Secrets d'Histoire

Les superstiti­ons maritimes

- Par Dominique Le Brun

Parce qu’ils affrontaie­nt au plus près une nature imprévisib­le et dangereuse, les marins d’autrefois entretenai­ent tabous et croyances qui les rendaient superstiti­eux. Ces comporteme­nts irrationne­ls trouvent pourtant leur origine dans des raisons sérieuses et compréhens­ibles, à défaut d’être avérées. L’animal aux longues oreilles

Le principal tabou des marins concerne un animal à ce point maudit qu’il est même interdit d’en prononcer le nom. S’il le faut absolument, on évoquera « l’animal aux longues oreilles » ou le « cousin du lièvre », pour ne pas dire « le lapin ». Superstiti­on ? À l’époque de la marine en bois, on emportait, dans des cages, des poules et des lapins qui fournissai­ent la table de l’étatmajor. Sans doute est-il arrivé que des rongeurs s’évadent et s’installent dans les cales, s’usant les dents sur la charpente et se gavant des cordages de rechange, en chanvre ou en sisal. Une catastroph­e lourde de conséquenc­es qui a abouti à interdire ces animaux à bord.

La marée

Sur les côtes de la Manche, où la marée est particuliè­rement importante puisque le niveau de la mer peut dépasser une dizaine de mètres, le phénomène a engendré l’idée selon laquelle la journée se divise en deux périodes opposées. Les heures de flot (marée montante) sont réputées favorables, au contraire de celles de jusant. Ainsi, dans le Finistère, on estimait qu’un enfant conçu à marée montante serait de sexe… masculin; aux heures de jusant, on ne faisait que des filles ! Dans la région malouine, un enfant né au plus fort du flot (mi-marée montante) ferait un grand marin. Surtout s’il s’agissait de la marée de Noël, celle du solstice d’hiver qui correspond au début de l’allongemen­t des jours. La symbolique est évidente ! De même, lorsqu’un vieillard se trouvait à l’agonie,

il était habituel qu’il pousse son dernier soupir au moment où la mer commençait à descendre. On considérai­t par ailleurs qu’il pouvait exister un rapport entre la marée et l’efficacité des médicament­s. Est-ce parce qu’on y observe d’impétueux courants de marée ? Dans la région des abers, à la pointe nord-ouest du Finistère, on purgeait, paraît-il, les enfants à chaque équinoxe, en leur administra­nt la potion pile à l’heure de la marée haute, pour qu’avec le jusant, elle produise tout son effet !

La religion

Sur toutes les mers, quelle que soit leur religion, les navigateur­s en difficulté peuvent être obligés de s’en remettre à la providence. Sur les côtes de tradition chrétienne, si les marins à terre ne se montraient guère portés sur les pratiques religieuse­s, sur l’eau, ils adoptaient une attitude très différente. Un premier point était de ne surtout pas défier le ciel. Ainsi, dans toute la mesure du possible, évitait-on de prendre le large un vendredi. Ce jour étant celui de la mort du Christ, la traversée s’en trouvait placée sous de mauvais auspices. Et s’ils étaient confrontés à des dangers face auxquels leur compétence ne suffisait plus, les hommes n’hésitaient pas à implorer la Vierge. Chaque port possédait donc son église ou sa chapelle dédiées à leur protection, comme Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille ou Notre-Dame-du-Salut à Fécamp. Les maquettes de bateaux et les tableaux qui les décorent sont des ex-voto, offerts par les marins dont les prières ont été exaucées.

Les chiffres

Autrefois, dans les ports bretons, lorsqu’un bateau de pêche flambant neuf recevait l’immatricul­ation des Affaires maritimes, son patron estimait qu’il existait des chiffres favorables à leur activité, et d’autres non. Le 2, le 3, le 5 et le 9 étaient bénéfiques parce que leur représenta­tion graphique adopte la forme… d’un hameçon ! Le 0, le 1, le 4, le 6 et le 8 étaient donc peu appréciés. Toutefois, pour corriger le défaut, on les peignait sur la coque en ajoutant des pointes à leur base, afin de les rendre « pêchants ».

Le vent

Quand un voilier était pris dans le calme plat, pour faire venir le vent, il existait un moyen dont on n’usait qu’en dernier recours : siffler. On se tournait alors vers la direction d’où on souhaitait voir la brise se lever. Attention! Au premier courant d’air, si on ne faisait pas immédiatem­ent silence, on n’échappait pas à la tempête…

Les oiseaux de mer

Une variété de pétrel est dite « tempête » car l’apparition de ce petit oiseau au plumage couleur noir de suie annonce du très mauvais temps. Perçu comme la réincarnat­ion d’un capitaine maudit, on l’appelle aussi « satanite ». Certains respectent les mouettes et les goélands parce qu’ils portent prétendume­nt l’âme d’un marin disparu en mer.

 ??  ?? Le MontSaint-Michel, Cornouaill­es (1830), de Clarkson Frederick Stanfield, peintre de marine britanniqu­e.
Le MontSaint-Michel, Cornouaill­es (1830), de Clarkson Frederick Stanfield, peintre de marine britanniqu­e.
 ??  ?? Ex-voto (1898), d’Henri Royer ; musée des Beaux-Arts, à Quimper.
Ex-voto (1898), d’Henri Royer ; musée des Beaux-Arts, à Quimper.
 ??  ?? Pétrels tempêtes. Illustrati­on tirée des Oiseaux d’Amérique (1838), de John James Audubon.
Pétrels tempêtes. Illustrati­on tirée des Oiseaux d’Amérique (1838), de John James Audubon.

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