Secrets d'Histoire

Les Bourbons d’Espagne : une dynastie inébranlab­le

- Par Virginie Girod

À l’aube du xviiie siècle, l’un des petits-fils de Louis XIV, le duc d’Anjou, succède au dernier des Habsbourgs sur le trône d’Espagne. Encore aujourd’hui, le roi espagnol est un Bourbon. De l’absolutism­e à la monarchie constituti­onnelle, cette dynastie s’est adaptée à tous les errements de l’Histoire jusqu’à sa résurrecti­on inattendue après le franquisme.

Le 1er novembre 1700, avant que le soleil n’atteigne son zénith, le roi d’Espagne, Charles II, décède enfin. Il ne sera plus secoué par ses hallucinat­ions mortifères et ses crises

d’épilepsie. El Hechizado (« l’ensorcelé ») n’a pas de descendanc­e. Ce fruit gâté, né des mariages consanguin­s des Habsbourgs, était stérile ; alors, il a pris le temps de régler sa succession. Au lendemain de sa mort, l’Europe découvre qu’il a

désigné Philippe de France, duc d’Anjou, comme successeur. Même si la branche autrichien­ne de sa famille s’étrangle de rage, son choix n’a rien d’illogique. Le petitfils de Louis XIV est aussi le petitneveu du défunt car MarieThérè­se d’Autriche (l’épouse du RoiSoleil) était sa soeur. Il s’assurait ainsi la protection des Français, alors que les Autrichien­s ne rêvent que de partager son vaste royaume. Si Louis XIV joue la carte de l’embarras pour calmer l’ire des monarques étrangers, il est en réalité satisfait et voit déjà l’Espagne comme un satellite de la France. Début 1701, Philippe V arrive à Madrid. La Cour accueille ce beau jeune homme de 17 ans avec bonheur. Le premier souverain Bourbon est affable et son sens aigu de la politique séduit d’emblée ses sujets. Cependant, l’empereur du SaintEmpir­e et le roi d’Angleterre voient d’un mauvais oeil que Philippe V garde ses droits à la succession du trône de France. Ils redoutent de voir abolie la frontière pyrénéenne. Une coalition naît pour offrir l’Espagne à l’archiduc Charles, un Habsbourg. La guerre de succession dure près de douze années. Les Traités d’Utrecht (1713) et de Rastatt (1715) garantisse­nt l’Espagne à Philippe V contre son renoncemen­t, et celui de tous ses descendant­s, au trône de France.

Ferdinand VI règle ses comptes

En quarante-six années d’un règne émaillé de guerres, le premier Bourbon instaure une monarchie absolue. Philippe V meurt le 9 juillet 1746 et, contrairem­ent à la tradition, refuse d’être inhumé à l’Escurial où repose la dépouille de Charles Quint. Il réaffirme ainsi qu’il n’est pas un Habsbourg après avoir importé la loi salique en Espagne, où les femmes seront désormais exclues de la succession. Ferdinand VI n’a pas tout à fait 33 ans, lorsqu’il monte sur le trône. Sa marâtre, Élisabeth Farnèse, l’a toujours méprisé. L’une de ses premières mesures est donc de régler ses comptes, en l’obligeant à quitter le palais. Mais le roi n’a pas d’enfants : en 1759, il cède la Couronne à

son demifrère Charles III. Le règne de celuici est marqué par la guerre d’indépendan­ce des ÉtatsUnis (17751783): l’Espagne se range du côté de la France contre l’Angleterre.

Un empereur trop présent

Charles III, habile politicien, forge les alliances utiles aux intérêts de son pays. Plus encore que son père, il agit en despote éclairé et modernise son royaume pour lui conserver sa puissance coloniale. Il meurt en 1788, alors que les feux de la Révolution menacent la patrie de ses ancêtres. Charles IV est loin d’avoir le caractère de son père. Il est dépassé par le séisme européen qu’a provoqué la chute de la monarchie en France et délègue à son ministre Manuel Godoy la diplomatie. Celuici se lie avec Napoléon contre les Anglais. Cependant, l’empereur inquiète: ses troupes se font trop présentes en Espagne et Ferdinand, fils du roi, fédèrent les mécontents autour de lui. Succession de rois sur le trône d’Espagne

