Secrets d'Histoire

Stéphane Bern : « Versailles a été créé par les femmes et pour les femmes »

- Propos recueillis par Coline Bouvart

Reines, favorites, filles et soeurs de roi, les femmes à Versailles ont joué un rôle souvent bien plus important que les livres d’Histoire n’ont bien voulu le leur accorder. Selon Stéphane Bern, moins attachées que les hommes à l’apparence du pouvoir, elles lui ont préféré son véritable exercice. Quelle place ont les reines à Versailles ?

Les souverains ne se marient pas par amour, mais par devoir. Or seules les femmes qui règnent sur le coeur du roi exercent une influence. Les reines Marie-Thérèse et Marie Leszczynsk­a ont rempli leur devoir, donner des héritiers, mais elles n’avaient que peu de place. On leur devait le respect, elles étaient une institutio­n, mais c’est tout. On se méfiait de leur influence car elles étaient étrangères, et on doutait de leur loyauté. Seule Marie-Antoinette a marqué son époque, elle qui avait précisémen­t l’amour du roi. Il était fidèle et aucune favorite n’a pu éclipser son épouse. On lui reprochera justement d’avoir tenté d’influencer le roi, d’être du côté des Autrichien­s et d’être infidèle : sans favorite pour jouer les fusibles, la reine MarieAntoi­nette est directemen­t exposée. Alors qu’elle s’est toujours défendue d’avoir la moindre influence sur le roi dans sa correspond­ance avec sa famille.

Quelle influence les favorites ont-elles pu réellement avoir ?

C’était essentiell­ement un jeu de coterie, des batailles d’influence pour obtenir des nomination­s. Madame de Montespan a eu un rôle assez important. Tout d’abord, cette femme très belle et orgueilleu­se que l’on surnommait la « Sultane » a donné beaucoup d’enfants au roi. Elle faisait comme si elle avait du pouvoir, aimait que l’on vienne solliciter ses faveurs et abusait de sa position. Elle aimait le luxe et a encouragé Louis XIV dans cette voie alors que ce n’était pas sa nature. Elle lui a inspiré le faste de la première partie de son règne et a contribué au rayonnemen­t de la cour de France en Europe. Il est alors le plus grand roi du monde. Compromise dans l’affaire des poisons et devenue aussi, il faut le dire, moins jolie, elle est évincée par Madame de Maintenon.

Madame de Maintenon a-t-elle joué de sa position ?

Alors qu’elle n’était que la gouvernant­e des enfants du roi et de Madame de Montespan et une femme de petite noblesse veuve du poète Scarron, elle parvint à gagner l’estime et l’amour du roi et à se faire épouser! Madame de Montespan était une tête de linotte, Madame de Maintenon est au contraire brillante et cultivée. Elle arrive à une période du règne de Louis XIV qui privilégie l’ordre, la dévotion et l’austérité. On l’a accusée de bien des maux, certaineme­nt à tort, notamment d’avoir poussé le roi à révoquer l’édit de Nantes.

Louis XV, grand amateur de femmes, les a-t-il laissées le gouverner ?

Madame de Pompadour avait toutes les grâces, l’esprit et la beauté. C’est une femme que j’aime beaucoup. Loin de n’être qu’une courtisane, elle

Madame de Montespan était une tête de linotte, Madame de Maintenon est au contraire brillante et cultivée.

était une sorte de ministre de la Culture pour le roi, elle a servi sa gloire. Elle lui a fait rencontrer l’architecte Gabriel qui a créé la place Louis-XV (actuelle place de la Concorde) à Paris et mène de grands travaux dans la capitale et à Versailles, mais aussi son propre frère, le marquis de Marigny, nommé surintenda­nt des bâtiments du roi. Elle a exercé son influence dans le domaine des arts, défendu les Encyclopéd­istes, Voltaire, Montesquie­u… Elle possédait de nombreux et magnifique­s châteaux. Elle a joué un rôle diplomatiq­ue en soutenant avec Choiseul le renverseme­nt des alliances et le mariage du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette.

D’autres femmes entourent le roi…

Oui, il y a la princesse Palatine, que j’aime beaucoup aussi, qui jurait comme un charretier! Elle aimait son beau-frère le roi mais elle lui en voulait d’avoir marié son fils à l’une de ses filles bâtardes. Il y a la délicieuse duchesse de Bourgogne qui égaie la fin du règne de Louis XIV, les redoutable­s filles de Louis XV comme Madame Première ou Madame Dernière. Elles ont quasiment élevé Louis XVI. L’étiquette voulait que l’on aille les saluer les unes les autres. Il faut dire qu’il n’y avait que ça à faire ! Tout n’était que manigances, manipulati­ons, intrigues et jeux d’influence.

Comment les femmes ont-elles façonné Versailles ?

Versailles a été fait par les femmes pour les femmes. Derrière les grands appartemen­ts d’apparat, les cabinets intérieurs où vit la famille royale sont très féminins. Ce sont les débuts de l’intimité dans un palais qui impression­ne le monde entier. Elles font installer les premières salles de bains avec eau froide et eau chaude, les premiers cabinets d’aisance avec chasse d’eau… Il y a une vraie distorsion entre les salles d’apparat, véritable vitrine de la monarchie, et les cabinets intérieurs, si féminins. Les femmes ont régné sur Versailles, sur le coeur du roi et sur la France. On réhabilite peu à peu leur rôle dans l’Histoire. Elles n’ont pas attendu qu’on leur donne le pouvoir pour l’exercer. Les femmes sont plus intelligen­tes que les hommes, elles ne veulent pas le pouvoir pour le titre et l’apparence comme eux, mais pour ce que l’on en fait : elles ne sont pas dans l’affichage mais dans l’exercice du pouvoir.

 ??  ?? À partir de 1682, quand la cour de France cesse d’être itinérante et s’installe à Versailles, les épouses et favorites apprennent à manoeuvrer, avec plus ou moins de réussite, dans un environnem­ent de pouvoir toujours plus impitoyabl­e, fait d’intrigues et de codes. Photo : Stéphane Bern, dans la galerie des Glaces du château.
À partir de 1682, quand la cour de France cesse d’être itinérante et s’installe à Versailles, les épouses et favorites apprennent à manoeuvrer, avec plus ou moins de réussite, dans un environnem­ent de pouvoir toujours plus impitoyabl­e, fait d’intrigues et de codes. Photo : Stéphane Bern, dans la galerie des Glaces du château.
 ??  ?? Françoise d’Aubigné (1635–1719), marquise de Maintenon, et sa nièce Françoise d’Aubigné (1684–1739), future duchesse de Noailles, de Louis Ferdinand Elle le jeune (1649–1717), 1688. Madame de Maintenon devint secrètemen­t l’épouse de Louis XIV après la mort de la reine Marie-Thérèse en 1683.
Françoise d’Aubigné (1635–1719), marquise de Maintenon, et sa nièce Françoise d’Aubigné (1684–1739), future duchesse de Noailles, de Louis Ferdinand Elle le jeune (1649–1717), 1688. Madame de Maintenon devint secrètemen­t l’épouse de Louis XIV après la mort de la reine Marie-Thérèse en 1683.

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