Madame de Pompadour, une favorite au pouvoir
Jamais favorite n’a si bien régné sur la France. Née dans la bourgeoisie parisienne, la jolie marquise de Pompadour a été l’amante, la meilleure amie et le ministre officieux de Louis XV. « Notre-Dame des Lumières » contribue à la grandeur de son règne en patronnant les arts. L’essor économique de la manufacture de porcelaine de Sèvres témoigne de son sens des affaires.
Reinette, la petite reine. Il faut croire que ce surnom qu’on lui donnait enfant la prédestinait à devenir la favorite du roi de France. Jeanne Poisson naît à Paris en 1721 dans la haute bourgeoisie. Belle comme le jour, dotée d’une forte sensibilité artistique, douce et déterminée, ses proches la voient comme l’outil idéal de leurs ambitions. Elle deviendra leur représentante à Versailles. Encore faut-il que cette roturière aux yeux charmants à la couleur indéfinissable parvienne à rencontrer le roi et à attirer son attention. Pour cela, elle imagine une fantasque mise en scène. Ainsi, à chaque fois que Louis XV part à la chasse, il croise une jeune femme passant en trombe sur les sentiers de la forêt. Un jour, la mystérieuse cochère est vêtue d’une robe rose dans un phaéton bleu. Le jour suivant, son attelage est rose, sa toilette bleue et ainsi de suite. Le roi est rapidement interpellé par cette comédie. Or, le premier valet de la chambre du dauphin connaît l’audacieuse conductrice, et pour cause, il appartient à sa bellefamille! Le coup monté a fonctionné à merveille. La jeune femme est introduite à Versailles à l’occasion du bal des Ifs. Le roi ne peut quitter des
yeux l’inconnue dissimulée sous son loup. Elle est si proche mais semble lui échapper en permanence. Un second bal donné quelques jours plus tard à Paris lui permet d’en faire enfin connaissance et de la raccompagner chez elle au petit matin. Bien que rien n’ait été laissé au hasard dans cette rencontre, le roi et Jeanne tombent sincèrement amoureux… Incapable de se passer d’elle, le bien-aimé la reçoit sans cesse dans ses petits cabinets privés. La Cour s’étrangle littéralement. Que fait cette bourgeoise dans le lit du souverain ? Pour mettre fin aux médisances, celui-ci anoblit sa maîtresse en 1745 et lui offre un appartement au second étage de l’attique juste au-dessus du sien. Le logement de la nouvelle marquise de Pompadour communique avec celui de son amant par une chaise volante, une sorte de fauteuil-ascenseur lui permettant de le rejoindre sans avoir à cavaler dans les escaliers et les couloirs.
Une favorite en scène
Quelques semaines plus tard, la favorite est officiellement présentée à la Cour. Les courtisans espèrent se délecter de sa rencontre avec la reine. Avides de ragots, ils sont convaincus d’assister à un moment humiliant au moins pour l’une ou pour l’autre. Hélas, Marie Leszczynska et Jeanne se montrent incroyablement courtoises comme si, sans se parler, elles avaient convenu d’une alliance secrète. La reine sait qu’elle n’a d’autre choix que d’accepter les maîtresses de son mari. Au moins, la Poisson ne lui manque pas de respect, contrairement aux précédentes. Intronisée, La Pompadour entreprend de bâtir son empire des arts à Versailles. Son Louis adoré est un mélancolique. Il a besoin d’être distrait en permanence pour échapper à ses aspirations morbides. Pour son plaisir, elle monte sa propre troupe de théâtre où seuls jouent les courtisans talentueux et agréables à ses yeux. Elle-même ne dédaigne pas les planches. Elle chante et danse avec une grâce émouvante. Le petit théâtre de la Pompadour finit par devenir une véritable institution. Pour ses grandes productions, on monte une scène éphémère dans l’escalier des ambassadeurs. Les médisants d’hier se pressent pour obtenir des places aux représentations ou pour jouer à ses côtés des succès tel Le Tartuffe, de Molière. La marquise est devenue une véritable ministre de la Culture et adoube maintenant les courtisans de son choix dans le cercle du roi. La bourgeoise est devenue la femme la plus influente de France et compte le rester
longtemps. À cette fin, elle organise de nombreux dîners privés au Grand Trianon dont elle dirige les travaux avec le roi. Elle fait également construire d’autres pavillons rococo décorés par de grands peintres à l’instar de Van Loo où seule une société très restreinte est admise auprès du souverain. Lors de ses soupers, il est interdit de parler de politique et la jolie Jeanne égaye la soirée de ses brillantes conversations. Heureux d’échapper à la lourdeur de l’étiquette, le roi ne passe plus qu’une nuit sur deux en moyenne au château. Pendant de longues années, Louis XV dépend affectivement de sa favorite. Il n’a d’intimité réelle qu’avec elle. Après sept ans d’une relation fusionnelle, le désir s’émousse. Leur amour se transforme progressivement en une solide et loyale amitié. Après la mort du cardinal de Fleury en 1753, Louis XV ne souhaite plus de Premier ministre trop puissant. Il compte néanmoins sur Jeanne pour jouer son assistante dévouée dans l’ombre. Les mauvaises langues la surnomment le « ministre en cotillon »! Pour marquer cette élévation symbolique, la Pompadour déménage dans un superbe appartement au rez-de-chaussée du château.
