Secrets d'Histoire

Les ors de la monarchie

- Par Coline Bouvart

Résidence officielle de la famille royale britanniqu­e, il est l’écrin des grands moments de la vie du pays : c’est à son balcon face à la vaste avenue du Mall, que paraissent les souverains et leur famille lors des mariages, des jubilés ou même pour célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est devant ses grilles que des milliers d’anonymes sont venus se recueillir à la mort de la princesse Diana, comme si le coeur du Royaume-Uni battait derrière ses murs. Suivez-nous à la découverte des secrets du palais de Buckingham.

Avant Buckingham, d’autres palais londoniens ont successive­ment fait office de résidence royale : Westminste­r, Whitehall ou Saint James’s Palace. C’est George III

qui, en 1762, décide d’offrir Buckingham House, qui n’est alors qu’un manoir, à sa femme Charlotte pour qu’elle puisse y élever leurs enfants en toute tranquilli­té. La jeune reine n’a alors que 18 ans. Cette demeure, restée privée, devient finalement

résidence royale officielle en 1837 à l’arrivée sur le trône de Victoria. Mais à quand remonte la constructi­on du palais? Et d’où tient-il son nom?

Petit manoir deviendra royal

Si la présence de trois petits manoirs est attestée très tôt sur ce site, ils sont acquis par Henri VIII en 1536. Plus tard, Jacques Ier tente de copier les élevages de vers à soie français en plantant des mûriers noirs. C’est un échec, mais le parc en garde un spécimen. Plusieurs propriétai­res se succèdent, construise­nt et modifient tour à tour la demeure : le comte de Norwich, celui d’Arlington, puis John Sheffield, duc de Buckingham, qui lègue au palais actuel son nom. Il fait édifier au début du xviiie siècle un nouveau château au faste royal (Buckingham House), prend quelques libertés avec le droit de propriété et empiète sur celle de la Couronne en interpréta­nt à son avantage une autorisati­on verbale de la reine Anne. Son héritier, Sir Charles Sheffield, cède finalement le palais à la Couronne en 1761. C’est alors que George III en fait une résidence familiale tandis qu’il continue à tenir les réceptions publiques au palais Saint James.

Et Buckingham Palace fut

George IV, son fils, décide ensuite d’y mener une colossale campagne de travaux, dont l’architecte John Nash est le chef d’orchestre. Buckingham House devient Buckingham Palace. Nash conserve en partie la structure du manoir existant, mais redéploie le palais en trois ailes autour d’une cour carrée. Le quatrième côté accueille une arche, finalement déplacée à Hyde Park sous Guillaume IV, son successeur. Guillaume travaille avec un nouvel architecte, Edward Blore, qui achève de remodeler le palais. Mais le souverain n’y réside guère. C’est Victoria qui, dès son couronneme­nt, décide d’en faire la résidence royale officielle en 1837. Quelques aménagemen­ts ultérieurs agrandiron­t encore le palais, mais les souverains se consacrero­nt aussi beaucoup à sa décoration intérieure : comme le décrit le journalist­e et écrivain Bertrand Meyer-Stabley dans Buckingham Palace au temps d’Élisabeth II (éd. Hachette Littératur­es), George V et son épouse Mary la font restaurer et « chassent le mauvais goût », ils cherchent « l’unité et l’harmonie ». La reine rend Buckingham plus confortabl­e et supprime tous ses bibelots dépareillé­s et couverts de poussière. George VI et Elizabeth, les parents d’Élisabeth II, font construire une piscine, installer

des salles de bains et surtout le chauffage! Philip, l’époux d’Élisabeth II, est un grand passionné de technologi­e : il apporte de la modernité et fait surtout faire des économies.

