Jean-Baptiste Bernadotte et Désirée Clary
L’irrésistible ascension des enfants de la République
Il était béarnais, fils d’un avoué, et maréchal d’Empire ; elle était marseillaise, fille d’un armateur et promise à une vie bourgeoise. Ils ont croisé la route de Napoléon, l’ont admiré, servi, trahi aussi, avant d’unir leurs vies pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur ? Un destin exceptionnel qui les a menés jusqu’au trône de Suède, premiers d’une dynastie qui règne encore aujourd’hui.
Ce 17 août 1798, 30 thermidor an VI, Désirée Clary s'unit à Jean-Baptiste Bernadotte. La mariée est jolie. Brune, 20 ans tout juste, elle paraît si menue à côté de son général de mari. Quinze ans de plus, de la prestance à revendre, le nez aquilin, la chevelure d’un lion et l’oeil d’un conquérant, c'est un séducteur: on le surnomme « Sergent Belle-Jambe ». Il a la fougue et l’accent rocailleux d’un Béarnais. La belle, non plus, ne manque pas de caractère, comme vont le prouver ses quarante-six années de mariage auprès d’un époux qui va passer une partie de sa vie à défier Napoléon.
Général de brigade en deux ans Pour l’heure, Napoléon n'est encore que Bonaparte, et Désirée Clary le connaît bien. Trois ans auparavant, ils étaient promis l'un à l'autre et elle était éperdument amoureuse. Le Corse a rompu leurs fiançailles pour lui préférer les bras de la belle Joséphine de Beauharnais, la précipitant dans un désespoir sans fond… Remontons un peu le cours du temps. En 1780, le jeune Jean-Baptiste, 17 ans, natif de Pau, vient de s’enrôler dans l’armée, au sein du régiment Royal-La Marine, pour échapper à une ennuyeuse carrière d’avoué qui l’aurait conduit sur les traces paternelles. À Marseille, Bernardine-EugénieDésirée, 3 ans, mène la vie bien rangée d’une fillette de bonne famille aux côtés de ses huit frères et soeurs. Papa est armateur, l’avenir de Désirée paraît tout tracé: épouser un bon négociant, comme lu i ! En 1791, la Révolution est passée par là et voilà Bernadotte, enfin, lieutenant. Le soldat ne ménage pas ses efforts, le meneur d’hommes
trouve sa voie. Ainsi, après la bataille de Fleurus (26 juin 1794), où il montre toute sa valeur, il est promu général de division. Il côtoie les officiers qui deviendront les piliers de la Grande Armée et se fait une réputation.
Vaudeville napoléonien
Cette même année, Désirée Clary croise, dans un couloir du Tribunal révolutionnaire de Marseille, Joseph Bonaparte, alors qu’elle tente de faire libérer son frère. Joseph s’éprend d’elle, les deux familles se fréquentent et s’apprécient, les fiançailles semblent bien engagées. C’était compter sans Napoléon. D’un an plus jeune que son frère, il est lui aussi très attiré par la jeune fille. Déjà très conquérant, il prend les choses en main: il pousse la soeur aînée de Désirée, Julie (qui ne demandait que ça), dans les bras de Joseph. La voie est libre et Désirée bientôt fiancée au jeune général. Le vaudeville, pourtant, n'est pas terminé. Après quelques mois et beaucoup de lettres enflammées, Napoléon se morfond, tandis que Désirée est en Italie auprès de Joseph et Julie. Le voilà à Paris. Dépit ? Lassitude devant la séparation? Impatience? À l’été 1795, Napoléon rencontre Joséphine de Beauharnais. En mars 1796, il l’épouse. Désirée lui écrit: « Vous disiez que vous m’aimiez ? Jamais je ne me marierai, jamais je ne m’engagerai avec un autre. »
Une disgrâce et une élection Serments de la jeunesse! Deux ans plus tard, Désirée se marie donc à Bernadotte. Entretemps, elle s’est éprise d’un autre général, Duphot, mais l’infortuné trouve la mort dans une émeute à Rome. Un autre général de brigade, Marmont, est dans son viseur, juste avant que Bernadotte n'entre en scène et n'emporte sa faveur. Une chose est sûre, elle aime l’uniforme! Quant à Bernadotte, il a ainsi trouvé moyen de se rapprocher du clan Bonaparte. Un an plus tard, naît Oscar qui sera l'unique enfant du couple… Sous le Directoire, Bernadotte est nommé ministre de la Guerre, mais cela ne va pas durer. Faisant le difficile apprentissage de la politique, il se heurte souvent au Premier Consul. Il est soupçonné de complot mais, lorsqu’est proclamé l’Empire, il se rallie avec beaucoup de pragmatisme. Bien lui en prend, puisqu’il est promu maréchal, le septième sur une liste de 18. Pendant les années qui suivent, ses rapports avec Napoléon connaissent des hauts et des bas. En 1806, l’empereur le fait prince de Ponte-Corvo, une enclave pontificale dans le royaume de Naples, puis gouverneur des villes hanséatiques. Et dans le même temps, il dit de lui : « La vanité de cet homme est excessive. Il a des talents médiocres. Je ne me fie d’aucune manière à lui. » Il lui reproche de ne pas avoir brillé pendant les grandes batailles, Iéna, Wagram, Austerlitz. Peut-être, lui en veut-il également d’être marié à Désirée… En 1809, Bernadotte est en disgrâce à la Cour. Désirée vit dans son ombre et, sans doute, s’ennuie un peu. Jusqu’au jour où le parti pro-français suédois propose à Bernadotte d’être candidat à l’élection du prochain prince héritier de Suède.