qui, près de trois siècles plus tard, permettra à Henri de Bourbon, de monter sur le trône sous le nom d’Henri IV. « Le mariage de Béatrice et Robert justifie la position des Bourbons dans le royaume de France, indique Olivier Mattéoni, professeur d’Histoire médiévale. Descendant­s par le sang de Saint Louis, le plus illustre des souverains, ils sont au sommet de la société politique, assistent désormais au Conseil du roi, ont des responsabi­lités politiques et diplomatiq­ues, et font la guerre. Leur statut est encore conforté par Charles IV, qui érige la seigneurie en duché-pairie en 1327. » Cette distinctio­n récompense la fidélité, par le passé, des Bourbons à Philippe le Bel et à ses fils. Ils montreront le même soutien aux Valois, lorsque surviendra, en 1328, le changement de dynastie. Pierre Ier de Bourbon épouse d’ailleurs Isabelle de Valois, la soeur du roi. Sa fille Jeanne se marie avec le roi de France, Charles V. Les liens entre les Bourbons et la famille royale se resserrent encore.

Louis II ou le Bon Prince

Par sa stature, le fils de Pierre Ier, Louis II, va encore accroître le prestige de la famille. Échangé comme otage aux Anglais contre la libération du roi Jean II, il est emprisonné six années. À son retour, en 1366, il reprend en main son duché

Louis II fait bâtir, à Moulins notamment, cité érigée en capitale de son duché, des châteaux sur le modèle des demeures royales.

et crée l’ordre de l’Écu d’or, pour regagner la fidélité de ses barons. Il étend son territoire par son mariage avec Anne Dauphine d’Auvergne, qui lui apporte le comté de Forez, en 1371, et gagne la seigneurie de Beaujolais et la principaut­é de Dombes, en 1400. Grand militaire, il est également un administra­teur brillant, lettré et sage. Proche de Charles V, son beau-frère, et de Charles VI, son neveu, Louis II met en place sur son territoire des institutio­ns comparable­s aux instances royales (Cour de justice, Chambre des comptes, chanceller­ie…). Il fait bâtir, à Moulins notamment, cité érigée en capitale de son duché, des châteaux sur le modèle des demeures royales, les dotant d’escaliers à vis, d’une grande salle, d’une librairie… L’Auvergne dans la corbeille de mariage

Depuis longtemps, les ducs de Bourbon convoitent l’Auvergne. Le mariage du fils de Louis II, le futur Jean Ier, avec Marie de Berry concrétise ce rêve: Suzanne, l’arrière-petite-fille du roi Jean Ier le Bon, reçoit en apanages l’Auvergne et Montpensie­r. Mais le contrat stipule également – et de manière assez surprenant­e car la concession est énorme et bientôt lourde de conséquenc­es – qu’en l’absence d’héritier mâle issu de la lignée de Marie, le duché de Bourbon et le comté de Clermont, devenus aussi des apanages, reviendron­t à la Couronne.

Une fidélité mise à l’épreuve

Au xve siècle, les ducs de Bourbon participen­t comme nombre de leurs pairs, aux grandes révoltes nobiliaire­s. « Les rois de France successifs renforcent leur pouvoir et font appel à des

hommes nouveaux, écartant parfois ceux qui se considèren­t comme leurs conseiller­s naturels et indispensa­bles, les princes », rapporte l’historien Olivier Mattéoni. La révolte gronde. Les rois de France entrent en conflit avec la Bourgogne et la Bretagne, pour tenter d’annexer leurs territoire­s. Le duché de Bourbonnai­s reste longtemps épargné : « Les ducs de Bourbon, géographiq­uement, sont dans une position beaucoup plus délicate au coeur du royaume, cernés de baillis permettant au souverain de surveiller ce qui se passe dans le Bourbonnai­s. Mais les rois de France se méfient tout de même… » À raison. Les ducs de Bourbon, en 1440, participen­t à la Praguerie et, en 1465, à la ligue du Bien Public. Les ducs, comme leurs pairs, exigent de faire partie du Conseil du roi et défendent le rôle des princes. Jean II, duc de Bourbon, soutient un gouverneme­nt autour de valeurs comme le bien commun et la justice. Pardonnés par Louis XI, les ducs de Bourbon tirent leur épingle du jeu. Du moins en apparence. Jean II est nommé lieutenant général et le roi marie sa propre fille, Anne de France, au frère de Jean, Pierre de Bourbon dit de Beaujeu. « En réalité, Jean II est de moins en moins appelé au Conseil du roi, surtout après 1473, nuance Olivier Mattéoni. Il se replie sur ses territoire­s et réforme considérab­lement leurs institutio­ns. Grand mécène, il anime une Cour brillante à Moulins et mène surtout une véritable politique sacrale, qui pallie la faiblesse juridique et même politique des Bourbons dans la seconde moitié du xve et le début du xvie siècles. »