Un étonnant sens des affaires
Cependant, la porte communiquant avec la chambre du roi est murée pour acter la fin de leur idylle. Mesdames, les filles du roi, s’estiment lésées par leur « maman putain » car elles voulaient ce logement que leur père leur a refusé. Cela ne fera qu’accroître leur haine envers La Pompadour. Les missions de la marquise sont nombreuses. Pour sustenter l’appétit charnel du roi, elle devient proxénète en installant quelques filles dans la demeure dite du Parc-aux-Cerfs. Là, le roi trouve toujours une ou deux bourgeoises arrivées vierges en poste pour lui éviter les maladies. Elles sont congédiées avec une rente lorsqu’elles tombent enceintes ou que le souverain est las de leur minois. La Pompadour n’a pas le sens des affaires qu’en matière de filles. En invitant le roi à déplacer la manufacture de porcelaine à Sèvres et à y investir, elle promeut l’artisanat. Elle organise elle-même des ventes au château et pousse les courtisans à acheter sa porcelaine comme un acte patriotique. Pour honorer sa mécène, la manufacture crée le « rose Pompadour ». La marquise souhaite aussi laisser l’empreinte de son roi dans l’architecture. Pour se faire, elle prend en charge la formation intellectuelle de son frère Abel et lui obtient le poste de directeur général des bâtiments du roi.
Elle gère également les travaux de l’École militaire. Cet établissement sera officieusement son Saint-Cyr pour garçons.
Le privilège de mourir à Versailles
La favorite, désormais chaste, promue dame du palais de la reine pour justifier sa présence à Versailles, demeure la femme la plus puissante du royaume. Capable de favoriser les carrières de ses proches et d’éloigner ses rivaux des ministères, elle se fait des ennemis et endure, la tête haute, bien des humiliations. Un jour, on déverse même des poissons dans ses appartements pour se moquer de son nom de naissance. Les pamphlets contre elle sont violents car elle est une cible moins dangereuse que le roi. À travers la favorite, on critique l’absolutisme à mots couverts. Elle en souffre d’autant plus que Voltaire, son ancien ami, inspire sans doute ceux du roi de Prusse Frédéric II qui la méprise. Les vers du ministre Maurepas viennent à bout de ses nerfs : « Tous vos pas sont semés de fleurs / Mais ce sont des fleurs blanches. » Les fleurs blanches font allusion à une maladie vénérienne. S’attaquer à ses problèmes gynécologiques est un coup bas. L’indélicat est exilé. Vingt ans dans l’environnement toxique de la Cour et le deuil de sa fille en 1754 la brisent nerveusement. Épuisée, elle s’éteint en 1764 au château, à 42 ans. Le souverain lui permet de mourir à Versailles, privilège réservé à la famille royale. Depuis le balcon surplombant la cour de Marbre, il regarde le convoi funèbre se mettre en route pour Paris. Il a conscience de perdre sa seule véritable amie. Alors qu’on l’enterre à l’église du couvent des Capucines, place Vendôme, Louis XV, pris par le bouillonnement incessant de la Cour cherche déjà d’autres bras pour étreindre sa mélancolie…