Les superstitions maritimes
Parce qu’ils affrontaient au plus près une nature imprévisible et dangereuse, les marins d’autrefois entretenaient tabous et croyances qui les rendaient superstitieux. Ces comportements irrationnels trouvent pourtant leur origine dans des raisons sérieuses et compréhensibles, à défaut d’être avérées. L’animal aux longues oreilles
Le principal tabou des marins concerne un animal à ce point maudit qu’il est même interdit d’en prononcer le nom. S’il le faut absolument, on évoquera « l’animal aux longues oreilles » ou le « cousin du lièvre », pour ne pas dire « le lapin ». Superstition ? À l’époque de la marine en bois, on emportait, dans des cages, des poules et des lapins qui fournissaient la table de l’étatmajor. Sans doute est-il arrivé que des rongeurs s’évadent et s’installent dans les cales, s’usant les dents sur la charpente et se gavant des cordages de rechange, en chanvre ou en sisal. Une catastrophe lourde de conséquences qui a abouti à interdire ces animaux à bord.
La marée
Sur les côtes de la Manche, où la marée est particulièrement importante puisque le niveau de la mer peut dépasser une dizaine de mètres, le phénomène a engendré l’idée selon laquelle la journée se divise en deux périodes opposées. Les heures de flot (marée montante) sont réputées favorables, au contraire de celles de jusant. Ainsi, dans le Finistère, on estimait qu’un enfant conçu à marée montante serait de sexe… masculin; aux heures de jusant, on ne faisait que des filles ! Dans la région malouine, un enfant né au plus fort du flot (mi-marée montante) ferait un grand marin. Surtout s’il s’agissait de la marée de Noël, celle du solstice d’hiver qui correspond au début de l’allongement des jours. La symbolique est évidente ! De même, lorsqu’un vieillard se trouvait à l’agonie,
il était habituel qu’il pousse son dernier soupir au moment où la mer commençait à descendre. On considérait par ailleurs qu’il pouvait exister un rapport entre la marée et l’efficacité des médicaments. Est-ce parce qu’on y observe d’impétueux courants de marée ? Dans la région des abers, à la pointe nord-ouest du Finistère, on purgeait, paraît-il, les enfants à chaque équinoxe, en leur administrant la potion pile à l’heure de la marée haute, pour qu’avec le jusant, elle produise tout son effet !
La religion
Sur toutes les mers, quelle que soit leur religion, les navigateurs en difficulté peuvent être obligés de s’en remettre à la providence. Sur les côtes de tradition chrétienne, si les marins à terre ne se montraient guère portés sur les pratiques religieuses, sur l’eau, ils adoptaient une attitude très différente. Un premier point était de ne surtout pas défier le ciel. Ainsi, dans toute la mesure du possible, évitait-on de prendre le large un vendredi. Ce jour étant celui de la mort du Christ, la traversée s’en trouvait placée sous de mauvais auspices. Et s’ils étaient confrontés à des dangers face auxquels leur compétence ne suffisait plus, les hommes n’hésitaient pas à implorer la Vierge. Chaque port possédait donc son église ou sa chapelle dédiées à leur protection, comme Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille ou Notre-Dame-du-Salut à Fécamp. Les maquettes de bateaux et les tableaux qui les décorent sont des ex-voto, offerts par les marins dont les prières ont été exaucées.
Les chiffres
Autrefois, dans les ports bretons, lorsqu’un bateau de pêche flambant neuf recevait l’immatriculation des Affaires maritimes, son patron estimait qu’il existait des chiffres favorables à leur activité, et d’autres non. Le 2, le 3, le 5 et le 9 étaient bénéfiques parce que leur représentation graphique adopte la forme… d’un hameçon ! Le 0, le 1, le 4, le 6 et le 8 étaient donc peu appréciés. Toutefois, pour corriger le défaut, on les peignait sur la coque en ajoutant des pointes à leur base, afin de les rendre « pêchants ».
Le vent
Quand un voilier était pris dans le calme plat, pour faire venir le vent, il existait un moyen dont on n’usait qu’en dernier recours : siffler. On se tournait alors vers la direction d’où on souhaitait voir la brise se lever. Attention! Au premier courant d’air, si on ne faisait pas immédiatement silence, on n’échappait pas à la tempête…
Les oiseaux de mer
Une variété de pétrel est dite « tempête » car l’apparition de ce petit oiseau au plumage couleur noir de suie annonce du très mauvais temps. Perçu comme la réincarnation d’un capitaine maudit, on l’appelle aussi « satanite ». Certains respectent les mouettes et les goélands parce qu’ils portent prétendument l’âme d’un marin disparu en mer.