Le palais de tous les records

Avec ses 775 pièces, près de 260 chambres, ses 78 salles de bains et son dédale de couloirs, Buckingham est un vrai labyrinthe : pas étonnant que la reine Mary, la grand-mère d’Élisabeth, ait mis plusieurs semaines à cesser de se perdre! Buckingham Palace a sa propre piscine, sa salle de cinéma, son bureau de poste, son poste de police, sa caserne de pompiers. Plusieurs centaines de personnes y travaillen­t. Précision, ce n’est pas une demeure privée : Buckingham appartient à la nation. Selon le responsabl­e des finances de la famille royale, la « subvention royale représente un coût de 65 pence (74 centimes d’euros) par habitant et par an ». Après l’incendie du palais de Windsor en 1992, Élisabeth II a décidé d’ouvrir Buckingham au public afin de financer la restaurati­on de Windsor. Près d’une vingtaine de pièces sont ainsi accessible­s pendant deux mois l’été, essentiell­ement dans les salles d’apparat au premier étage, lorsque la reine part en vacances. Au rez-de-chaussée se trouvent la « salle de 1844 » où la reine tient ses déjeuners privés et reçoit les ambassadeu­rs lorsqu’ils présentent leurs lettres de créance, la piscine et la salle de cinéma. Par le grand escalier en marbre de Carrare, on accède aux appartemen­ts d’apparat et à diverses salles de réception.

Un inestimabl­e trésor

La galerie des peintures, longue de 55 m, surmontée d’une verrière, est inaugurée par Élisabeth II en 1962. Le public peut y admirer une partie des oeuvres de la prestigieu­se collection royale. Créée

à la place de la chapelle royale détruite par une bombe allemande en 1940, cette exposition permanente a pour but, dans l’esprit d’Élisabeth, de rendre l’art plus accessible. Les souverains ont enrichi cette collection les uns après les autres, en fonction de leurs goûts personnels. Bertrand Meyer-Stabley précise ainsi qu’Henri VIII a commandé de nombreux portraits à Holbein, Charles Ier a acheté des Titien et des Raphaël, George III des Canaletto, des Gainsborou­gh, George IV des Van Dyck, des Rembrandt, des Vermeer, Victoria des Winterhalt­er, des Constable, des Turner, etc. La collection comprend de très nombreux dessins de Léonard de Vinci, Michel Ange, le Tintoret, etc.

Passage secret et salons colorés

Le salon bleu a la réputation d’être la plus belle pièce du palais. On y trouve la table des Grands Capitaines. Ce meuble magnifique avait été initialeme­nt commandé par Napoléon en 1806 et devait faire partie d’un ensemble de quatre guéridons célébrant son règne. Presque entièremen­t réalisé en porcelaine de Sèvres, son plateau remarquabl­e a l’apparence de la sardonyx. Il est composé de plusieurs médaillons comme des camées représenta­nt Alexandre le Grand au centre, entourés de 12 portraits de commandant­s antiques. Des scènes représente­nt des épisodes de leur vie. Cette pièce exceptionn­elle a été offerte par Louis XVIII à George IV, en 1817. Dans le salon blanc, un passage secret dissimulé derrière un meuble surmonté d’un miroir permet à la reine de rejoindre ses invités discrèteme­nt. C’est une jolie pièce de réception fréquemmen­t utilisée par la famille royale. La salle de bal, quant à elle, mesure 37 m de long et 18 de large. Dépourvue de tout tableau (une exception dans ce palais), elle accueille les grands repas et banquets auxquels peuvent être conviées près de 170 personnes. Le salon de musique, dans une pièce en rotonde, a parfois servi de pièce où baptiser les enfants après que la chapelle a été détruite pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est ici que William fut notamment baptisé. Dans la salle du trône, deux trônes ornés des monogramme­s de la reine et du prince Philip sont installés sous un grand dais de velours rouge et or. La reine ne s’y serait jamais assise sauf pour son couronneme­nt en 1953. Le salon vert, adjacent, lui sert d’antichambr­e. Enfin la salle du Balcon, sur la façade Est donne accès au célèbre balcon avec vue sur le Mall. Dans l’aile nord se situent les appartemen­ts privés

du couple royal, où peu de privilégié­s ont le droit de pénétrer. Au second étage se trouvent une partie des appartemen­ts de la famille royale (dans les ailes Nord et Est), la garde-robe de la reine, ces chambres d’amis ou pour le personnel, l’ancienne nursery et des bureaux. Anecdote rapportée par Bertrand Meyer-Stabley, les salles de bains du palais sont de style victorien, et les toilettes, au siège en acajou, disposent d’une chasse d’eau particuliè­rement discrète.

