La Favorite,
La vie… ce n’est pas toujours du cinéma. Les films ou séries historiques prennent parfois leurs aises, volontairement ou non, avec la réalité. Erreurs historiques, anachronismes, trucages font partie du jeu cinématographique. Saurez-vous démêler la fiction de la réalité dans le film La Favorite ?
Avec La Favorite, le réalisateur multiprimé Yorgos Lanthimos (The Lobster, Mise à mort du cerf sacré) s’attaque au genre historique pour mieux le détourner. Si son film est basé sur des faits historiques et dépeint avec une cruauté jubilatoire la rivalité entre deux favorites de la reine Anne d’Angleterre, il revendique également de s’éloigner de la vérité pour mieux servir son propos. Nous sommes donc au début du xviiie siècle, à la cour d’Anne, en Angleterre. Et le triangle amoureux formé par cette reine influençable, sa favorite en titre, Sarah Churchill, duchesse de Marlborough, et celle qui va la supplanter, Abigail Hill, tourne au jeu de massacre.
Anne, une reine faible ? FICTION ET RÉALITÉ
Dans le film, Anne apparaît comme une femme influençable, capricieuse, cruelle et rouée, incapable de prendre la moindre décision ni même la parole en public. Dans une relation quasi masochiste avec sa dame de compagnie, Sarah, duchesse de Marlborough, elle se laisse même humilier en public. En fait, la reine Anne reste assez mal connue, et les Mémoires laissés par la duchesse de Marlborough, rédigés après leur brouille, ont faussé son image. Elle souffre de la goutte, ce qui l’oblige à se déplacer en fauteuil roulant ou en palanquin, et a sûrement subi un amalgame entre sa faiblesse physique et son exercice du pouvoir. Son règne a pourtant marqué une période de prospérité, et elle a su prendre des décisions vigoureuses. Enfin, elle est la première reine de Grande-Bretagne et d’Irlande, réussissant à réunir sous une même couronne, en 1707, Angleterre, Écosse et Irlande.
Un triangle amoureux ? FICTION PROBABLEMENT.
Amie d’enfance de la reine, Sarah Churchill, duchesse de Marlborough, entretenait avec elle
UN FILM PASSÉ AU DÉTECTEUR DE MENSONGES
une amitié profonde. Elles s’appelaient dans l’intimité Madame Morley et Madame Freeman, et Sarah a bien été nommée dame d’honneur et gardienne de la bourse. Cette amitié avait provoqué une brouille entre Anne et sa soeur aînée Marie, reine avant elle, qui se méfiait de l’emprise de Sarah sur Anne. L’arrivée d’Abigail Hill, une cousine de Sarah qui va la supplanter dans le coeur d’Anne, sonne le glas de cette vieille amitié dans le film. Abigail va tout faire pour gagner les faveurs de la souveraine, y compris lui succéder dans son lit. Anne n’aurait pas été lesbienne, même si ces rumeurs ont été colportées par Sarah elle-même pour discréditer Abigail. Elle était très attachée à son époux, Georges de Danemark, et croyante. Et les histoires d’empoisonnement, de chute à cheval ou de balafre ne sont que du roman, malgré l'impitoyable rivalité qui opposait les deux femmes.
La guerre qui sert de toile de fond au film a-t-elle eu lieu ? RÉALITÉ
La guerre de succession d’Espagne oppose l’Angleterre à la France et à l’Espagne. Elle est au coeur du conflit entre les deux partis qui émergent, Tories et Whigs. Anne, du côté des Tories favorables à la paix, se heurte aux velléités militaires des Whigs, menés entre autres par le duc de Marlborough, commandant des forces militaires et époux de Sarah.
La reine a-t-elle perdu 17 enfants ? RÉALITÉ
La reine Anne, représentée entourée de 17 petits lapins symbolisant chacun de ses enfants perdus est une pure invention du réalisateur, mais elle a perdu autant d’enfants (fausses couches ou en bas âge, sauf un garçon mort à 11 ans) et meurt sans descendance. Elle cède alors le trône à Georges, électeur de Hanovre, en vertu de l’Acte d’Établissement de 1701 qui écartait tout prétendant catholique (y compris le demi-frère d’Anne, Jacques François Stuart).
Sarah a-t-elle été disgraciée ? RÉALITÉ
Le duc et la duchesse de Marlborough ont en effet été chassés de la Cour et contraints à l’exil, pour des raisons probablement plus politiques qu’amoureuses, contrairement à la thèse que développe le film. Le soutien de Sarah aux Whigs a fini par avoir raison de leur profonde amitié, même si le caractère et les scènes à répétition de la duchesse ont aussi irrité la reine. À la mort d’Anne, le roi George Ier, proche du couple Marlborough qu’il avait connu en exil, les rappelle à la Cour. Ils comptent parmi leurs descendants Winston Churchill et lady Diana Spencer.