Alexandre Maral : « Versailles, formidable lieu de promotion de personnalités féminines »
Dans son ouvrage Femmes de Versailles, Alexandre Maral, conservateur général au château de Versailles, dresse le portrait de ces reines, favorites et princesses qui ont fait les plus belles heures de la c our de Versailles.
La Cour s’installe définitivement à Versailles en 1682, date à laquelle vous commencez votre étude. Pourquoi ?
Car dès lors, le lieu prend une autre signification. Les fêtes et les événements marquants qui s’y déroulent avant cette date auraient pu tout aussi bien se tenir ailleurs. Avec l’installation de la Cour et du gouvernement à Versailles, la place des femmes revêt une tout autre portée.
Comment cela ?
Leur rôle évolue au fil des règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Mais dans le projet initial, un événement est très important : l’institution, à l’automne 1682, des soirées d’appartement deux à trois fois par semaine. Ces divertissements offerts par le roi aux courtisans accordent une grande place aux femmes et favorisent la sociabilité. C’est une idée du roi, mais peutêtre lui a-t-elle été soufflée par Madame de Maintenon. On peut en effet y voir un lien avec les cénacles précieux de Paris trente ans auparavant, ou même un souvenir du Cercle de la reine du temps d’Anne d’Autriche. À l’inverse de la Cour – assez libertine – de Charles II en Angleterre, Louis XIV remet de l’ordre dans sa vie conjugale et l’ambiance à la Cour en est le reflet.
Cela coïncide avec l’entrée dans une nouvelle période du règne de Louis XIV…
Oui. Avec l’affaire des poisons qui a éclaté en 1679, l’étoile de Madame de Montespan a commencé à pâlir. En 1680, les premières informations l’impliquent. S’il souhaite sauver les apparences et ne la renvoie pas de la Cour, Louis XIV a pris ses distances avec son ancienne favorite. C’est désormais Madame de Maintenon qui a son affection. La conversion du roi, la présence de cette nouvelle maîtresse – qui devient son épouse morganatique –, et la sédentarisation de la Cour, ces trois éléments aboutissent à donner aux femmes une place plus importante.
Comment la vision de la femme évolue-t-elle ?
Auparavant, la femme, comme Madame de Montespan ou Mademoiselle de Fontanges, est un objet de passion. Elle est capricieuse, dépensière, c’est une femme-objet. Désormais, on met en avant son intelligence, son rôle dans le polissage des moeurs et le progrès de la civilisation, l’amélioration des qualités sociales. La Cour qui était dissipée est plus ordonnée, plus régulière. La femme l’emporte par ses qualités d’esprit et domestiques plutôt que par un train de vie fantasque. Madame de Maintenon y joue certes un rôle, mais elle est surtout celle qui arrive au bon moment, au bon endroit pour incarner ce renouveau.
Reine, favorite, parente : quel est le rôle de chacune ?
On observe une constellation féminine autour du roi qui assigne à chacune, de manière tacite, un rôle qui la caractérise. Sous Louis XIV, MarieThérèse est la femme légitime. C’est une reine un peu effacée qui disparaît dès 1683. Elle laisse une place vacante : la dauphine devient la première dame de la Cour. Ces femmes ont
un rôle de représentation. Puis il y a les filles de Louis XIV, qu’il a légitimées et qui seront mariées à des princes du sang. Ces très belles unions leur donnent un statut. Quant à Madame de Maintenon, c’est l’épouse secrète, dépourvue de toute position officielle auprès du roi. Il y a également Madame, épouse du frère du roi. C’est une femme franche et truculente que Louis XIV aime beaucoup au début, mais que son francparler finit par heurter. Elle déteste Madame de Maintenon et se trouve dès lors marginalisée. Enfin, la duchesse de Bourgogne arrive à la Cour en 1796 et apporte beaucoup de joie et de fraîcheur à Versailles.
Et sous Louis XV ?
Ses rapports avec les femmes sont plus compliqués. C’est un roi et un homme très secret. On a du mal à distinguer sa volonté politique propre des influences autour de lui. Il donne l’impression que Madame de Pompadour est à la manoeuvre, mais à quel point est-ce vrai ? N’est-ce pas plutôt de la prudence? Louis XV, pourtant très aimé au début de son règne, se rend compte qu’il devient impopulaire. Après la paix d’Aix-la-Chapelle, très mal perçue par l’opinion publique, il préfère donc laisser Madame de Pompadour s’exposer et jouer les fusibles. C’est une mesure stratégique. Si sa maîtresse se mêle de politique, c’est avec l’accord du roi.
Dans votre livre, vous soulignez également à quel point les femmes peuvent devenir les esclaves de Versailles, voire être broyées…
Elles sont prises dans un système de Cour où la sociabilité est fondée sur les apparences. Elles sont plus exposées que d’autres, et ont un véritable devoir de représentation. On peut ainsi penser à Louis XIV qui tance la dauphine de Bavière alors qu’elle se plaint d’être fatiguée : « Je veux qu’il y ait appartement et que vous y dansiez. Nous ne sommes pas comme des particuliers, nous nous devons tout entiers au public. Allez, et faites la chose de bonne grâce. » Il faut du courage et de la carrure pour supporter tout cela, car la Cour n’est pas un univers bienveillant. Mais comme la cour des Valois, celle de Versailles permet aux femmes d’occuper des places façonnées à leur image. Avec la cour du Moyen Âge, ce sont les trois périodes où les femmes sont aussi établies. Avec l’effondrement de l’Ancien Régime, la femme est renvoyée par le Code civil à un état de minorité et disparaît de la sphère politique. Versailles est donc un univers difficile, mais une période glorieuse pour la femme. C’est une formidable tribune pour exercer une influence quelle qu’en soit la forme. Et c’est un moment où la France rayonne fort justement parce que les femmes ont une place importante.