À partir de 1818 : les années de maturité
Bernadotte, devenu roi de Suède à la mort de Charles XIII, a enfin touché au but. Il a chèrement acquis sa Couronne. Pour elle, il a abandonné son pays, sacrifié ses ambitions françaises et renoncé à son mariage. Son épouse vit toujours à Paris et n’a d’yeux que pour le duc de Richelieu, ministre de Louis XVIII. Mais voilà qu’au moment où il désespérait de leur union, sans pourtant avoir songé à y mettre fin, Désirée revient… après douze années d’absence !
Depuis sept ans qu’il dirige la Suède sans porter la Couronne, Bernadotte se pose, au moment de la recevoir, la question de sa légitimité. Tant que l’esprit de la Révolution soufflait encore sur l’Europe, il pouvait apparaître comme un héros, un homme qui s’est fait tout seul, poussé par les nouvelles idées et ses talents militaires. Avec le retour de la monarchie en France, il apparaît dans les cours d’Europe comme un parvenu. « Une vilaine tache sur cette Europe qui est redevenue propre », persifle la tsarine Élisabeth. Le représentant de la France en Suède est aussi dur: « On ne déguise pas qu’on s’est livré à un étranger, sans nom, sans rang, sans famille, sans allié, sans patrie. »
Désirée se couvre de ridicule
Le sacre, fort heureusement, se déroule sans incident et le pays accueille à bras ouverts son nouveau roi, Charles XIV Jean. Sa devise: « L’amour du peuple sera ma récompense. » Conviction de monarque républicain ou simple calcul pour se rallier l’opinion ? Le couronnement de son mari n’incite pas Désirée à revenir. Il aurait pourtant besoin d’elle à ses côtés, lui que ses détracteurs accusent aussi d’être « sans famille ». Elle, a d’autres chats à fouetter. Depuis 1816, en effet, elle est tombée amoureuse du duc de Richelieu, Premier ministre de Louis XVIII. Ses sentiments ne sont pas partagés? Elle se livre à une véritable chasse à l’homme, suivant le duc partout, jusqu’au congrès d’Aix-la-Chapelle. Le
duc l’ignore ? Elle s’envoie des fleurs de sa part à lui, se couvrant de ridicule. Son royal époux sort de sa réserve et lui enjoint d’être plus discrète. Désirée n’en a cure et continue ses extravagances. Richelieu ne sait pas s’il a affaire à une folle ou à une espionne de la Suède. Qu'aurait-il dit s’il avait pu assister à sa propre mort, survenue en 1822? Désirée, tout de noir vêtue, veille son cercueil un jour et une nuit dans l’église de L’Assomption, exposant son chagrin aux yeux de tous.
Sur le tard, une vie de couple presque bourgeoise
Une seule personne aura le pouvoir de faire revenir Désirée en Suède : son fils. Oscar a déjà 23 ans et Bernadotte veut qu'il se marie pour assurer la continuité de la dynastie. Le choix du jeune homme se porte sur Joséphine de Leuchtenberg, la petite-fille de… Joséphine de Beauharnais! Le monde est petit et la rancune de Désirée envers son ancienne rivale amoureuse, qu’elle surnomme « la Vieille », toujours très tenace. L’idée de ce mariage lui est insupportable. Ce que l’épouse n’a pu faire durant toutes ces années, la mère le décide en un rien de temps. Elle rentre à Stockholm mais ne peut empêcher l'union. C’est tant mieux, car le couple aura cinq enfants, dont deux futurs rois de Suède. Au moins retrouve-telle sa place auprès de son époux. Bernadotte et Désirée vont désormais offrir l'apparence d’un couple « normal », qui mène une vie presque bourgeoise dans son château de Rosendal. Certes, Désirée menace régulièrement de repartir en France, mais elle n’en fait rien. Par habitude? Lassitude ? Prudent, Bernadotte la fait couronner reine en 1829. Elle prend le nom de Desideria.
« Il ne ferait pas de mal à un poulet » Désirée finit par s’habituer à l'étiquette de la Cour, moins rigide, au froid. Elle fait venir de l’huile d’olive et des tomates de Provence, voyage dans le pays. Elle part la nuit en calèche, dans la campagne, pour contempler les étoiles… Bernadotte gouverne de plus en plus depuis son lit, devient plus conservateur. Il redresse néanmoins l’économie du pays, lutte contre le paupérisme, en développant le système de santé et l’éducation. De temps à autre, il entre dans une colère noire que Désirée minimise : « Ne l’écoutez pas, il ne ferait pas de mal à un poulet! » C’est qu’il a toujours peur d’être trahi, d’autant que, même après vingt-six années de règne, il ne parle ni ne comprend suédois. C’est son fils qui lui sert d'interprète. Bernadotte décède le 8 mars 1844, à 81 ans. Désirée écrit à sa soeur: « Je n’ai qu’un regret, c’est qu’il aura trop travaillé. (…) Je ne me trouvais pas assez aimable pour le distraire. » Elle lui survit seize années et meurt, alors qu'elle assiste à une représentation théâtrale. Ils auront donné une dynastie à la Suède et des héritiers à toutes les cours d'Europe. Bernadotte aura finalement concilié la tradition monarchique suédoise et les idées de la Révolution, vrai « monarque républicain, réussissant là où Napoléon avait échoué ».*