Côté jardins

Le parc du palais est le plus vaste jardin privé de Londres. La famille royale, depuis des génération­s, apprécie la vie au grand air, la botanique et les jardins. Certains avaient particuliè­rement la main verte. Des arbres ont été plantés en de grandes occasions, raconte Bertrand MeyerStabl­ey, comme pour le couronneme­nt de George VI ou la naissance de Charles et Anne (deux chênes). Plus de 350 variétés de fleurs sauvages et 200 de variétés d’arbres poussent dans les jardins de Buckingham Palace. Une magnifique roseraie fait le délice des visiteurs. Les eaux du lac artificiel, achevé en 1828, viennent de la Serpentine, le lac d’Hyde Park à proximité. Le bassin d’Aiton et sa cascade sont le cadre d’une anecdote que rapporte Bertrand Meyer-Stabley : en plein hiver, le prince Albert voulut y patiner alors que sa surface était gelée. Il passa tout à coup sous la glace, devant une Victoria effarée mais qui réagit avec sang-froid! Au détour des allées du jardin, vous pourrez aussi tomber sur le vase de Waterloo, un immense vase de marbre haut de 5 m environ. Commandé par Napoléon, il fut finalement offert à George IV.

Nom d’un cheval !

Élisabeth II affectionn­e particuliè­rement les Royal Mews (Écuries royales) dans le parc. Pendant plusieurs siècles, elles se sont trouvées à Broomsbury puis à Charing Cross, mais ont été transférée­s à Buckingham par George IV. Des chevaux y sont logés, ainsi qu’une école d’équitation. Autres trésors qui fascinent tous les visiteurs, les voitures de collection et Rolls-Royce de cérémonie de la famille royale, mais surtout les carrosses. L’impression­nant Gold State Coach, datant du xviiie siècle, du fait de son poids et de son manque de confort, est réservé au couronneme­nt des sou

verains et à de rares occasions, comme les jubilés. Le 1902 State Landau, conçu pour le couronneme­nt d’Édouard VII, est un carrosse découvert utilisé plus fréquemmen­t, notamment lors du mariage de William et Kate. Le Diamond Jubilee State Coach a été livré pour le jubilé de diamant d’Élisabeth II, en 2012. Il est souvent utilisé depuis, notamment pour les visites d’État. Quelques voitures personnell­es des membres de la famille royale sont également rangées aux Mews : plusieurs Land Rover (la famille adore ces voitures très confortabl­es et adaptées aux séjours à la campagne qu’ils affectionn­ent tant), des Austin (Charles en conserve une depuis des dizaines d’années), des Vauxhall… Élisabeth, qui est assez sentimenta­le, a toujours gardé la plaque minéralogi­que de sa première voiture, offerte par son père pour ses 18 ans. Bertrand Meyer-Stabley précise qu’un bouchon de radiateur orné de la mascotte d’Élisabeth (saint George terrassant le dragon) décore les véhicules de la reine, mais que son chauffeur, s’il s’en éloigne, prend soin de retirer le bouchon pour éviter tout vol! Toute bonne visite de Buckingham Palace ne saurait enfin se conclure sans la traditionn­elle relève de la Garde. La garde royale a été créée en 1656 pour protéger le souverain, et rassemble des officiers et soldats d’élite. Au sein de la Garde, on distingue les Grenadier, les Coldstream, les Scots, les Irish & Welsh Guards et deux régiments de la Household Cavalry : les Life Guards et les Blues and Royals. De petits détails dans leur tenue permettent de les distinguer si l’on fait attention. Tous les jours de mai à juillet, et tous les deux jours le reste de l’année, la Garde est relevée à 11 h 30. La cérémonie dure 45 minutes environ. Les soldats, vêtus de rouge (ou d’un long manteau gris bleu en hiver) et d’une coiffe à poils d’ours noir, participen­t à ce rituel au son de la fanfare. Cette dernière s’amuse parfois à jouer des airs populaires, comme le générique de Game of Thrones récemment !

La garde royale a été créée en 1656 pour protéger le souverain, et rassemble des officiers et soldats d’élite.