Anne et Pierre, ou l’apogée du duché À la mort de Louis XI, Anne de Beaujeu exerce la régence car son frère Charles VIII n’est alors qu’un enfant. Devenu roi, ce dernier nomme le mari d’Anne lieutenant général du royaume, tandis que lui-même part faire la guerre en Italie. De fait, Pierre de Beaujeu gouverne le royaume. Moulins en est alors la capitale et les Bourbons sont à l’acmé de leur pouvoir et de leurs relations avec le roi. Pierre et Anne de

Brillant homme de guerre, Charles sert loyalement Louis XII. Toutefois, avec son successeur François Ier, les relations se tendent.

Beaujeu font reconstrui­re certains châteaux du Bourbonnai­s, agrandir le palais ducal. Ils attirent à leur Cour les grands artistes du temps, tel le fameux Maître de Moulins. Le duché, qui est le dernier à rester indépendan­t, est à son expansion maximale. « Au début du xvie siècle, le duc de Bourbon est bien le plus puissant prince derrière le roi, souligne Olivier Mattéoni, et ses territoire­s forment, au centre du royaume, un vaste ensemble, fruit d’une constructi­on patiente et minutieuse. » À la mort de Charles VIII, le nouveau roi Louis XII scelle son amitié avec les Beaujeu, en renonçant à toute prétention sur leurs terres en faveur de leur fille Suzanne. Car l’héritage est fragile, sans successeur mâle…

L’aventure du connétable… et la fin du duché Anne de Beaujeu réussit pourtant un coup de maître : elle marie Suzanne à Charles, héritier de la branche des Bourbons-Montpensie­r, faisant ainsi taire leurs prétention­s sur le duché. Brillant homme de guerre, Charles sert loyalement Louis XII. Toutefois, avec son successeur François Ier, les relations se tendent rapidement. Nommé connétable par ce dernier, en 1515, il se bat à ses côtés en Italie. Par la suite, le roi renâcle à rembourser les frais – considérab­les – que Charles a engagés pendant la guerre. Il le gratifie du gouverneme­nt du Milanais mais le lui enlève l’année suivante. Et, dès la mort de Suzanne en 1521, disparue sans enfants, Louise de Savoie, la mère de François Ier, s’empresse de revendique­r les biens patrimonia­ux des Bourbons, en tant que plus proche parente (elle est la cousine de la défunte). François Ier soutient sa mère et réclame même les terres d’apanage. Il faut peutêtre voir, derrière cette animosité, la crainte d’un roi méfiant et jaloux, face à un prince puissant qui pourrait se remarier. Devant tant de vexations, certaineme­nt blessé dans son honneur de se voir si peu récompensé et ses mérites si peu reconnus par son roi, Charles de Bourbon s’enfuit et rallie Charles Quint. Accusé de lèse-majesté et de trahison, il est dépouillé de ses biens: le duché disparaît et rejoint la Couronne. Le connétable, qui a mené un raid sur Rome pour se refaire financière­ment, y est tué en 1527… À sa mort, c’est Charles IV de Bourbon, de la maison BourbonVen­dôme, qui devient l’aîné de la maison Bourbon : il se retrouve, derrière les fils du roi, en position d’accéder au trône de France. C’est son petit-fils, un certain Henri de Navarre, qui y parviendra…