En 1806, Ferdinand prend la tête de la Conjuratio­n de l’Escurial, visant à la fois son père et Godoy. Au final, le ministre perd de son influence; le père et le fils se disputent la Couronne, laissant Bonaparte arbitrer leur querelle. Ce dernier déchoit les Bourbons au profit de son frère, JosephNapo­léon. Charles IV finit piteusemen­t sa vie en exil, en 1819. Ferdinand ronge son frein, en se montrant déférent jusqu’à la servilité face au Corse. Cependant, le patriotism­e des Espagnols joue en sa faveur : il est reconnu comme roi, malgré son absence du pays depuis 1808. Cinq ans plus tard, après que les forces françaises se sont affaiblies, les Espagnols chassent Joseph Bonaparte, laissant Ferdinand VII remonter sur le trône. Il restaure la monarchie absolue pour le plus grand plaisir de son peuple! Avec sa mine patibulair­e et son autorité de patriarche triomphant, le roi n’est pas dans l’air du temps et la lune de miel ne dure guère. Les idées libérales infusent dans la société et il les combat avec violence, à tel point que les dix dernières années de son règne sont appelées la Decada Ominosa (« la décennie sinistre »). En vieillissa­nt, Ferdinand VII prend des mesures pour que sa fille Isabelle lui succède. Cela disqualifi­e d’emblée son frère Charles, au mépris de la tradition française importée par les Bourbons dans la péninsule. Malade, le roi laisse la régence du royaume à son épouse, MarieChris­tine de BourbonSic­iles. L’Espagne s’enlise alors dans les guerres carlistes car les traditiona­listes soutiennen­t Charles. Résistant à

son oncle, grâce à l’aide de la France et de l’Angleterre, Isabelle II est la première femme à régner depuis Isabelle de Castille en 1504, dont elle porte le nom. Elle doit à la fois diriger un royaume en crise et assurer sa propre descendanc­e : elle met au monde onze enfants, dont on ignore s’ils sont de son époux ou de ses amants car le roi consort, François d’Assise de Bourbon, est un homosexuel notoire. Fragilisée par les ragots sur sa vie privée et les guerres, honnie de son peuple, Isabelle II cède la Couronne à son fils Alphonse XII, en 1870. Cependant, le Parlement prononce la déchéance de la maison Bourbon et établit une monarchie constituti­onnelle (18701873), bientôt remplacée par la Première République (18731874) suivie de… la restaurati­on des Bourbons! Alphonse XII s’attelle à stabiliser les institutio­ns. Son fils lui succède en 1886: Alphonse XIII assiste, impuissant, à la déliquesce­nce du royaume. La perte des colonies et les deux guerres mondiales font le lit du franquisme. La dictature s’achève avec la mort de Franco, lequel désigne Juan Carlos de Bourbon comme son successeur. Le petitfils d’Alphonse XIII est obligé d’instaurer une transition démocratiq­ue. L’Espagne devient une monarchie constituti­onnelle et le roi, un symbole d’unité. Pourtant, militaires, indépendan­tistes et communiste­s n’hésitent pas à l’attaquer. En 1981, lors du coup d’État, le pays vacille mais il est devenu juancarlis­te! En 2014, le roi abdique en faveur de son fils Felipe VI. La maison Bourbon se maintient sur le trône. Elle n’exerce plus le pouvoir mais s’illustre dans le gotha. Ses parties de chasse et ses histoires de coeur, loin de participer à la diplomatie internatio­nale, font la une des tabloïds.

 ??  ?? 24 novembre 1700 – Allégorie de la reconnaiss­ance du duc d’Anjou comme roi d’Espagne (1704), d’H. A. de Favanne.
24 novembre 1700 – Allégorie de la reconnaiss­ance du duc d’Anjou comme roi d’Espagne (1704), d’H. A. de Favanne.
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 ??  ?? Isabelle II d’Espagne (1845), de José Gutiérrez de la Vega.
Isabelle II d’Espagne (1845), de José Gutiérrez de la Vega.
 ??  ?? Le palais de Saint-Laurentde-l’Escurial. Le site abrite une nécropole, où reposent 26 souverains des maisons d’Autriche et Bourbon.
Le palais de Saint-Laurentde-l’Escurial. Le site abrite une nécropole, où reposent 26 souverains des maisons d’Autriche et Bourbon.
 ??  ?? 3 mai 1808 – Les Exécutions dans la montagne du prince Pío (1814), de Francisco de Goya. Le peintre a illustré les représaill­es françaises, sanglantes, au lendemain du soulèvemen­t du peuple espagnol contre JosephNapo­léon, un roi que Paris lui a imposé.
3 mai 1808 – Les Exécutions dans la montagne du prince Pío (1814), de Francisco de Goya. Le peintre a illustré les représaill­es françaises, sanglantes, au lendemain du soulèvemen­t du peuple espagnol contre JosephNapo­léon, un roi que Paris lui a imposé.
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22 novembre 1975– Les Cortes (assemblées dissoutes en 1982) proclament Juan Carlos de Bourbon, roi d’Espagne.
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Le palais royal d’Aranjuez.

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