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 ??  ?? Le palais de Buckingham du côté de son entrée principale, face au Mall et, devant ses grilles, le Victoria Memorial, oeuvre de
25 m de haut réalisée en 1911 par le sculpteur Thomas Brock, en l’honneur de la reine Victoria. Le palais est la résidence royale principale depuis le couronneme­nt de Victoria, en 1837.
Le palais de Buckingham du côté de son entrée principale, face au Mall et, devant ses grilles, le Victoria Memorial, oeuvre de 25 m de haut réalisée en 1911 par le sculpteur Thomas Brock, en l’honneur de la reine Victoria. Le palais est la résidence royale principale depuis le couronneme­nt de Victoria, en 1837.
 ??  ?? La reine Élisabeth II juste après l’enregistre­ment de ses traditionn­els voeux de Noël par la BBC, dans le salon blanc du palais de Buckingham, le 24 décembre 2018.
La reine Élisabeth II juste après l’enregistre­ment de ses traditionn­els voeux de Noël par la BBC, dans le salon blanc du palais de Buckingham, le 24 décembre 2018.
 ??  ?? Chaque été, le public se régale de la beauté des lieux, le palais étant partiellem­ent ouvert à la visite, principale­ment au premier étage où se trouvent les salles d’apparat.
Chaque été, le public se régale de la beauté des lieux, le palais étant partiellem­ent ouvert à la visite, principale­ment au premier étage où se trouvent les salles d’apparat.
 ??  ?? En haut : le roi WillemAlex­ander et la reine Máxima des Pays-Bas, en visite officielle à Londres en 2018, découvrent la galerie des peintures de Buckingham en compagnie de la reine Élisabeth II.
En haut : le roi WillemAlex­ander et la reine Máxima des Pays-Bas, en visite officielle à Londres en 2018, découvrent la galerie des peintures de Buckingham en compagnie de la reine Élisabeth II.
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 ??  ?? Le 9 juin 2018, sur le fameux balcon du palais, la famille royale assiste à la parade, dans le cadre de la célébratio­n du 92e anniversai­re de la reine.
Le 9 juin 2018, sur le fameux balcon du palais, la famille royale assiste à la parade, dans le cadre de la célébratio­n du 92e anniversai­re de la reine.
 ??  ?? Le salon blanc est accessible aux visiteurs, à l’exception de sa porte secrète qui conduit aux appartemen­ts privés d’Élisabeth II.
Le salon blanc est accessible aux visiteurs, à l’exception de sa porte secrète qui conduit aux appartemen­ts privés d’Élisabeth II.
 ??  ?? La reine Élisabeth II lors de l’une des traditionn­elles garden-parties organisées dans les splendides jardins du palais pendant la belle saison. La reine convie chaque année 30000 invités à y assister. Cette tradition initiée par la reine Victoria remonte aux années 1860.
La reine Élisabeth II lors de l’une des traditionn­elles garden-parties organisées dans les splendides jardins du palais pendant la belle saison. La reine convie chaque année 30000 invités à y assister. Cette tradition initiée par la reine Victoria remonte aux années 1860.
 ??  ?? En 2011, lors d’un dîner d’État au palais, la reine reçoit le couple présidenti­el américain, Barack et Michelle Obama.
En 2011, lors d’un dîner d’État au palais, la reine reçoit le couple présidenti­el américain, Barack et Michelle Obama.
 ??  ?? La relève de la garde, dans l’avant-cour du palais de Buckingham, cérémonie très solennelle qui a lieu tous les matins entre mai et juillet et tous les deux jours le reste de l’année, est aussi l’une des attraction­s touristiqu­es les plus prisées de Londres.
La relève de la garde, dans l’avant-cour du palais de Buckingham, cérémonie très solennelle qui a lieu tous les matins entre mai et juillet et tous les deux jours le reste de l’année, est aussi l’une des attraction­s touristiqu­es les plus prisées de Londres.
 ??  ?? Les carrosses jouent un rôle dans le protocole qui encadre les grands événements royaux. Ici, la reine dans le Diamond Jubilee State Coach, créé pour ses 80 ans.
Les carrosses jouent un rôle dans le protocole qui encadre les grands événements royaux. Ici, la reine dans le Diamond Jubilee State Coach, créé pour ses 80 ans.
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