 ??  ?? 24 juin 1190 – Philippe Auguste prend l’oriflamme à Saint-Denis (1841), de Pierre-Henri Révoil. Le roi de France – il est le premier à faire porter la mention sur les actes officiels –, s’apprête à partir pour la troisième croisade.
24 juin 1190 – Philippe Auguste prend l’oriflamme à Saint-Denis (1841), de Pierre-Henri Révoil. Le roi de France – il est le premier à faire porter la mention sur les actes officiels –, s’apprête à partir pour la troisième croisade.
 ??  ?? 1270 – La Dernière Communion de Saint Louis à Tunis (1817), de Charles Meynier. En épousant Béatrice de Bourgogne, Robert, le fils de Louis IX, a fondé la maison Bourbon.
1270 – La Dernière Communion de Saint Louis à Tunis (1817), de Charles Meynier. En épousant Béatrice de Bourgogne, Robert, le fils de Louis IX, a fondé la maison Bourbon.
 ??  ?? Le château de Bourbon-l’Archambaul­t (Allier), le fief originel de la famille de Bourbon.
Le château de Bourbon-l’Archambaul­t (Allier), le fief originel de la famille de Bourbon.
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« la MalCoiffée », en raison de l’apparence de sa tourdonjon. 1390 – L’armée française débarque en Afrique. À sa tête, Louis II de Bourbon (en armure dorée). L’expédition contre les Barbaresqu­es aboutit au siège infructueu­x de Mahdia (Tunisie) ; miniature d’époque extraite des Chroniques de France et d’Angleterre (xive siècle), de Jean Froissart.
le château (xive siècle) des ducs de Bourbon, à Moulins (Allier). Il est surnommé « la MalCoiffée », en raison de l’apparence de sa tourdonjon. 1390 – L’armée française débarque en Afrique. À sa tête, Louis II de Bourbon (en armure dorée). L’expédition contre les Barbaresqu­es aboutit au siège infructueu­x de Mahdia (Tunisie) ; miniature d’époque extraite des Chroniques de France et d’Angleterre (xive siècle), de Jean Froissart.
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 ??  ?? L’église prieurale Saint-Pierreet-Saint-Paul (xie-xve siècles), à Souvigny (Allier). Le prieuré était l’une des cinq « filles aînées » de l’abbaye de Cluny.
L’église prieurale Saint-Pierreet-Saint-Paul (xie-xve siècles), à Souvigny (Allier). Le prieuré était l’une des cinq « filles aînées » de l’abbaye de Cluny.
 ??  ?? Charles III, duc de Bourbon (1835), de Bernard Gaillot; musée des Châteaux de Versailles et de Trianon.
Charles III, duc de Bourbon (1835), de Bernard Gaillot; musée des Châteaux de Versailles et de Trianon.
 ??  ?? Triptyque de la Vierge en gloire (1500), du Maître de Moulins ; cathédrale Notre-Dame-deL’Annonciati­on, à Moulins (Allier). Détail du volet de gauche représenta­nt saint Pierre et le commandita­ire du triptyque, Pierre de Bourbon dit de Beaujeu.
Triptyque de la Vierge en gloire (1500), du Maître de Moulins ; cathédrale Notre-Dame-deL’Annonciati­on, à Moulins (Allier). Détail du volet de gauche représenta­nt saint Pierre et le commandita­ire du triptyque, Pierre de Bourbon dit de Beaujeu.
 ??  ?? Triptyque de la Vierge en gloire (1500), du Maître de Moulins. Détail du volet de droite représenta­nt Anne de Beaujeu et sa fille Suzanne, placées sous la protection de sainte Anne, mère de la Vierge Marie.
Triptyque de la Vierge en gloire (1500), du Maître de Moulins. Détail du volet de droite représenta­nt Anne de Beaujeu et sa fille Suzanne, placées sous la protection de sainte Anne, mère de la Vierge Marie.
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 ??  ?? La cathédrale Notre-Dame-deL’Annonciati­on (xve siècle), à Moulins. La constructi­on de la partie la plus ancienne du sanctuaire a été décidée, en 1468, par Agnès de Bourgogne, veuve de Charles Ier, duc de Bourbon, et mère de Jean II.
La cathédrale Notre-Dame-deL’Annonciati­on (xve siècle), à Moulins. La constructi­on de la partie la plus ancienne du sanctuaire a été décidée, en 1468, par Agnès de Bourgogne, veuve de Charles Ier, duc de Bourbon, et mère de Jean II.

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