La duchesse de Bourgogne, dernier coup de foudre du roi
Alors que la cour de Versailles sombre dans l’austérité à la fin du règne de Louis XIV, une jeune fille réveille le palais endormi. Elle gagne tous les coeurs – ou presque! –, et surtout ceux du roi et de Madame de Maintenon qui la prend sous sa protection. Cette enchanteresse, c’est Marie-Adélaïde de Savoie, venue épouser le petit-fils de Louis XIV. Fine, enjouée, habile aux jeux de cour, elle est promise au plus beau destin. Son avenir se brise pourtant en 1712, lorsqu’elle meurt à seulement 26 ans.
Montargis, le 4 novembre 1696. Louis XIV, qui a laissé Madame de Maintenon à Fontainebleau, est venu à la rencontre de la future épouse du plus âgé de ses petitsfils, Louis, duc de Bourgogne. Impatient de la découvrir, il monte dans son carrosse pour la saluer avant de l’aider à en descendre. La fiancée, qui n’est alors qu’une enfant de bientôt 11 ans, est la fille aînée de Victor-Amédée II, duc de Savoie, et d’Anne-Marie d’Orléans, nièce de Louis XIV. Ce mariage vient sceller la paix de Turin entre la France et la Savoie. Le roi est irrésistiblement charmé par la jeune fille d’après plusieurs
témoins, et confie immédiatement son enthousiasme dans une lettre à Madame de Maintenon : « Elle a la meilleure grâce et la plus belle taille que j’ai jamais vues, […] a des yeux vifs et très beaux, des paupières noires et admirables, le teint fort uni, blanc et rouge, […] les plus beaux cheveux noirs que l’on puisse voir […] Elle a quelque chose d’une Italienne dans le visage, mais elle plaît, et je l’ai vu dans les yeux de tout le monde. Pour moi j’en suis tout à fait content. » Elle allie à tous ces atouts une attitude réfléchie et polie tout en étant charmante, et achève ainsi de conquérir le roi : c’est un vrai coup de foudre. Du reste, Marie-Adélaïde va fort habilement faire la cour à Madame de Maintenon, qu’elle appelle
« ma tante », et qui trouve en cette enfant pleine de grâce une fille à cajoler et surtout à protéger des intrigues de la Cour. Elle va achever son éducation. Le couple royal trouve ainsi peut-être en MarieAdélaïde l’enfant qu’il n’a pas pu avoir.
Première dame de Versailles
À son arrivée à Versailles, Louis XIV lui attribue l’ancien appartement de la reine. Marie-Adélaïde est en effet première dame de la Cour, en l’absence de reine et de dauphine. L’immense faveur du roi se manifeste chaque jour : le souverain ne peut se passer d’elle et fait des promenades en sa compagnie. Il tolère de sa part bien des espiègleries, au grand dam de Madame, la princesse Palatine, qui la trouve très mal élevée. Sa joie et sa grâce font revivre le palais : « Une marche de déesse sur les nuées, décrit ainsi Saint-Simon. Elle plaisoit au dernier point. Les grâces naissoient d’elles-mêmes de tous ses pas, de toutes ses manières et de ses discours les plus communs. […] Sa gaieté, jeune, vive, active, animoit tout, et sa légèreté de nymphe la portoit partout comme un tourbillon qui remplit plusieurs lieux à la fois et qui y donne le mouvement et la vie. » Le mariage avec le duc de Bourgogne est célébré en décembre 1697. Elle vient de fêter ses 12 ans, et son mari en a 15. Vu l’âge de la mariée, l’union ne sera consommée qu’en 1699. Leur couple est très uni, même si Louis semble aimer plus passionnément son épouse qu’elle ne l’aime en retour. Mais son soutien est indéfectible, et ils donnent naissance à plusieurs enfants.
Une influence manifeste
Toujours soucieux de faire plaisir à la duchesse, Louis XIV relance les fêtes et divertissements. Il lui permet de se rendre au théâtre et au spectacle, et donne de grands bals à Versailles à partir de 1698. Un jour où la duchesse se serait échappée pour faire la fête toute la nuit, Madame de Maintenon aurait interdit que l’on ne la gourmande afin d’éviter qu’elle ne boude et ne soit pas d’humeur à distraire le roi. Si elle a su gagner le coeur du roi, Marie-Adélaïde a aussi obtenu son estime. Et elle sait manoeuvrer. Ainsi lorsque son mari, parti commander les troupes françaises contre le duc de Savoie (il a changé de camp en 1703), est accusé d’être lâche après avoir battu en retraite et perdu la bataille d’Audenarde, elle se plaint de ces rumeurs à Madame de Maintenon et au roi, et obtient la disgrâce du duc de Vendôme, à l’origine de ces critiques. Saint-Simon commente avec délectation : « On vit cet énorme colosse tomber à terre par le souffle d’une jeune princesse sage et courageuse. » De même, le roi lui accorde le plein gouvernement de sa Maison, un privilège unique et inédit : « Je me fie assez à elle pour ne pas vouloir qu’elle me rende compte de rien et je la laisse maîtresse absolue de sa Maison. Elle seroit capable de choses plus difficiles et plus importantes. » En avril 1711, la mort du grand dauphin fait du duc et de la duchesse de Bourgogne les nouveaux dauphin et dauphine. Appelé à régner, le couple devient la coqueluche et l’objet de toutes les manigances à la Cour. On espère beaucoup de ces futurs souverains porteurs de promesses.
Tragédie à la Cour
Mais le malheur s’abat sur la famille royale. Le 7 février 1712, la duchesse est prise d’une fièvre que les médecins ne parviennent pas à calmer. Son état s’aggrave et le diagnostic tombe : c’est la rougeole. Le 11 février, elle soupire : « Aujourd’hui princesse, demain rien, dans deux jours oubliée. » Et meurt le lendemain. Son mari la suit dans la tombe le 18 février, et l’un de leurs deux fils le 8 mars. Seul le dernier, le futur Louis XV, qui n’a alors que 2 ans, survit. Saint-Simon écrit : « Avec (la duchesse) s’éclipsèrent la joie, les plaisirs et toutes espèces de grâces. Les ténèbres couvrirent toute la surface de la Cour. Elles en pénétrèrent l’intérieur et, si la Cour subsista en soi-même, ce ne fut plus que pour languir. Jamais princesse si regrettée et si digne de l’être. »